Que vivent les bras-cassés et rions de tout !
Deux
femmes, Fleur et Harmonie, racontent avec humour et tendresse
(impitoyables souvent aussi) la lutte pour la vie et l'amitié. Pas
celle de la faim et la soif. La lutte pour la survie sociale quand on
est un oiseau rare, qui a « bataillé double pour être et pour
avoir » (p.143). Handicap et indignité admise ou alors
construire un nouvel art du regard.
Peut-on
rire de tout ? La question divise. Il y aura sans doute ceux qui
l'affirment fermement Oui l'on peut rire de tout tant que... et ceux
qui le récusent avec véhémence et concision : Non.
L'argumentation manque de panache. Toujours est-il que voilà l'un
des sujets qui agitent souvent les média. Les Bracassées
l'illustre.
Ce
roman n'est certainement pas un livre polémique. Disons qu'il est
bien plus subtil que cela..., tendre et drôle. Seulement, la lecture
de ce roman peut prendre un tour engagé, socialement parlant. Encore
une fois, là ne réside peut-être pas l'intention première de
l'auteure. Quoi que... Peut-on mettre en scène Fleur Vieille dame
obèse agoraphobe et angoissée de tout en général, Harmonie
atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette, Elvire d'un nystagmus,
Tonton femme des plus viriles et Monsieur Poussin très vieux et très
laid ? Peut-on mettre en scène cette bande de bras cassés sans
s'engager un peu, au moins un peu ? Question rhétorique à
laquelle votre lecture répondra comme votre sensibilité l'entendra.
Car
ce roman fait appel à la sensibilité du lecteur et l'interpelle
dans des émotions assez intimes. Un ton léger, entraînant, comme
une jolie chanson, une écriture fluide et qui fera nécessairement
sourire, pour parler de vraies douleurs. Il s'agit de faire partie
d'une minorité, d'être jugé, d'être mis dans une case, moqué,
exclu bien sûr. Tous ces personnages sont en effet socialement
exclus, n'ont qu'un entourage extrêmement restreint, voire
uniquement composé d'un animal. Pas de pathétique au rendez-vous.
Marie-Sabine Roger évite sans aucune difficulté cet écueil. Pas
non plus de révolte stérile. Un roman de rencontres et d'amitiés
entre infirmes de notre société hyper-normative.
Le
mot n'est pas galvaudé : il s'agit bien d'être infirme,
handicapé par les regards au point pour Fleur, Harmonie (les
bien-nommées !), Elvire, Tonton et Monsieur Poussin de tourner dans
leur solitude en n'espérant pas davantage. L'instinct de survie a
raison de s'habituer à la solitude : « Vivre n 'est pas
le problème. C'est vivre ensemble qui. » (p.257). Mais
l'impuissance apprise est-elle la seule issue ? Finalement, le
premier lien se noue entre les esseulés eux-mêmes, handicapés qui
font peur aux autres mais ne se font pas peur entre eux. Le ghetto
des handicapés ? Bien sûr. Et là réside une pure réalité.
Ils ne sont pas normaux. Cela suffit. Harmonie en effet est
déroutante avec ses Bordel de Pute à tout bouts de champs, Elvire
avec ses yeux foufous, Tonton avec sa manière tout à elle d'être
une femme. Déroutants. Mais la peur dont parle Le vieux monsieur
Poussin est bien celle qui pourrit tout de l'intérieur.
Se
forme la fine équipe, le club des Bracassées, le nouveau club des
Cinq version anti-conformiste, en un seul mot et avec un E parce que
les femmes sont largement majoritaires et que même à soixante-seize
ans, Fleur s'offre le luxe d'un accès de féminisme légitime. « La
volière des oiseaux rares »(p.143)
L'auteure
joue avec l'onomastique pour rire de ses personnages avec eux, pour
leur donner les outils de l'auto-dérision. Il en va de même avec
leurs particularités qu'ils utilisent aussi pour s'amuser, même si
la souffrance n'est à aucun moment déniée. Mais elle est pudique
et tapie dans son coin tranquille.
Les
deux femmes narratrices de ce récit mettent à jour leur propre rire
sur elles-mêmes et leur lucidité, Fleur pour qui « le stress
change [s]on cerveau en gélatine molle » (p.213). Elles sont
toutes sans pitié avec la famille et son pauvre soutien, sans peur
de choquer personne, la parole libre puisque de route façon elles ne
font pas partie du monde des autres. Fleur et Harmonie nous incitent
à nous plonger dans le rire de la grosse dame qui danse et de la
jeune fille fragile qui tape dans les murs et insulte copieusement
ses interlocuteurs. Alors finalement l'on rit de tout dans ce roman,
tant que le respect et l'empathie sont là. Cette constatation est
d'une banalité confondante ? Absolument. Pourtant, on en
ressort d'autant plus convaincu après cette lecture.
Avec
pour certains l'envie de monter au créneau, changer de regard et se
battre pour une société plus compréhensive...
Marie-Sabine
Roger, Les bracassées -Editions
du Rouergue – 9782812616358 - 20€
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