Le
monstre et l'amour : de la haine à la colère de vie
Un
roman qui n'en est pas vraiment un : une poésie, un récit
mythologique, une grande allégorie qui touche nos entrailles les
plus enfouies. Un premier texte de littérature générale aux
allures déconcertantes d’œuvre accomplie. A lire et relire.
Vincent Villeminot est libre.
Il démusèle l'écriture, il désencage les bêtes féroces qui nous
habitent, il libère le plus indicible de nous. Il libère le
monstre. La poésie du monstre, à chaque ligne, à chaque pas dans
cet univers si particulier qu'il construit peu à peu, sous nos yeux.
Le monde d'Ismaëlle puis d'Ismaëlle et Ezechiel se bâtit peu à
peu, à partir d'une béance, du trou noir des origines. A travers
une rencontre interdite et une épreuve herculéenne, les deux jeunes
gens juste sortis de l'enfance se confrontent à l'autre, à la
fascination qu'il exerce et à leurs peurs les plus intestines.
Fais
de moi la colère est bien plus
qu'un roman. C'est un récit profondément poétique, mais aussi
allégorique et mythologique. Un style épuré, bref, mais chaque mot
est une image aux multiples facettes. Les sens se démultiplient. Les
strates du réel, plurielles, infinies dans quelques mots qui
s'entrechoquent et se résonnent. Cependant la réalité facile,
entendons l'accessible immédiat, a peu de place. Il faut en faire
son deuil et se laisser porter par les couches moins visibles, plus
dangereuses ? de l'existence et de l'écriture qui en est la
voix sublimante. La fantasmatique collective est partout, la
mythologie prend sa place, l'allégorie biblique ne manque pas à
l'appel. Un récit de l'humanité.
La mort scande son refrain
comme une toile de fond inéluctable. Jusqu'à sembler familière et
ne plus faire peur. Jusqu'à bercer. Jusqu'à faire sourire
peut-être, non de joie mais de tendresse. Plus brutale la voracité,
la dévoration qui nous tuent et qui détruisent toute vie sur leur
passage, celles même de l'enfant dans le ventre de sa mère ouvrent
leur gueule à chaque page. L'auteur brandit les entrailles déchirées
et les dents de la mer sans complaisance aucune. Peut-être même
avec provocation. Toi lecteur, jusqu'où peux-tu entendre la vérité
des tiens et la tienne propre ? Jusqu'où es-tu capable de tenir
les yeux ouverts ?
Cette cruauté intrinsèque
n'empêche et même au contraire nous dirions, permet la poésie du
monstre. Une poésie sensuelle, charnelle, holistique. Qui fait
penser à une poésie Baudelairienne. Difficile de ne la chasser de
son esprit par moments tant les deux se font écho.
Les corps sont nus,
radiographiés, sentis de l'intérieur. Ils sont ceux que nous vivons
et non ceux que nous regardons, comme il est coutume dans notre vie
actuelle. La nature, son eau, sa terre, son ciel, ses bases, ses
fondements, ses limites colorent et odorent la lecture.
Hallucinations ? On pourrait parfois se croire fou... Les règnes
se mêlent, nous sommes « des animaux humains » (p.252),
Ezéchiel se sent chien, l'eau du lac est une peau et les avions des
aigles tournoyants.
La colère est celle qui doit
avec joie nous emplir plutôt que la convoitise et la voracité,
l'appétit insatiable du désir humain. L'appétit insatiable que
notre société consumériste évoquée dans ses lumières bleues
d'écrans clignotants dans la nuit, étoiles modernes.
Qui
sommes-nous ? Pouvons-nous le savoir ? Nous
appartenons-nous, nous qui « plongeons comme un jouet dans la
baignoire de Dieu » (p.217) ? Questions éternelles dans un
récit d'une singularité flamboyante. Une lecture lente, à
recommencer encore et encore, une écriture allégorique aux
interprétations inépuisables.
Et cette formidable émotion
esthétique, inévitable, bouleversante. Souvent inquiétante.
« Inquiétante étrangeté ».
Vincent
Villeminot, Fais de moi la colère –
Editions Les Escales – 9782365693400 – 17,90€
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