Un
conte philosophique révolutionnaire : la société, la femme et
l'âme
Féministe,
anti-conformiste, l'âme révolutionnaire, Paola Masino nous entraîne
dans un conte drôle et inquiétant à la fois questionnant le sens
de l'existence. Ni plus ni moins ; ouvertement. Et elle dresse
pour cela un douloureux et incisif portrait de la vie d'une femme.
D'une actualité déconcertante.
La
Massaia, Naissance et mort de la fée du foyer : ces titre
et sous-titre nous donnent un aperçu immédiat de la tonalité de ce
qui nous attend dans cet ouvrage. Ironique d'un bout à l'autre,
burlesque, farfelu, tout est hors normes dans ce roman. Tout est
révolutionnaire. Tout travaille avec éclat à déborder les règles
auxquels nous sommes soumis et nous soumettons.
Ce
livre est une révolte à lui seul. Le fond et la forme ne cessent de
se rebeller. Il ne faut jamais séparer le fond de la forme, certes.
Mais beaucoup d'ouvrages aujourd'hui travaillent peu la forme. La
forme exprime intrinsèquement le fond et la structure du récit est
une histoire et une révolution à elle seule. Conte philosophique,
conte merveilleux, fable, légende, fresque sociale, biographie,
pièce de théâtre, mémoires : toutes ces formes sont
contenues dans La Massaia. Mais le lecteur n'est pas vraiment
perdu. Ce sont des formes qu'il connaît, assez classiques
finalement, seulement agencées avec une ironie, une désinvolture
feinte et une finesse provocante indéniables. L'on ne cesse d'avoir
des références qui viennent à l'esprit, surgissant sans qu'on le
veuille, l'auteur certainement les faisant surgir avec espièglerie :
Platon, Voltaire, Shakespeare, Balzac, La Bible bien sûr etc. La
liste exhaustive en est impossible et elle appartient sans doute
aussi à chacun dans sa sensibilité et dans l'agrégat de livres qui
l'ont forgé. C'est un vrai plaisir que ce foisonnement de
littératures qui s'entremêlent, honorées et ridiculisées tout à
la fois et en permanence. Précurseur, puisque le texte date
véritablement des années 1936-37, le théâtre de l'absurde est
déjà à l’œuvre ici. Ce roman devrait être placé au rang des
classiques.
Sans
vergogne, Paola Masino qui ne déguise pas vraiment son narrateur et
dont on devine la voix sans peine, s'attaque aux institutions, la
famille, la religion, le pouvoir politique, l'éducation, la place de
la femme dans la société, à de nombreux tabous et notamment la
mort. La Massaia est une enfant anormale, une tare, un fardeau. Elle
pense, elle ose penser alors que « penser est un vilain défaut,
n'est-ce pas ? » (p.291) et ne pas aimer le monde matériel
comme il lui est proposé. Elle devient la femme parfaite, dans une
métamorphose qui n'a rien de magique : la société et ses
normes sont passées par là, rouleaux compresseurs imparables,
saupoudrées de culpabilité, du désir de se conformer, de faire
plaisir, toujours faire plaisir, et la folie matérielle prend le pas
sur l'esprit. Il s'agit même pour elle de s'empêcher de rêver au
bout du compte. Car les rêves dérangent les apparences, la
superficialité du monde, la bienséance implacable qui plonge dans
une lente agonie. La Massaia est dans l'impossibilité absolue de
s'accomplir, plus elle s'oublie, se sacrifie, plus elle est encensée.
Se trahir soi-même est donc le succès que flatte la société.
« [...]tout le monde m'exhorte à me mentir à moi-même »
(p.241) Et l'incompréhension mutuelle est de mise.
Le
personnage principal est une femme et c'est autour d'elle que se
construit le récit, dans un esprit féministe bien sûr. Il est
question de la femme-objet, de la femme réifiée pour le plus grand
plaisir de tous. La femme désâmée qui pourtant porte le poids des
autres sur ses épaules.
Mais
derrière elle, les hommes bien que moqués sont tout aussi
prisonniers. Et donc la grande question du sens de l'existence se
pose. Elle se pose en réalité dès les premières pages
intrigantes, avec cette drôle d'enfant qui vit dans une malle et se
nourrit de pain moisi. Et l'on se doute que la réponse à cette
question est acerbe et sans concessions.
Des
moments de merveilleux, oniriques viennent ponctuer le récit,
parfois fantastique, un peu effrayant, parfois simplement merveilleux
quand les objets prennent vie pour la jeune fille. Et la poésie de
ces passages est aussi chaleureuse que le reste est mordant.
« Le
monde est un théâtre » : Paola Masoni n'est ni la
première ni la dernière à le dénoncer. Mais son combat contre les
carcans dénaturants de la société s'inscrit dans l'histoire
littéraire. Le foisonnement des formes, des couleurs et des idées
est envoûtant. L'on a envie après cette lecture avec La Massaia de
scander : « Tu n'as besoin de personne pour te trouver et
t'accomplir. »(p.141)
Paola
Masoni, traduit de l'Italien par Marilène Raiola, La Masaia,
Naissance et mort de la fée du foyer – Editions de La
Martinière – 9782732485928
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