L'un naît laid comme un pou. L'autre belle comme un cœur. L'un et l'autre le demeurent.
L'un a un QI de 180. L'autre est une idiote. Ainsi va la vie.
Sauf que non ! la vie n'en va pas ainsi. Pas du tout. L'on prédit, prévoit, promet un avenir solitaire à cet enfant monstrueux. L'on prédit, prévoit, promet un avenir insipide à cette enfant si bête. Mais la phrase la plus imbécile de tout le langage humain "c'est la vie" ne fonctionne pas ici. Elle ne fonctionne pas tout court. Mais elle est pratique, c'est certain. Déodat et Trémière sont des personnages de conte ? Ils ne sont pas la vraie vie ? Qui le dit ? Qui peut en être sûr ?
Voilà ce qu'il en est la plupart du temps : l'on dit à un enfant quoi être, qui être et comment, selon ce qu'on croit comprendre de lui. Et on lui colle à la peau tout ce qui nous tombe sous la main et qui devrait lui correspondre. On fabrique des normopathes et des fous candidats au suicide. On les fabrique avec nos petites mimines de "C'est la vie".
Déodat et Trémière sont voués à un destin, disent leurs pairs qui les regardent et les moquent. Or, il advient exactement ce que personne n'attendait. Et ce n'est pas l'amour dont il est question ici. L'amour est un prétexte, une cerise sur le gâteau. Qui veut y voir une histoire d'amour peut. Cela lui appartient. Pour ma part, c'est un détail de l'histoire. Mais chacun voit midi à sa porte.
L'anormalité est imprévisible quand on lui laisse la liberté de l'être. L'anormal est à côté du monde qui fait ronron. Mais il n'est ni bien ni mal en soi. Il devrait être entendu comme son nom l'indique : hors normes. Mais en soi, voilà déjà un crime de lèse-majesté. Quelle majesté que cette normalité qui nous abyme, qui nous abîme, certains jusqu'à nous finir. L'anormal de Trémière et Déodat est un handicap ou un don ? Qui n'a pas peur pour cet enfant laid à en susciter le dégoût et pour cette petite fille stupide ? Qui n'est pas terrifié pour eux ? Ils devront surmonter leur handicap.
Leur handicap… Il n'y a de handicap que dans les yeux des autres. De certains autres. De la majorité oui. L'humain est ainsi fait, bien plus moutonnier qu'il ne veut bien l'admettre. Le handicap, tel que le nomme le monde, devient un don. Il fait souffrir, sans aucun doute. Mais la richesse intérieure en modèle un don. Et le don de Déodat n'est pas dans ses 180 de QI. Le don de Trémière n'est pas dans sa beauté hors du commun. Ils ont retourné le handicap comme un gant. Voilà leur coup de génie. Ils sont passés à travers le regard de l'autre. Ils ont fait avec, ils n'ont pas pu le nier. On ne peut pas. Mais ils l'ont traversé comme un trompe-l'œil, non sans se battre. Pour aller voir de l'autre côté du miroir, là où la seule règle est de garder les yeux grand ouverts, respectueux de tout.
Cet autre côté n'existe pas ? Allez faire un tour à l'HP ! Allez faire un tour dans le monde du handicap ! Vous verrez bien que cet autre côté n'est pas un conte de fées.
Sans s'en pâmer, Amélie Nothomb est bien plus fidèle que cela à ces émotions qui ne se disent pas mais construisent un être, l'on entend derrière Trémière et Déodat les adultes qui les ont portés. Il ne s'agit pas de l'amour qui soi-disant serait l'issue du problème. Simplisme révoltant. Il s'agit de croire, d'avoir foi en l'enfant, de respecter et laisser s'épanouir ses particularités, aussi spéciales qu'elles soient. Et admirer ses combats. Car l'enfant est le plus vaillant guerrier d'entre nous. Et il peut se battre plus longtemps que n'importe quel adulte. Il survit à tout ce qui abat les grands. Et si l'on croit en lui, il fera des merveilles, aussi laid et bête qu'il paraisse.
Sous ses apparences tendres, ce roman parle haut et fort de notre société et de son étroitesse d'esprit. Une forme de conte, on ne peut plus classique. Pour y loger en son sein l'éloge de l'anormal. Pour y louer la plus ardue des attitudes ici-bas aujourd'hui : la contemplation.
Une fleur carnivore dans son gentil pot brique.
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