jeudi 30 août 2018

Shih-Li Kow, traduit de l'anglais (Malaisie) par Frédéric Grellier, La Somme de nos folies -Editions Zulma

Et nos petites folies humaines, tout au bout du monde


La Somme de nos folies mène à la grande folie du monde ? Qui sait... C'est surtout la vie sans fard dans ses multiples vérités que nos petites folies nous montrent. Auyong, Mary Anne, Beevi et leurs douce déraison nous ouvrent leur univers. Le microcosme d'une ville de province de Malaisie aussi lointain que familier. Improbable...

Un microcosme parfaitement imprévisible pour un lecteur français n'ayant jamais mis les pieds en Malaisie. Parfaitement imprévisible et pourtant complètement accessible. Il suffit de savoir lire pour entendre ce monde. C'est la force de l'écriture et d'une forme d'universalité malgré l'étrangeté indéniable d'un univers où tout est à repenser pour nous. Le fossé culturel est immense. Le lecteur pourrait être un touriste égaré un peu stupide. Mais ce n'est pas le cas, on ne se perd pas dans cette histoire. On se retrouve. On se sent presque chez soi, aussi bien accueilli en tout cas même si le voyage est des plus dépaysants. Et voilà qui est grisant que de voyager si loin en s'y sentant si confortable.
On en rencontre dans ce roman de ces touristes occidentaux ou humanitaires issus des grandes puissances économiques mondiales pleins de condescendance. On les rencontre après avoir déjà plongé dans le microcosme drôle et douillet de Lubok Sayong. Et on espère très fort ne pas leur ressembler et regarder les autochtones « comme s'[ils étaient] une espèce récemment découverte » (p.143)

Shih-Li Kow nous livre un roman sur le monde des petits, ceux du moins considérés comme tels. « Petit » pays, « Petite » province, « petites » gens. Les grands de ce monde sont tournés en dérision et n'ont une place que très secondaire et assez inutile voire invalidante, contrairement à ce qu'ils croient. L'orgueil n'a pas sa place dans ce microcosme de Lubok Sayong. La dignité oui. Et tout y est à échelle humaine. La vraie vie voilà l'Histoire qui compte : «Les bonnes histoires vraiment savoureuses, c'est celles qui se sont échappées des livres. » ( p.154)
Pour parler de ce monde des « petits », l'humour est de rigueur, un humour sans prétention, léger, burlesque. On rit beaucoup, notamment grâce aux histoires de Mami Beevi dans lesquelles «  il y autant de monde que de nouilles dans une soupe [...] » (p.155) On sourit à toutes les pages. Et les émotions sont transmises à travers ce rire. La pudeur est de mise. La réalité est souvent dure mais elle est contée, non seulement racontée. Elle est enveloppée de magie car « un peu de magie dans l'air, c'est toujours bon à prendre »  (p.16). Personne n'y croit vraiment mais le merveilleux appartient bien au quotidien. En tant que réalité tout aussi valable que les autres. Et les Grands Sérieux auront beau tout dire ou faire, ce petit univers-là s'en nourrit et en vit.

Auyong, Mary-Anne et Beevy la mamie « inconcevable » et les autres derrière eux ne peuvent que nous donner envie de les suivre. Ils n'attendent rien de nous, lecteurs. Ils suivent leur chemin de personnages, un peu à distance, toujours entourés d'une dose de mystère. Ils sont vrais, un peu fous, certains déjantés même. Et ce qui interpelle dans ce récit c'est la capacité à vivre ensemble et à rebondir avec les autres, aussi différents qu'ils soient. Pas de leçon bien-pensante de tolérance. Leur vivre-ensemble est plus subtil et bien plus aimant que cela. Et les liens « inconcevables » comme dirait Mami Beevi se tissent. Toujours dans le rire et la pudeur, mais le respect de l'autre et de la somme de ses folies dans ce tout petit monde provincial finit par les attacher solidement les uns aux autres.
Les personnages sont tous des caractères trempés et d'horizons variés. Ils semblent, mais là l'ignorance est à admettre de la part du lecteur néophyte en matière de Malaisie, représenter diverses franges de la société malaise. Et l'on pénètre la réalité sociale de ce pays : le brassage ethnique et la lourde hiérarchie entre les différentes origines. Bien sûr, il s'agirait d'aller vérifier par soi-même, sur place puisque c'est un auteur, individu singulier, qui apporte sa vision de son pays. Il n'empêche que quelles qu'en soient les réponses, les questions sont posées.
Et en effet, combien l'on a envie de partir sur-le-champ voir ce qu'il en est dans ce bout du monde...

Un bravo tout particulier au travail de transmission fidèle du texte original par le traducteur. L'authenticité du verbe ne peut nous échapper, malgré le filtre de la traduction. Remercions donc la nécessaire finesse de cette dernière et de son artisan.


Shih-Li Kow, traduit de l'anglais (Malaisie) par Frédéric Grellier, La Somme de nos folies -Editions Zulma – 9782843048302 – 21,50

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