Le
Dictionnaire de ma vie d'Eric
Dupond-Moretti ne raconte certainement pas la vie de l'homme.
Quelques éléments biographiques certes. Utiles et efficaces. Pas de
narcissisme mal placé. D'aucuns pourront dire qu'écrire ce livre
est en soi une parade de grand avocat médiatique qui se montre. Ils
auront tous les droits de le dire. Mais alors, soit ils n'auront pas
lu ce livre et en parleront sans savoir (qu'y a-t-il de plus
malhonnête ?), soit ils l'auront lu sans se départir de leurs a
priori. Alors, est-ce la peine de lire ? Un livre vous ouvre à
d'autres horizons. S'il n'y a pas de place pour celui qui écrit,
autant ne pas salir le livre de cette lecture peut-être bien
davantage narcissique. Bien sûr il sait user de la langue et en
jouer, et y jouer aussi, il sait construire son discours. Tant mieux.
Le texte est intéressant et captivant. C'est un plaisir. Ne boudons
pas notre plaisir alors ! Et si le lecteur a peur d'être
convaincu, fasciné ou mieux, dérangé et inquiété par ce
discours ? Où se situe donc le vrai danger : dedans ou
dehors ? Levons les yeux sur le miroir qui nous fait face.
Eric Dupond-Moretti réalise
avec Laurence Monsénégo un ouvrage sur la société actuelle. C'est
de notre monde qu'il nous parle et auquel il nous invite à chaque
page à penser et repenser sans jamais s'arrêter. Il y a une sorte
de croisade infinie à mener en ce sens et dans laquelle l'avocat
nous entraîne. A travers un portrait critique des instances
judiciaires et de la grande Justice en laquelle « seuls ceux
qui ne l'ont pas expérimentée ont confiance[...] »(p.22), il
s'indigne de l'évolution sociale : le principe de précaution
comme référence ultime et incessante, principe à la base d'une
société de paranoïaques coincés dans leur carcan de plus en plus
étroit, coincés du cul disons-le ! Cette hyper-réglementation,
normopathie comme disent certains spécialistes du psychisme, nous
menacent tous ou a déjà gangrené une grande part de notre société.
En plus d'avoir l'effet inverse de celui qu'elle vise, la normalité
folle et répressive qui s'abat sur nous et que nous accueillons les
bras ouverts, tels des victimes du syndrome de Stockholm, nous
empêche de réfléchir par nous-mêmes. Et comme nous sommes
satisfaits de pouvoir nous laisser aller dans cette moelleuse couche
d'impensé, le doute, l'irrésolu, l'incertain nous insupportent. Et
nous n'acceptons plus l'étrange et l'insoluble. C'est pourtant bien
le fondement de notre condition, n'est-ce pas ?
Le
livre est réalisé comme une mise en abyme, voulue ou non (il serait
étonnant qu'elle soit innocente) de son propos par l'auteur. Il
donne en effet à vivre au lecteur ce qu'il expose et raconte dans
les différents articles de son Dictionnaire.
Cette lecture est une expérience.
A
souligner la très belle, voire poétique, esquisse du rôle social
de l'avocat que dépeint l'auteur : un rôle notamment éthique.
Celle de contradicteur, d'indigné, d'impertinent, de révolté, qui
force l'intelligence et empêche le confort de la bien-pensance. Cet
avocat un peu idéal mais auquel on a terriblement envie de croire
doute, questionne, se met à la place de celui dont la vérité
propre dévie de la pensée normale. Il entend et respecte les
subjectivités dans leurs paradoxes et leurs loyautés. Et il a
par-dessus tout un devoir d'humilité, face à ce qu'il ne comprend
pas, ce qu'il ne sait pas et ce qu'il ne peut pas.
On en pense ce qu'on veut, les
arguments avancés par Eric Dupond-Moretti interpellent
nécessairement. Ils agacent. Ils révoltent. Ils enflamment. Ils
emportent. L'indigné indigne. L'indigné touche. Il a donc réussi
son pari.
Il est brillant. C'est
indéniable. Comme Bernard Henri-Lévy, on s'exaspère de son
franc-parler brutal, de sa contre-pensée, de ses révoltes
(« Urticaire » (p.189). On peut aussi le suivre dans
l'énergie de son engagement et entendre un des aspects de la réalité
qu'il partage avec nous. « Toutes les situations sont porteuses
de sens et d'enseignements. » (p.145)
Peut-être ment-il. Il en a le
droit, comme tout un chacun. La responsabilité nous incombe ensuite
à nous, lecteurs, humains doués de raison, de nous nourrir comme
nous le souhaitons de ses mots. Ou pas.
Eric
Dupond-Moretti, réalisé avec Laurence Monsénégo, Le
dictionnaire de ma vie -Editions Kero – 9782366582994 - 17€
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