dimanche 2 septembre 2018

Paola Masoni, traduit de l'Italien par Marilène Raiola, La Masaia, Naissance et mort de la fée du foyer – Editions de La Martinière

Un conte philosophique révolutionnaire : la société, la femme et l'âme


Féministe, anti-conformiste, l'âme révolutionnaire, Paola Masino nous entraîne dans un conte drôle et inquiétant à la fois questionnant le sens de l'existence. Ni plus ni moins ; ouvertement. Et elle dresse pour cela un douloureux et incisif portrait de la vie d'une femme. D'une actualité déconcertante.

           La Massaia, Naissance et mort de la fée du foyer : ces titre et sous-titre nous donnent un aperçu immédiat de la tonalité de ce qui nous attend dans cet ouvrage. Ironique d'un bout à l'autre, burlesque, farfelu, tout est hors normes dans ce roman. Tout est révolutionnaire. Tout travaille avec éclat à déborder les règles auxquels nous sommes soumis et nous soumettons.
         Ce livre est une révolte à lui seul. Le fond et la forme ne cessent de se rebeller. Il ne faut jamais séparer le fond de la forme, certes. Mais beaucoup d'ouvrages aujourd'hui travaillent peu la forme. La forme exprime intrinsèquement le fond et la structure du récit est une histoire et une révolution à elle seule. Conte philosophique, conte merveilleux, fable, légende, fresque sociale, biographie, pièce de théâtre, mémoires : toutes ces formes sont contenues dans La Massaia. Mais le lecteur n'est pas vraiment perdu. Ce sont des formes qu'il connaît, assez classiques finalement, seulement agencées avec une ironie, une désinvolture feinte et une finesse provocante indéniables. L'on ne cesse d'avoir des références qui viennent à l'esprit, surgissant sans qu'on le veuille, l'auteur certainement les faisant surgir avec espièglerie : Platon, Voltaire, Shakespeare, Balzac, La Bible bien sûr etc. La liste exhaustive en est impossible et elle appartient sans doute aussi à chacun dans sa sensibilité et dans l'agrégat de livres qui l'ont forgé. C'est un vrai plaisir que ce foisonnement de littératures qui s'entremêlent, honorées et ridiculisées tout à la fois et en permanence. Précurseur, puisque le texte date véritablement des années 1936-37, le théâtre de l'absurde est déjà à l’œuvre ici. Ce roman devrait être placé au rang des classiques.
         Sans vergogne, Paola Masino qui ne déguise pas vraiment son narrateur et dont on devine la voix sans peine, s'attaque aux institutions, la famille, la religion, le pouvoir politique, l'éducation, la place de la femme dans la société, à de nombreux tabous et notamment la mort. La Massaia est une enfant anormale, une tare, un fardeau. Elle pense, elle ose penser alors que « penser est un vilain défaut, n'est-ce pas ? » (p.291) et ne pas aimer le monde matériel comme il lui est proposé. Elle devient la femme parfaite, dans une métamorphose qui n'a rien de magique : la société et ses normes sont passées par là, rouleaux compresseurs imparables, saupoudrées de culpabilité, du désir de se conformer, de faire plaisir, toujours faire plaisir, et la folie matérielle prend le pas sur l'esprit. Il s'agit même pour elle de s'empêcher de rêver au bout du compte. Car les rêves dérangent les apparences, la superficialité du monde, la bienséance implacable qui plonge dans une lente agonie. La Massaia est dans l'impossibilité absolue de s'accomplir, plus elle s'oublie, se sacrifie, plus elle est encensée. Se trahir soi-même est donc le succès que flatte la société. « [...]tout le monde m'exhorte à me mentir à moi-même » (p.241) Et l'incompréhension mutuelle est de mise.
         Le personnage principal est une femme et c'est autour d'elle que se construit le récit, dans un esprit féministe bien sûr. Il est question de la femme-objet, de la femme réifiée pour le plus grand plaisir de tous. La femme désâmée qui pourtant porte le poids des autres sur ses épaules.
Mais derrière elle, les hommes bien que moqués sont tout aussi prisonniers. Et donc la grande question du sens de l'existence se pose. Elle se pose en réalité dès les premières pages intrigantes, avec cette drôle d'enfant qui vit dans une malle et se nourrit de pain moisi. Et l'on se doute que la réponse à cette question est acerbe et sans concessions.

        Des moments de merveilleux, oniriques viennent ponctuer le récit, parfois fantastique, un peu effrayant, parfois simplement merveilleux quand les objets prennent vie pour la jeune fille. Et la poésie de ces passages est aussi chaleureuse que le reste est mordant.

        « Le monde est un théâtre » : Paola Masoni n'est ni la première ni la dernière à le dénoncer. Mais son combat contre les carcans dénaturants de la société s'inscrit dans l'histoire littéraire. Le foisonnement des formes, des couleurs et des idées est envoûtant. L'on a envie après cette lecture avec La Massaia de scander : « Tu n'as besoin de personne pour te trouver et t'accomplir. »(p.141)


Paola Masoni, traduit de l'Italien par Marilène Raiola, La Masaia, Naissance et mort de la fée du foyer – Editions de La Martinière – 9782732485928 

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