Et
nos petites folies humaines, tout au bout du monde
La
Somme de nos folies mène à la grande folie du monde ? Qui
sait... C'est surtout la vie sans fard dans ses multiples vérités
que nos petites folies nous montrent. Auyong, Mary Anne, Beevi et
leurs douce déraison nous ouvrent leur univers. Le microcosme d'une
ville de province de Malaisie aussi lointain que familier.
Improbable...
Un
microcosme parfaitement imprévisible pour un lecteur français
n'ayant jamais mis les pieds en Malaisie. Parfaitement imprévisible
et pourtant complètement accessible. Il suffit de savoir lire pour
entendre ce monde. C'est la force de l'écriture et d'une forme
d'universalité malgré l'étrangeté indéniable d'un univers où
tout est à repenser pour nous. Le fossé culturel est immense. Le
lecteur pourrait être un touriste égaré un peu stupide. Mais ce
n'est pas le cas, on ne se perd pas dans cette histoire. On se
retrouve. On se sent presque chez soi, aussi bien accueilli en tout
cas même si le voyage est des plus dépaysants. Et voilà qui est
grisant que de voyager si loin en s'y sentant si confortable.
On
en rencontre dans ce roman de ces touristes occidentaux ou
humanitaires issus des grandes puissances économiques mondiales
pleins de condescendance. On les rencontre après avoir déjà plongé
dans le microcosme drôle et douillet de Lubok Sayong. Et on espère
très fort ne pas leur ressembler et regarder les autochtones « comme
s'[ils étaient] une espèce récemment découverte » (p.143)
Shih-Li
Kow nous livre un roman sur le monde des petits, ceux du moins
considérés comme tels. « Petit » pays, « Petite »
province, « petites » gens. Les grands de ce monde sont
tournés en dérision et n'ont une place que très secondaire et
assez inutile voire invalidante, contrairement à ce qu'ils croient.
L'orgueil n'a pas sa place dans ce microcosme de Lubok Sayong. La
dignité oui. Et tout y est à échelle humaine. La vraie vie voilà
l'Histoire qui compte : «Les bonnes histoires vraiment
savoureuses, c'est celles qui se sont échappées des livres. »
( p.154)
Pour
parler de ce monde des « petits », l'humour est de
rigueur, un humour sans prétention, léger, burlesque. On rit
beaucoup, notamment grâce aux histoires de Mami Beevi dans
lesquelles « il y autant de monde que de nouilles dans une
soupe [...] » (p.155) On sourit à toutes les pages. Et les
émotions sont transmises à travers ce rire. La pudeur est de mise.
La réalité est souvent dure mais elle est contée, non seulement
racontée. Elle est enveloppée de magie car « un peu de magie
dans l'air, c'est toujours bon à prendre » (p.16).
Personne n'y croit vraiment mais le merveilleux appartient bien au
quotidien. En tant que réalité tout aussi valable que les autres.
Et les Grands Sérieux auront beau tout dire ou faire, ce petit
univers-là s'en nourrit et en vit.
Auyong,
Mary-Anne et Beevy la mamie « inconcevable » et les
autres derrière eux ne peuvent que nous donner envie de les suivre.
Ils n'attendent rien de nous, lecteurs. Ils suivent leur chemin de
personnages, un peu à distance, toujours entourés d'une dose de
mystère. Ils sont vrais, un peu fous, certains déjantés même. Et
ce qui interpelle dans ce récit c'est la capacité à vivre ensemble
et à rebondir avec les autres, aussi différents qu'ils soient. Pas
de leçon bien-pensante de tolérance. Leur vivre-ensemble est plus
subtil et bien plus aimant que cela. Et les liens « inconcevables »
comme dirait Mami Beevi se tissent. Toujours dans le rire et la
pudeur, mais le respect de l'autre et de la somme de ses folies dans
ce tout petit monde provincial finit par les attacher solidement les
uns aux autres.
Les
personnages sont tous des caractères trempés et d'horizons variés.
Ils semblent, mais là l'ignorance est à admettre de la part du
lecteur néophyte en matière de Malaisie, représenter diverses
franges de la société malaise. Et l'on pénètre la réalité
sociale de ce pays : le brassage ethnique et la lourde
hiérarchie entre les différentes origines. Bien sûr, il s'agirait
d'aller vérifier par soi-même, sur place puisque c'est un auteur,
individu singulier, qui apporte sa vision de son pays. Il n'empêche
que quelles qu'en soient les réponses, les questions sont posées.
Et
en effet, combien l'on a envie de partir sur-le-champ voir ce qu'il
en est dans ce bout du monde...
Un
bravo tout particulier au travail de transmission fidèle du texte
original par le traducteur. L'authenticité du verbe ne peut nous
échapper, malgré le filtre de la traduction. Remercions donc la
nécessaire finesse de cette dernière et de son artisan.
Shih-Li
Kow, traduit de l'anglais (Malaisie) par Frédéric Grellier, La
Somme de nos folies -Editions Zulma – 9782843048302 – 21,50€
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