lundi 20 août 2018

Eric Fottorino, Dix-sept ans – Editions Gallimard


Petite maman n'avait que dix-sept ans : les origines


Eric Fottorino nous invite à une plongée dans l'extrême. Pas celui du saut à l'élastique, de l'expédition au cœur de la jungle. Un extrême bien plus terrifiant, qui nous concerne tous : celui de notre intimité la plus ultime.

        Le narrateur nous invite dans son intimité la plus profonde. N'ayons pas peur des mots. Aussi profonde et intestine que peut l'être l'intimité. Aussi cru et cruelle, dans le tréfonds des entrailles.
Avec ces mots, Eric cesse de se défiler. Il a fui, pendant plus de cinquante ans, il a fui. Pas vraiment son histoire. Il a fui sa mère. Sa toute petite maman qu'il ne peut pas appeler autrement que par son prénom Lina, parce qu'à dix-sept ans, est-on une mère ? Est-elle vraiment sa mère ? Mais au fur et à mesure, il s'aperçoit que la question n'est pas là. Eric part à la recherche de ses origines. Voyage initiatique sur le tard. Il retrace depuis sa vie intra-utérine jusqu'à aujourd'hui ce qui a tissé cette relation de désamour qu'il entretient avec sa mère. Il ne la connaît pas. Il la méconnaît. Il ne peut pas la toucher ni la laisser le toucher. Il ne peut pas l'aimer. Et il ne comprend pas. Ou il croit comprendre mais son intuition lui dit qu'il se trompe. Qu'il n'a pas tout vu ni tout entendu.
Les fantasmes dans leur plus grande impudeur sont évoqués, impudiques oui mais bien réels et tout répugnants qu'ils puissent paraître si on les évite, ils sont les plus puissants. Mais, les regarder en face ne peut-il pas enfin soulager et faire tomber le dégoût et la rancœur ?
        Le désespoir, l'amertume, la douleur ancrée des origines fracassées, recollées, brisées à nouveau, toujours fissurées s'écrivent au fil des pages. La violence des émotions est au rendez-vous et le cœur du lecteur doit être bien accroché. La haine de soi, jamais vraiment dite, jamais vraiment loin avec cette entrée ratée dans la vie : « comme si ma vie avait commencé par une faute de goût.» (p.37) raconte Eric. L'authenticité de ce récit est prégnante.
Le narrateur nous entraîne dans les méandres de la mémoire et les bouffonneries de l'oubli. Tout se reconstruit car l'oubli œuvre, comme un insensé croit-on de prime abord. Mais le bouffon est toujours plus sage que celui qui se dit tel. L'oubli protège et atténue les douleurs, les amours insupportables et l'abandon à chaque coin de rue. L'oubli est un bouffon à apprivoiser et il laisse courtoisement sa place quand la conscience s'éveille vraiment. Il n'a alors plus lieu d'être, il découvre ses tours et le voile se lève.
La famille... Un immense sac de nœuds où les masques sont multiples et se superposent, où l'on fait croire avec le plus grand sérieux cette fois-ci les choses les plus fausses mais dans lesquelles on a foi. Les luttes de pouvoir, la haine et la rage sont là, partout. Et les usurpateurs ne sont pas ceux qu'on croit. Les méchants et les gentils n'existent plus. Chacun a sa nuance de gris, nébuleuse et singulière. Indomptable. Il s'agit de se souvenir et puis, de faire avec.
        Dans cette aventure intérieure, la nature et les sensations qu'elle suscite sont omniprésentes. Elles rythment la marche vers l'histoire et aident à reconstruire les ruines. Nice, la Charente, les paysages, leurs couleurs, le bleu partout où Eric s'arrête et comprend. La poésie des sensations vient bercer la violence de l'intime à nu. Certainement révèle-t-elle aussi la poésie propre de l'intime.
       Le fin mot de l'histoire est une boutade, comme l'oubli-bouffon, mais bien plus véridique que les grandiloquences : « L'être humain est comme une mayonnaise. Pour que ça prenne, il faut verser les ingrédients au bon moment. Sinon rien ne se passe, c'est trop tard.» (p.68-69) Eric Fottorino nous offre un écrit d'un grand courage, le plus grand courage sans doute dont on puisse faire preuve. A admirer avec humilité.


Eric Fottorino, Dix-sept ans – Editions Gallimard- 9782070141128 – 20,50

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