mercredi 22 janvier 2014

Premier contact (34)

Je me suis lancé, j’ai hélé la gosse. Doucement hein, je suis pas un macho. Et puis, le dragon dort. Je me suis approché. Je lui ai demandé. « Ca va Mademoiselle ? Vous n’avez pas l’air en forme. » Elle m’a regardé d’un air ahuri. J’étais comme un alien. Elle était aussi surprise que si j’étais pas sensé exister. Elle m’a fixé sur place tellement je devais être bizarre pour elle. J’ai plus bougé et j’ai attendu la réponse. Elle est jamais arrivée. J’ai été patient. J’ai bien vu qu’elle était mal en point. Bien sûr que j’avais déjà vu qu’elle était mal en point. Mais de près, les yeux dans les yeux, c’était encore plus clair. Je me suis tout de suite dit que j’avais fichtrement bien fait de venir lui dire deux mots. Et je me suis aussi dit que je savais franchement pas comment j’allais me dépatouiller de ce merdier. Parce que j’ai plongé dedans dès mes premiers mots. C’est une fille à problèmes, ils disent les gars. Il y a pas mal de bonhommes qui parlent comme ça. Moi, j’ai jamais bien compris ce que ça voulait dire. On est tous des problèmes. Plus ou moins. Souvent plus que moins, qu’on soit bonhomme ou bonne femme. Je vois pas le fossé entre les deux. Ca a l’air sacrément différent pour les autres. Moi je trouve qu’on est tous archi compliqués. Pour le reste, j’en dis pas plus. Je trouve qu’on peut pas savoir. A part peut-être être un grand savant et ce genre de choses. Mais pas moi avec ma bétonneuse sur mon chantier parisien. J’en sais rien ce qui se tricote dans les têtes des gens moi ! et je veux pas dire que j’ai tout compris. Ca m’énerve ça. Et puis, c’est les sales cons qui disent ça. « J’ai tout compris, pas la peine de se casser la tête. » Ca me met en boule ces blaireaux-là. Mon père c’était bien un de ceux-là. Eh ben, il fait pas bon vivre avec, je peux vous l’assurer. La gosse en revient pas que je sois là devant elle à lui demander si elle tient le coup. Parce qu’elle a l’air d’avoir bien capté que c’est ça que je lui demande, pas moins que ça. Ou alors, elle comprend même pas que quelqu’un lui ouvre son bec. Je sais pas décider ce qui se passe dans sa caboche. Elle pourrait se mettre à fumer bientôt j’  ai l’impression. Je répète ma question, histoire de l’assurer. « Ca va Mademoiselle ? Vous n’avez pas l’air en forme. » Cette fois, elle réagit. Elle sursaute et elle essaye de retenir sa tête qui tangue vers l’épaule gauche, comme ce matin. Elle peut rien faire contre. Et 1,2,3 petits coups de tête sur l’épaule qui vient à sa rencontre. Elle a l’air mieux après ça. Elle répond pas quand même. Elle hoche la tête et murmure « Mmmmh. 
-          Ok. Ca veut dire que ça va aller alors ?
-          Mmmmh.
-          Bon, si vous avez besoin, je peux vous appeler un médecin, hein.
-          Jamais de médecin Monsieur.
-           
Elle sourit mystérieusement. J’y comprends pas grand-chose.

-          Ok ; Bin je vous force pas mais faudrait peut-être mieux que vous en voyez un quand même. Vous êtes très pâlotte. Vous allez pas vous évanouir chez vous quand même ? Et personne s’en rendrait compte, vous imaginez ?
-          Je ne m’évanouis pas. Ca n’est jamais arrivé. Ca n’arrivera jamais. Il en va ainsi.
-           
Elle parle comme un livre la gosse. C’est pas que ça me surprend d’elle mais ça surprend toujours d’un jeune comme ça. Elle est pas avec sa canne et ses vieux bouquins mietteux.
Je sais pas pourquoi je me suis mis à autant lui parler. C’est sorti tout seul. Je voulais pas être indiscret mais je veux pas me réveiller demain et apprendre des choses pas jolies. Je me connais en plus, si j’ai pas fait tout ce que je pouvais, je me retrouve à me tourner et retourner dans mon pieu du soir au matin. Et ça, non merci. Je préfère prendre le risque que la gosse pète un plomb. Au moins, j’aurais tout essayé.

-          Je veux pas m’immiscer Mademoiselle. C’est juste que j’ai l’habitude de vous voir passer le matin et le soir. Et c’est toujours la même heure, depuis des mois que je suis là. Sauf aujourd’hui. Alors, vous comprenez bien, je m’inquiète. Et je vous l’ai déjà dit, vous avez vraiment la tête à l’envers.
-          Vous êtes un dragueur hors pari Monsieur. Où avez-vous appris cette technique-là ? Je vous préviens, ce n’est pas vraiment le bon moyen.
-          Oh non ! c’était pas du tout ce que je voulais ! vous vous trompez Mademoiselle. C’est juste que je m’intéresse aux gens et…
-          Oui oui, je plaisante. J’essayais de faire comme les autres femmes font quand un homme les aborde dans la rue. Je me doute que vous n’êtes pas là pour me courtiser. Ca ne m’arrive pas. Ca ne m’arrive jamais.
-         
-          Eh bien, mon vieux, ne faites pas cette tête. Vous avez l’air d’un bœuf. Je pensais que vous étiez un mec ouvert, pour avoir pris l’initiative de venir me parler comme ça, pour prendre de mes nouvelles. Pas fraîches entre nous.
-         
-          Je me sens très mal en effet aujourd’hui. C’est la fin du mois. Ca ne me réussit pas. Ca ne me réussit jamais.
-          Mais je ne vous ai jamais vue aussi patraque.
-          Oh oui, vous avez raison, la fin du mois au mois de mars, ça m’abat.
-          Ah bon.
-          Bien oui.
-           
Elle chancelle et tremblotte. Coups de tête.

-          Vous ne voulez pas que je vous raccompagne jusque chez vous ?
-          Oh sûrement pas. Pour qui me prenez-vous ? Je ne suis pas une infirme. Vous avez cru que j’étais une handicapée ?
-          Euh… non pas du tout mais…
-          Continuez vos travaux, vous êtes bien plus utile par là. Au fait, si je tombe avant le coin, vous me ramasserez n’est-ce pas ?
-         
-          Vous n’êtes pas un peu siphonné vous ?
-          Sûrement un peu oui.
Nous sourions tous les deux. Sans doute pas de la même chose.


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