samedi 25 août 2018

Jérôme Ferrari, A son image – Editions Actes Sud


A son image et à sa guise : requiem argentique


Jérôme Ferrari nous plonge au cœur de la vie de l’Île de Beauté. Ce n'est pas sa beauté pourtant que raconte A son image mais son histoire, ses guerres, les luttes vaines des hommes qui ne savent au final pas qui ils sont. Malgré la foi, malgré les images, malgré les morts.


       Dieu créa l'homme à son image. Quelle image ? Quel Dieu ? Quel homme ? Ce roman prend la forme d'un enterrement religieux, il suit les chants d'un requiem et en porte toute la solennité. Le temps est à la gravité et il ne s'agit pas d'y échapper comme on le fait si souvent, par peur ou par pudeur.

       Cette cérémonie est l'occasion de s'enfoncer dans la Corse des villages et dans cette vie insulaire si particulière. Ce sont la culture et les règles de cette société qui sont dépeintes. Le touriste est un intrus dans ce roman. La religion et son poids pèsent mais ce sont également d'autres croyances qui sont en jeu et qui enferment des vies dans des croisades tout aussi ridicules et dangereuses. Les yeux d'Antonia ont vu cette inanité de la violence quelque forme qu'elle prenne. Mais le choix est ardu entre des combats engagés et vains et « l'habituel triomphe de l'apathie » (p.193-194) face à eux.

      Antonia derrière son appareil photo comprend peu à peu ce dilemme qui tenaille ses pairs, qui en réalité la prend elle aussi aux tripes. Elle a foi en son art de la photographie. Elle croit en son pouvoir. Elle lui attribue des magies, elle que les dogmes des autres laissent de marbre. Mais la photographie n'est autre qu'un culte parmi d'autres : elle capte un instant, une éphémérité exaspérante, elle crie la mort par sa fugacité et elle reste impuissante à témoigner et à sauver quiconque. L'apathie dirige le monde et les yeux se détournent. L'image sans un regard ne change rien. La photographie ou l'art de la mort.
Au final, peut-être vaut-il mieux que les yeux se baissent ou se ferment car Méduse est tapie là, partout, derrière chaque image. Prête à pétrifier. Prête à crever les yeux de celui qui sera trop droit. Le mensonge est salvateur et l'aveuglement va de pair. Tout n'est pas à voir semble-t-il. Pourquoi se laisser happer par la Gorgone aux cheveux de serpent si l'on peut s'y soustraire ?
L'idéalisme est battu en brèche et dans le vif par Jérôme Ferrari. L'attachant personnage du parrain témoigne, sans photo, mais dans son cœur et ses pensées de la vie de celle qu'il a aimée plus que tout au monde, peut-être même davantage que Dieu. Lui aussi effectue sa traversée du désert. Chaque personnage affronte le réel et s'en déçoit, mais s'en relève aussi. Parce qu'il faut vivre. Et quand la mort surgit, elle est absurde et inattendue.

         A son image est aussi sombre que riche. Pas de faux-semblant. Pas de flagorneries. La complaisance est exclue. Ne pas s'attendre à flâner rêveusement dans les tendres villages corses. Jérôme Ferrari fait sonner en nous le cor de la morale, entremêle des mondes réels, mythologiques et artistiques et ce, en empruntant un imprévisible chemin de traverse. Imprévisible car invisible. Le monde de la photographie s'ouvre au lecteur et l'amour de l'auteur pour cet art nous contamine, aussi néophyte qu'il soit en la matière. Des vocations naîtront.


Jérôme Ferrari, A son image – Editions Actes Sud – 9782330109448 - 19

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