A
son image et à sa guise : requiem argentique
Jérôme
Ferrari nous plonge au cœur de la vie de l’Île de Beauté. Ce
n'est pas sa beauté pourtant que raconte A son image mais son
histoire, ses guerres, les luttes vaines des hommes qui ne savent au
final pas qui ils sont. Malgré la foi, malgré les images, malgré
les morts.
Dieu
créa l'homme à son image. Quelle image ? Quel Dieu ? Quel
homme ? Ce roman prend la forme d'un enterrement religieux, il
suit les chants d'un requiem et en porte toute la solennité. Le
temps est à la gravité et il ne s'agit pas d'y échapper comme on
le fait si souvent, par peur ou par pudeur.
Cette
cérémonie est l'occasion de s'enfoncer dans la Corse des villages
et dans cette vie insulaire si particulière. Ce sont la culture et
les règles de cette société qui sont dépeintes. Le touriste est
un intrus dans ce roman. La religion et son poids pèsent mais ce
sont également d'autres croyances qui sont en jeu et qui enferment
des vies dans des croisades tout aussi ridicules et dangereuses. Les
yeux d'Antonia ont vu cette inanité de la violence quelque forme
qu'elle prenne. Mais le choix est ardu entre des combats engagés et
vains et « l'habituel triomphe de l'apathie » (p.193-194)
face à eux.
Antonia
derrière son appareil photo comprend peu à peu ce dilemme qui
tenaille ses pairs, qui en réalité la prend elle aussi aux tripes.
Elle a foi en son art de la photographie. Elle croit en son pouvoir.
Elle lui attribue des magies, elle que les dogmes des autres laissent
de marbre. Mais la photographie n'est autre qu'un culte parmi
d'autres : elle capte un instant, une éphémérité
exaspérante, elle crie la mort par sa fugacité et elle reste
impuissante à témoigner et à sauver quiconque. L'apathie dirige le
monde et les yeux se détournent. L'image sans un regard ne change
rien. La photographie ou l'art de la mort.
Au
final, peut-être vaut-il mieux que les yeux se baissent ou se
ferment car Méduse est tapie là, partout, derrière chaque image.
Prête à pétrifier. Prête à crever les yeux de celui qui sera
trop droit. Le mensonge est salvateur et l'aveuglement va de pair.
Tout n'est pas à voir semble-t-il. Pourquoi se laisser happer par la
Gorgone aux cheveux de serpent si l'on peut s'y soustraire ?
L'idéalisme
est battu en brèche et dans le vif par Jérôme Ferrari. L'attachant
personnage du parrain témoigne, sans photo, mais dans son cœur et
ses pensées de la vie de celle qu'il a aimée plus que tout au
monde, peut-être même davantage que Dieu. Lui aussi effectue sa
traversée du désert. Chaque personnage affronte le réel et s'en
déçoit, mais s'en relève aussi. Parce qu'il faut vivre. Et quand
la mort surgit, elle est absurde et inattendue.
A
son image est aussi sombre que riche. Pas de faux-semblant. Pas
de flagorneries. La complaisance est exclue. Ne pas s'attendre à
flâner rêveusement dans les tendres villages corses. Jérôme
Ferrari fait sonner en nous le cor de la morale, entremêle des
mondes réels, mythologiques et artistiques et ce, en empruntant un
imprévisible chemin de traverse. Imprévisible car invisible. Le
monde de la photographie s'ouvre au lecteur et l'amour de l'auteur
pour cet art nous contamine, aussi néophyte qu'il soit en la
matière. Des vocations naîtront.
Jérôme
Ferrari, A son image – Editions Actes Sud – 9782330109448
- 19€
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