vendredi 10 août 2018

Eric Dupond-Moretti, réalisé avec Laurence Monsénégo, Le dictionnaire de ma vie -Editions Kero

Doutez, écoutez, interrogez et indignez(-vous) !


      «La bataclanisation des esprits », « l'ère de la transpercence », « l'hyper réglementation », l'ygiénisme » etc. Néologismes pour décrire la société qui émerge et frapper les esprits. Dénoncer. Éveiller. Faire rire. Surtout faire penser. Une lecture ébouriffante.

            Le Dictionnaire de ma vie d'Eric Dupond-Moretti ne raconte certainement pas la vie de l'homme. Quelques éléments biographiques certes. Utiles et efficaces. Pas de narcissisme mal placé. D'aucuns pourront dire qu'écrire ce livre est en soi une parade de grand avocat médiatique qui se montre. Ils auront tous les droits de le dire. Mais alors, soit ils n'auront pas lu ce livre et en parleront sans savoir (qu'y a-t-il de plus malhonnête ?), soit ils l'auront lu sans se départir de leurs a priori. Alors, est-ce la peine de lire ? Un livre vous ouvre à d'autres horizons. S'il n'y a pas de place pour celui qui écrit, autant ne pas salir le livre de cette lecture peut-être bien davantage narcissique. Bien sûr il sait user de la langue et en jouer, et y jouer aussi, il sait construire son discours. Tant mieux. Le texte est intéressant et captivant. C'est un plaisir. Ne boudons pas notre plaisir alors ! Et si le lecteur a peur d'être convaincu, fasciné ou mieux, dérangé et inquiété par ce discours ? Où se situe donc le vrai danger : dedans ou dehors ? Levons les yeux sur le miroir qui nous fait face.
Eric Dupond-Moretti réalise avec Laurence Monsénégo un ouvrage sur la société actuelle. C'est de notre monde qu'il nous parle et auquel il nous invite à chaque page à penser et repenser sans jamais s'arrêter. Il y a une sorte de croisade infinie à mener en ce sens et dans laquelle l'avocat nous entraîne. A travers un portrait critique des instances judiciaires et de la grande Justice en laquelle « seuls ceux qui ne l'ont pas expérimentée ont confiance[...] »(p.22), il s'indigne de l'évolution sociale : le principe de précaution comme référence ultime et incessante, principe à la base d'une société de paranoïaques coincés dans leur carcan de plus en plus étroit, coincés du cul disons-le ! Cette hyper-réglementation, normopathie comme disent certains spécialistes du psychisme, nous menacent tous ou a déjà gangrené une grande part de notre société. En plus d'avoir l'effet inverse de celui qu'elle vise, la normalité folle et répressive qui s'abat sur nous et que nous accueillons les bras ouverts, tels des victimes du syndrome de Stockholm, nous empêche de réfléchir par nous-mêmes. Et comme nous sommes satisfaits de pouvoir nous laisser aller dans cette moelleuse couche d'impensé, le doute, l'irrésolu, l'incertain nous insupportent. Et nous n'acceptons plus l'étrange et l'insoluble. C'est pourtant bien le fondement de notre condition, n'est-ce pas ?
Le livre est réalisé comme une mise en abyme, voulue ou non (il serait étonnant qu'elle soit innocente) de son propos par l'auteur. Il donne en effet à vivre au lecteur ce qu'il expose et raconte dans les différents articles de son Dictionnaire. Cette lecture est une expérience.

        A souligner la très belle, voire poétique, esquisse du rôle social de l'avocat que dépeint l'auteur : un rôle notamment éthique. Celle de contradicteur, d'indigné, d'impertinent, de révolté, qui force l'intelligence et empêche le confort de la bien-pensance. Cet avocat un peu idéal mais auquel on a terriblement envie de croire doute, questionne, se met à la place de celui dont la vérité propre dévie de la pensée normale. Il entend et respecte les subjectivités dans leurs paradoxes et leurs loyautés. Et il a par-dessus tout un devoir d'humilité, face à ce qu'il ne comprend pas, ce qu'il ne sait pas et ce qu'il ne peut pas.

       On en pense ce qu'on veut, les arguments avancés par Eric Dupond-Moretti interpellent nécessairement. Ils agacent. Ils révoltent. Ils enflamment. Ils emportent. L'indigné indigne. L'indigné touche. Il a donc réussi son pari.
Il est brillant. C'est indéniable. Comme Bernard Henri-Lévy, on s'exaspère de son franc-parler brutal, de sa contre-pensée, de ses révoltes (« Urticaire » (p.189). On peut aussi le suivre dans l'énergie de son engagement et entendre un des aspects de la réalité qu'il partage avec nous. « Toutes les situations sont porteuses de sens et d'enseignements. » (p.145)
Peut-être ment-il. Il en a le droit, comme tout un chacun. La responsabilité nous incombe ensuite à nous, lecteurs, humains doués de raison, de nous nourrir comme nous le souhaitons de ses mots. Ou pas.


Eric Dupond-Moretti, réalisé avec Laurence Monsénégo, Le dictionnaire de ma vie -Editions Kero – 9782366582994 - 17







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