Petite
maman n'avait que dix-sept ans : les origines
Eric
Fottorino nous invite à une plongée dans l'extrême. Pas celui du
saut à l'élastique, de l'expédition au cœur de la jungle. Un
extrême bien plus terrifiant, qui nous concerne tous : celui de
notre intimité la plus ultime.
Le
narrateur nous invite dans son intimité la plus profonde. N'ayons
pas peur des mots. Aussi profonde et intestine que peut l'être
l'intimité. Aussi cru et cruelle, dans le tréfonds des entrailles.
Avec
ces mots, Eric cesse de se défiler. Il a fui, pendant plus de
cinquante ans, il a fui. Pas vraiment son histoire. Il a fui sa mère.
Sa toute petite maman qu'il ne peut pas appeler autrement que par son
prénom Lina, parce qu'à dix-sept ans, est-on une mère ?
Est-elle vraiment sa mère ? Mais au fur et à mesure, il
s'aperçoit que la question n'est pas là. Eric part à la recherche
de ses origines. Voyage initiatique sur le tard. Il retrace depuis sa
vie intra-utérine jusqu'à aujourd'hui ce qui a tissé cette
relation de désamour qu'il entretient avec sa mère. Il ne la
connaît pas. Il la méconnaît. Il ne peut pas la toucher ni la
laisser le toucher. Il ne peut pas l'aimer. Et il ne comprend pas. Ou
il croit comprendre mais son intuition lui dit qu'il se trompe. Qu'il
n'a pas tout vu ni tout entendu.
Les
fantasmes dans leur plus grande impudeur sont évoqués, impudiques
oui mais bien réels et tout répugnants qu'ils puissent paraître si
on les évite, ils sont les plus puissants. Mais, les regarder en
face ne peut-il pas enfin soulager et faire tomber le dégoût et la
rancœur ?
Le
désespoir, l'amertume, la douleur ancrée des origines fracassées,
recollées, brisées à nouveau, toujours fissurées s'écrivent au
fil des pages. La violence des émotions est au rendez-vous et le
cœur du lecteur doit être bien accroché. La haine de soi, jamais
vraiment dite, jamais vraiment loin avec cette entrée ratée dans la
vie : « comme si ma vie avait commencé par une faute de
goût.» (p.37) raconte Eric. L'authenticité de ce récit est
prégnante.
Le
narrateur nous entraîne dans les méandres de la mémoire et les
bouffonneries de l'oubli. Tout se reconstruit car l'oubli œuvre,
comme un insensé croit-on de prime abord. Mais le bouffon est
toujours plus sage que celui qui se dit tel. L'oubli protège et
atténue les douleurs, les amours insupportables et l'abandon à
chaque coin de rue. L'oubli est un bouffon à apprivoiser et il
laisse courtoisement sa place quand la conscience s'éveille
vraiment. Il n'a alors plus lieu d'être, il découvre ses tours et
le voile se lève.
La
famille... Un immense sac de nœuds où les masques sont multiples et
se superposent, où l'on fait croire avec le plus grand sérieux
cette fois-ci les choses les plus fausses mais dans lesquelles on a
foi. Les luttes de pouvoir, la haine et la rage sont là, partout. Et
les usurpateurs ne sont pas ceux qu'on croit. Les méchants et les
gentils n'existent plus. Chacun a sa nuance de gris, nébuleuse et
singulière. Indomptable. Il s'agit de se souvenir et puis, de faire
avec.
Dans
cette aventure intérieure, la nature et les sensations qu'elle
suscite sont omniprésentes. Elles rythment la marche vers l'histoire
et aident à reconstruire les ruines. Nice, la Charente, les
paysages, leurs couleurs, le bleu partout où Eric s'arrête et
comprend. La poésie des sensations vient bercer la violence de
l'intime à nu. Certainement révèle-t-elle aussi la poésie propre
de l'intime.
Le
fin mot de l'histoire est une boutade, comme l'oubli-bouffon, mais
bien plus véridique que les grandiloquences : « L'être
humain est comme une mayonnaise. Pour que ça prenne, il faut verser
les ingrédients au bon moment. Sinon rien ne se passe, c'est trop
tard.» (p.68-69) Eric Fottorino nous offre un écrit d'un grand
courage, le plus grand courage sans doute dont on puisse faire
preuve. A admirer avec humilité.
Eric
Fottorino, Dix-sept ans – Editions Gallimard- 9782070141128
– 20,50€
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