Rêver
contre la guerre
Quelques
jours, une petite famille, sans histoires, un petit pays d'Afrique
récemment apaisé. La violence politique éclate pourtant jusque
dans l'intimité des vies simples et même dans l'esprit poète et
rêveur du jeune Michel. Devra-t-il cesser de rêver ou serait-ce son
arme fatale ?
Trois
jours durant lesquels nous suivons Michel, treize ans, dans sa vie de
tous les jours. Mais ces jours-ci ne sont pas des jours comme les
autres : le camarade président Marien Ngouabi Chef de l'Etat du
Congo s'est fait assassiner. C'est comment Michel, Papa Roger et
Maman Pauline traversent ces graves événements politiques de Mars
1977 que nous raconte Les cigognes sont immortelles. C'est la
vie intime, celle de l'individu et de sa famille qui s'entremêlent
absolument à la vie politique, deux échelles qui s'entrechoquent
aussi éloignées qu'elles paraissent l'une de l'autre.
Bien
sûr, c'est l'occasion pour Alain Mabanckou de mettre en lumière une
partie des rouages du pouvoir, ceux de son pays natal. Ce ne sont que
trois jours que nous vivons là et pourtant ce tout petit laps de
temps nous offre de nombreuses clefs pour comprendre. Ce sont sans
doute des clefs que nous n'aurions même pas chercher, sauf à être
spécialisé en politique africaine ou encore plus précisément
congolaise. Se découvre véritablement une Histoire inconnue pour la
plupart d'entre les lecteurs, probablement, et notre France paraît
bien lointaine. L'auteur sait nous plonger dans ces quelques jours
fous, tout en sourdine. Et en même temps, à qui cela ne
rappelle-t-il pas l'exercice du pouvoir où qu'il soit et quelle
qu'en soit l'époque ?
Certains
passages peuvent perdre le lecteur qui doit se montrer tenace car les
noms s'accumulent et les informations se multiplient. On ne comprend
pas tout. Mais peut-être est-ce bien là le but recherché par Alain
Mabanckou que de, comme Michel, nous noyer par moments dans
l'incompréhension des mécanismes politiques.
On
y entend en tout cas l'endoctrinement de l'enfant dès son plus jeune
âge, à l'école et en famille, pris par l'affect et la pensée
commune imposée. On y entend la pluralité complexe des ethnies qui
se partagent un pays découpé par les colonisateurs. On y entend la
polygamie usuelle. On y entend le pouvoir des Blancs. Pas de drame,
pas de mise en scène catastrophe alors que pourtant... Mais le
constat est là.
Le
style faussement naïf du narrateur, Michel étant un héros rêveur
et peu concerné par la vie adulte, glisse avec douceur. Sous ses
airs pacifiques et drolatiques, le récit de Michel est profondément
ironique mais Michel lui ne le sait pas. Et ces deux voix qui se
choquent dans la tête du lecteur interpellent. La violence et la
critique souvent acerbe sont omniprésentes. Et l'on ne s'en rend
presque compte qu'à la toute fin de ce roman.
Michel,
comme nous le disions, est un rêveur patenté et son imaginaire
imprègne le roman de bout en bout. L'imaginaire n'est pas un invité
qui prend place de temps à autre ou qui même évincerait le réel.
Imaginaire et réel ont leur place respective dans le même espace.
Par moments, cet imaginaire pleins de couleurs et de métaphores
effacent le langage qui n'est plus qu'un instrument. Et surgissent
des tableaux saugrenus, faussement naïfs encore une fois, pleins
d'animaux, de fruits et d'objets presque vivants.
Ce
monde fait penser à des œuvres du Douanier-Rousseau : à
regarder de beaucoup plus près que ceux qui crient fort leur révolte
et leur art.
Les
cigognes sont immortelles est-il un témoignage romancé de
l'écrivain ? Sans doute voilà des pages où des convictions
s'affirment. Pas seulement : la poésie du quotidien,
l'efficacité de cette écriture primesautière et ironique, humble
et lourde de sens.
Et
l'on imagine sans mal l'auteur caché au fond de la salle, petit
sourire en coin, des yeux d'enfant rieur, plus subtil que la guerre
et les cris.
Alain
Mabanckou, Les cigognes sont immortelles – Editions du Seuil
– 9782021304510 – 19,50€
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