Elle entend la porte se refermer derrière elle. La porte qu’elle connaît par cœur et qui rebondit à peine mais quand même, tout doucement sur la mousse prévue à cet effet. Ce bruit sourd et claquant à la fois.
Elle est sous le porche et elle s’apprête à.
Elle lisse sa jupe. Courte.
Elle a les poubelles tout juste à côté d’elle, à sa gauche. Elle lisse sa jupe. Courte. Elle la lisse encore plus parce que les poubelles lorgnent.
Elle a froid mais elle ne le sent presque pas.
Elle lève les yeux. La jupe est en ordre. Elle observe la rue. Les grands lampadaires. On dirait des dinosaures congelés auxquels on a coupé les pattes et les ailes.
Rien n’est impossible.
Elle pourrait être une longue métamorphose de ptérodactyle. Un immense blase pour signifier le bec. Les crocs ont disparu au fil des siècles. Elle est inoffensive.
L’immense blase qui pointe vers l’avenir. Elle a rêvé combien de fois qu’il s’avère rétractile.
Pas ce soir.
Elle a chaussé sa jupe. Courte. Noire. Elle est sur le pas de l’immeuble. Elle s’installe.
Elle sent la porte derrière elle. Elle ne bouge plus d’un fil. Elle pourrait s’y appuyer si elle voulait. Mais elle ne veut plus.
Elle a pour la première fois hors les murs la jupe. Courte et noire.
Elle a fini avec les lampadaires préhistoriques. Elle revient à elle.
Elle ne connaît pas ses jambes en collant. Elle en a mis un satiné. Un beau et doux. Peut-être pour qu’on la caresse.
Ses jambes ne lui disent rien. Ni bien ni mal. Elles tiennent la route. Elles ressemblent à ce qu’on attend d’elles.
Les chaussures méritent qu’elle s’y arrête un instant. Elle les a d’aujourd’hui. De quelques heures. Elle les a prises comme elle les a toujours voulues. Elle s’est fait aimanter dans le magasin. Elle s’est approchée d’elles. Le reste s’est déroulé en automate.
Les chaussures vernies.
Une fois rentrée, elle les a câlinés.
Elle avait déjà changé de cap.
Elle remue tranquillement les orteils dans les nouvelles chaussures. Vernies. Elles brillent même dans la nuit. Elle leur sourit. Elle relève la tête et se sourit.
Les poubelles n’ont pas bougé.
La porte est muette.
Le monde se tait.
Elle est au bord. Sur le plongeoir. Aucun vertige ne la saisit.
Elle avance d’un pas. Celui qui la dégage du porche. Il ne pleut pas.
Elle pivote et fait face à la porte. Elle lève encore les yeux. Elle observe sa fenêtre. La cuisine. Le carrelage. Le frigo. Les glouglous.
Elle vit là depuis trois cents ans.
Que le temps passe lentement !
Derrière la cuisine, elle se rappelle la chambre. Grise. Impeccable. Belle. Belle comme au magasin. La chambre où elle se glisse le soir. Dès la nuit tombée. Où elle s’enroule. Comme le renard en tanière.
Elle ferme les yeux. La tête en l’air.
Elle n’a jamais fait ça.
Ca donne envie de tourner. Comme dans les tasses volantes d’Eurodisney.
D’écarter les bras pour retrouver les ailes. Et sentir l’air. Le souffle. De la nuit. Et de la route. Les poubelles ne bougent pas.
Elle ne vole pas encore.
Le jour viendra.
Elle ne recule pas sous le porche. Elle revient habilement à sa position de départ. Juste un pas plus avant. Quelques gouttes sur sa tête. Ses boucles vont rebondir plus intrépides. Elle aura les cheveux qu’on regarde en passant.
Elle s’est lentement maquillée. Tout à l’heure.
Elle a tout fait en ralenti. Pour tout sentir. Pour ne plus rien effleurer. Pour toucher à pleines mains.
Elle a courbé ses cils. Affirmé ses sourcils trop clairs. Elle a rosi les joues. Assombri les paupières. Elle a pris tout son temps.
Elle serre les bras au corps. Les pieds l’un contre l’autre. Brillants. Elle se tient droite. Très droite. Elle claque la langue. Hausse le menton. Rit sous cape.
Elle se tourne vers les poubelles ; elle jette ses clefs dans celle qui ouvre le bec.
Elle s’avance jusqu’au trottoir. Et se met à dévaler la côte jusqu’à la ville et toutes ses fêtes. Elle va danser. Elle ne reviendra pas
Et elle ira derrière la ville aussi.
Ce matin, le père est mort. Le ventre est lisse comme une mer d’huile. Le bébé cage, le bébé fou s’en est allé.
La vie commence enfin. A toute allure.
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