vendredi 31 août 2018

Marie-Sabine Roger, Les bracassées -Editions du Rouergue

Que vivent les bras-cassés et rions de tout !


Deux femmes, Fleur et Harmonie, racontent avec humour et tendresse (impitoyables souvent aussi) la lutte pour la vie et l'amitié. Pas celle de la faim et la soif. La lutte pour la survie sociale quand on est un oiseau rare, qui a « bataillé double pour être et pour avoir » (p.143). Handicap et indignité admise ou alors construire un nouvel art du regard.

Peut-on rire de tout ? La question divise. Il y aura sans doute ceux qui l'affirment fermement Oui l'on peut rire de tout tant que... et ceux qui le récusent avec véhémence et concision : Non. L'argumentation manque de panache. Toujours est-il que voilà l'un des sujets qui agitent souvent les média. Les Bracassées l'illustre.
Ce roman n'est certainement pas un livre polémique. Disons qu'il est bien plus subtil que cela..., tendre et drôle. Seulement, la lecture de ce roman peut prendre un tour engagé, socialement parlant. Encore une fois, là ne réside peut-être pas l'intention première de l'auteure. Quoi que... Peut-on mettre en scène Fleur Vieille dame obèse agoraphobe et angoissée de tout en général, Harmonie atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette, Elvire d'un nystagmus, Tonton femme des plus viriles et Monsieur Poussin très vieux et très laid ? Peut-on mettre en scène cette bande de bras cassés sans s'engager un peu, au moins un peu ? Question rhétorique à laquelle votre lecture répondra comme votre sensibilité l'entendra.
Car ce roman fait appel à la sensibilité du lecteur et l'interpelle dans des émotions assez intimes. Un ton léger, entraînant, comme une jolie chanson, une écriture fluide et qui fera nécessairement sourire, pour parler de vraies douleurs. Il s'agit de faire partie d'une minorité, d'être jugé, d'être mis dans une case, moqué, exclu bien sûr. Tous ces personnages sont en effet socialement exclus, n'ont qu'un entourage extrêmement restreint, voire uniquement composé d'un animal. Pas de pathétique au rendez-vous. Marie-Sabine Roger évite sans aucune difficulté cet écueil. Pas non plus de révolte stérile. Un roman de rencontres et d'amitiés entre infirmes de notre société hyper-normative.
Le mot n'est pas galvaudé : il s'agit bien d'être infirme, handicapé par les regards au point pour Fleur, Harmonie (les bien-nommées !), Elvire, Tonton et Monsieur Poussin de tourner dans leur solitude en n'espérant pas davantage. L'instinct de survie a raison de s'habituer à la solitude : « Vivre n 'est pas le problème. C'est vivre ensemble qui. » (p.257). Mais l'impuissance apprise est-elle la seule issue ? Finalement, le premier lien se noue entre les esseulés eux-mêmes, handicapés qui font peur aux autres mais ne se font pas peur entre eux. Le ghetto des handicapés ? Bien sûr. Et là réside une pure réalité. Ils ne sont pas normaux. Cela suffit. Harmonie en effet est déroutante avec ses Bordel de Pute à tout bouts de champs, Elvire avec ses yeux foufous, Tonton avec sa manière tout à elle d'être une femme. Déroutants. Mais la peur dont parle Le vieux monsieur Poussin est bien celle qui pourrit tout de l'intérieur.
Se forme la fine équipe, le club des Bracassées, le nouveau club des Cinq version anti-conformiste, en un seul mot et avec un E parce que les femmes sont largement majoritaires et que même à soixante-seize ans, Fleur s'offre le luxe d'un accès de féminisme légitime. « La volière des oiseaux rares »(p.143)

L'auteure joue avec l'onomastique pour rire de ses personnages avec eux, pour leur donner les outils de l'auto-dérision. Il en va de même avec leurs particularités qu'ils utilisent aussi pour s'amuser, même si la souffrance n'est à aucun moment déniée. Mais elle est pudique et tapie dans son coin tranquille.
Les deux femmes narratrices de ce récit mettent à jour leur propre rire sur elles-mêmes et leur lucidité, Fleur pour qui « le stress change [s]on cerveau en gélatine molle » (p.213). Elles sont toutes sans pitié avec la famille et son pauvre soutien, sans peur de choquer personne, la parole libre puisque de route façon elles ne font pas partie du monde des autres. Fleur et Harmonie nous incitent à nous plonger dans le rire de la grosse dame qui danse et de la jeune fille fragile qui tape dans les murs et insulte copieusement ses interlocuteurs. Alors finalement l'on rit de tout dans ce roman, tant que le respect et l'empathie sont là. Cette constatation est d'une banalité confondante ? Absolument. Pourtant, on en ressort d'autant plus convaincu après cette lecture.
Avec pour certains l'envie de monter au créneau, changer de regard et se battre pour une société plus compréhensive...


Marie-Sabine Roger, Les bracassées -Editions du Rouergue – 9782812616358 - 20

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire