samedi 1 septembre 2018

Vincent Villeminot, Fais de moi la colère – Editions Les Escales

Le monstre et l'amour : de la haine à la colère de vie


Un roman qui n'en est pas vraiment un : une poésie, un récit mythologique, une grande allégorie qui touche nos entrailles les plus enfouies. Un premier texte de littérature générale aux allures déconcertantes d’œuvre accomplie. A lire et relire.

Vincent Villeminot est libre. Il démusèle l'écriture, il désencage les bêtes féroces qui nous habitent, il libère le plus indicible de nous. Il libère le monstre. La poésie du monstre, à chaque ligne, à chaque pas dans cet univers si particulier qu'il construit peu à peu, sous nos yeux. Le monde d'Ismaëlle puis d'Ismaëlle et Ezechiel se bâtit peu à peu, à partir d'une béance, du trou noir des origines. A travers une rencontre interdite et une épreuve herculéenne, les deux jeunes gens juste sortis de l'enfance se confrontent à l'autre, à la fascination qu'il exerce et à leurs peurs les plus intestines.

Fais de moi la colère est bien plus qu'un roman. C'est un récit profondément poétique, mais aussi allégorique et mythologique. Un style épuré, bref, mais chaque mot est une image aux multiples facettes. Les sens se démultiplient. Les strates du réel, plurielles, infinies dans quelques mots qui s'entrechoquent et se résonnent. Cependant la réalité facile, entendons l'accessible immédiat, a peu de place. Il faut en faire son deuil et se laisser porter par les couches moins visibles, plus dangereuses ? de l'existence et de l'écriture qui en est la voix sublimante. La fantasmatique collective est partout, la mythologie prend sa place, l'allégorie biblique ne manque pas à l'appel. Un récit de l'humanité.
La mort scande son refrain comme une toile de fond inéluctable. Jusqu'à sembler familière et ne plus faire peur. Jusqu'à bercer. Jusqu'à faire sourire peut-être, non de joie mais de tendresse. Plus brutale la voracité, la dévoration qui nous tuent et qui détruisent toute vie sur leur passage, celles même de l'enfant dans le ventre de sa mère ouvrent leur gueule à chaque page. L'auteur brandit les entrailles déchirées et les dents de la mer sans complaisance aucune. Peut-être même avec provocation. Toi lecteur, jusqu'où peux-tu entendre la vérité des tiens et la tienne propre ? Jusqu'où es-tu capable de tenir les yeux ouverts ?

Cette cruauté intrinsèque n'empêche et même au contraire nous dirions, permet la poésie du monstre. Une poésie sensuelle, charnelle, holistique. Qui fait penser à une poésie Baudelairienne. Difficile de ne la chasser de son esprit par moments tant les deux se font écho.
Les corps sont nus, radiographiés, sentis de l'intérieur. Ils sont ceux que nous vivons et non ceux que nous regardons, comme il est coutume dans notre vie actuelle. La nature, son eau, sa terre, son ciel, ses bases, ses fondements, ses limites colorent et odorent la lecture. Hallucinations ? On pourrait parfois se croire fou... Les règnes se mêlent, nous sommes « des animaux humains » (p.252), Ezéchiel se sent chien, l'eau du lac est une peau et les avions des aigles tournoyants.

La colère est celle qui doit avec joie nous emplir plutôt que la convoitise et la voracité, l'appétit insatiable du désir humain. L'appétit insatiable que notre société consumériste évoquée dans ses lumières bleues d'écrans clignotants dans la nuit, étoiles modernes.

Qui sommes-nous ? Pouvons-nous le savoir ? Nous appartenons-nous, nous qui « plongeons comme un jouet dans la baignoire de Dieu » (p.217) ? Questions éternelles dans un récit d'une singularité flamboyante. Une lecture lente, à recommencer encore et encore, une écriture allégorique aux interprétations inépuisables.
Et cette formidable émotion esthétique, inévitable, bouleversante. Souvent inquiétante. « Inquiétante étrangeté ».


Vincent Villeminot, Fais de moi la colère – Editions Les Escales – 9782365693400 – 17,90



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