vendredi 31 août 2018

Alain Mabanckou, Les cigognes sont immortelles – Editions du Seuil

Rêver contre la guerre 

Quelques jours, une petite famille, sans histoires, un petit pays d'Afrique récemment apaisé. La violence politique éclate pourtant jusque dans l'intimité des vies simples et même dans l'esprit poète et rêveur du jeune Michel. Devra-t-il cesser de rêver ou serait-ce son arme fatale ?

Trois jours durant lesquels nous suivons Michel, treize ans, dans sa vie de tous les jours. Mais ces jours-ci ne sont pas des jours comme les autres : le camarade président Marien Ngouabi Chef de l'Etat du Congo s'est fait assassiner. C'est comment Michel, Papa Roger et Maman Pauline traversent ces graves événements politiques de Mars 1977 que nous raconte Les cigognes sont immortelles. C'est la vie intime, celle de l'individu et de sa famille qui s'entremêlent absolument à la vie politique, deux échelles qui s'entrechoquent aussi éloignées qu'elles paraissent l'une de l'autre.
Bien sûr, c'est l'occasion pour Alain Mabanckou de mettre en lumière une partie des rouages du pouvoir, ceux de son pays natal. Ce ne sont que trois jours que nous vivons là et pourtant ce tout petit laps de temps nous offre de nombreuses clefs pour comprendre. Ce sont sans doute des clefs que nous n'aurions même pas chercher, sauf à être spécialisé en politique africaine ou encore plus précisément congolaise. Se découvre véritablement une Histoire inconnue pour la plupart d'entre les lecteurs, probablement, et notre France paraît bien lointaine. L'auteur sait nous plonger dans ces quelques jours fous, tout en sourdine. Et en même temps, à qui cela ne rappelle-t-il pas l'exercice du pouvoir où qu'il soit et quelle qu'en soit l'époque ?
Certains passages peuvent perdre le lecteur qui doit se montrer tenace car les noms s'accumulent et les informations se multiplient. On ne comprend pas tout. Mais peut-être est-ce bien là le but recherché par Alain Mabanckou que de, comme Michel, nous noyer par moments dans l'incompréhension des mécanismes politiques.
On y entend en tout cas l'endoctrinement de l'enfant dès son plus jeune âge, à l'école et en famille, pris par l'affect et la pensée commune imposée. On y entend la pluralité complexe des ethnies qui se partagent un pays découpé par les colonisateurs. On y entend la polygamie usuelle. On y entend le pouvoir des Blancs. Pas de drame, pas de mise en scène catastrophe alors que pourtant... Mais le constat est là.

Le style faussement naïf du narrateur, Michel étant un héros rêveur et peu concerné par la vie adulte, glisse avec douceur. Sous ses airs pacifiques et drolatiques, le récit de Michel est profondément ironique mais Michel lui ne le sait pas. Et ces deux voix qui se choquent dans la tête du lecteur interpellent. La violence et la critique souvent acerbe sont omniprésentes. Et l'on ne s'en rend presque compte qu'à la toute fin de ce roman.
Michel, comme nous le disions, est un rêveur patenté et son imaginaire imprègne le roman de bout en bout. L'imaginaire n'est pas un invité qui prend place de temps à autre ou qui même évincerait le réel. Imaginaire et réel ont leur place respective dans le même espace. Par moments, cet imaginaire pleins de couleurs et de métaphores effacent le langage qui n'est plus qu'un instrument. Et surgissent des tableaux saugrenus, faussement naïfs encore une fois, pleins d'animaux, de fruits et d'objets presque vivants.
Ce monde fait penser à des œuvres du Douanier-Rousseau : à regarder de beaucoup plus près que ceux qui crient fort leur révolte et leur art.

Les cigognes sont immortelles est-il un témoignage romancé de l'écrivain ? Sans doute voilà des pages où des convictions s'affirment. Pas seulement : la poésie du quotidien, l'efficacité de cette écriture primesautière et ironique, humble et lourde de sens.
Et l'on imagine sans mal l'auteur caché au fond de la salle, petit sourire en coin, des yeux d'enfant rieur, plus subtil que la guerre et les cris.


Alain Mabanckou, Les cigognes sont immortelles – Editions du Seuil – 9782021304510 – 19,50

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