Noyeuse

Ne croyez pas un traître mot de ce que je raconte.
N'y croyez surtout pas.
Dites-vous que tout est plus sombre, plus lourd, plus douloureux.
Dites-vous que tout ce que vous pensez légitime n'est qu'un leurre omnivore.
Dites-vous que vous êtes au spectacle et que l'actrice, à défaut d'être honnête
femme,
est talentueuse.
Admirez le jeu.
Applaudissez la performance.
N'appréciez pas l'être en mouvement.
La vraie bête est tapie au creux du dos.
Elle a honte.
Mais elle grogne,
se plaint,
gémit la plupart du temps.
Elle ne sera jamais plus qu'une hybride bâtarde informe
effrayée,
effarouchée par une mouche,
effondrée avant tout commencement,
effilochée,
effarée par la violence imaginée du monde.
Alors,
n'admirez pas,
ne relevez pas la
bonne humeur,
les
rires sourires,
le
regard attentif,
la
présence accueillante,
le
tout joli,
mignon,
gentil,
chienchien,
toutou,
soumis,
angoisse coupable.
Attention !
On va me mordre
à mort !
Tout est de ma faute,
dois me racheter.
Pas le droit d'être là.
Pas le droit de parler
sauf pour dire rien
faux
spectacle
magie
du masque
et accessoires.
Pâle
imitation
du vivant
et ses
mouvances.
Avec le temps,
appris
les gestes,
réponses
et cris
permis
et interdits.
C'est bien
ou il faut pas.
Appris
tatoué
les règles
désirs
espoirs
malheurs
normaux.
Appris
à cœur,
tout autour de l'organe,
calligraphié,
sur les artères
et toutes parois
le règlement,
les pourcentages,
les vérités sûres et certaines.
Appris leçon
après leçon,
troublée d'impatience
à faire
semblant,
à remonter à bord,
après tous les hoquets.
Monter tout court.
Suis née noyante.
Voulu noyée.
Pas su.
Pas le choix.
Accrochée des années à un minable morceau de coque,
parmi les naufragés,
parfaitement seule.
Accrochée des années,
balayée sans vergogne
par les vents
féroces
siffleurs mesquins.
Accrochée des années
à regarder en haut,
capter
et imprimer.
Jusqu'à se hisser,
hors d'eau,
au sec,
sans trop y croire,
sans s'arroger jamais jusqu'à maintenant le droit
d'y croire
de reposer.
Je suis une noyante
noyeuse,
notable éternelle.
Appris, appris, appris
à noyer mon prochain
sous mes bouffonneries ;
à noyer dans la masse
en experte agréée ;
à noyer le poisson tout le jour
sans la nuit.
L'ombre tombe,
reparaît la citrouille,
à rêver de rigolade.
Le fauteuil IMC est prêt,
à l'entrée du chez soi.
Plus rien ne porte l'humanité.
Je suis une chose.
Impuissante.
Immobile.
Triste haineuse.

Vous vous trompez sur moi
et tous les autres.
Appris
vos gestes,
réponses
et cris.
Je suis un faux.
Arrêtez-moi !