Midi
sonne La Tempête
et ses échoués
Un
roman sur le respect de l'enfance, troublant récit d'un acte manqué,
dans un décor de féerie apparemment invraisemblable. Pourtant rêve,
théâtre et réalité sont bien sur le même bateau.
Midi
est un monde d'enfants, de
piailleries, de pirateries puériles et de petites mains blotties
dans les grandes. Mais attention pas trop de douceur. Les enfants ne
sont pas tout gentils tout beaux, ni eux ni les mères et pères qui
les entourent. Les clichés de l'enfant innocent et des parents
aimants à l'écoute sont mis à rude épreuve. Les incompréhensions
et les mensonges souvent nécessaires, parfois seulement lâches
semblent entraver les relations. Il s'agit en fait d'arriver à
entendre la parole muette de l'enfant et de la supporter. Si vous
rêvez encore de la famille idéale, abstenez-vous de lire
ce roman. Midi nous
remet les pendules à l'heure, à nous adultes responsables et
moraux. La conscience chatouille. N'allez tout de même pas penser à
un drame à la Dickens ni une leçon de morale : l'onirisme
ponctue chaque page et nourrit notre imagination avec délectation.
Les enfants de ce groupe ne
forment pas une masse informe, tout au contraire. Ils ont chacun
leurs petites mais essentielles particularités qui en révèlent
beaucoup sur eux, Bastien le diabétique bègue, Marcel le timide
enfant prodige, Morgane la princesse de la cour de récré, Mario le
cancre attitré, Jo la pestiférée, élément essentielle de la
bonne marche du groupe, etc. Chaque petit est un être singulier et
Cloé Korman les fait vivre, peut-être revivre tant ils paraissent
réels.
Du début à la fin, la
narratrice ménage une tension subtile, loin d'être insupportable ou
digne de l'horreur. C'est une tension lancinante, comme un flux et
reflux qui ne s'arrête jamais, même quand on croit ne plus y
penser. C'est une bête, mais une grosse bête qui monte qui monte...
C'est un suspens oui, parce que l'on sait d'emblée qu'il y aura un
drame en plein midi mais rien de plus. C'est le suspens de la vie de
n'importe qui : celui du secret, du silence, de la culpabilité
qui ronge. Qui n'a pas une histoire qui le poursuit ainsi ?
L'histoire que nul ne soupçonne et qui pourtant s'agite en soi tous
les jours que Dieu fait. Et c'est davantage cet avant de la
révélation que le lecteur traverse avec Claire.
La sensibilité et non
sensiblerie, comme d'aucuns pourraient le penser puisque c'est un
livre sur l'enfance et ses tempêtes, est à fleur de peau. Les
tableaux aux cinq sens parsèment le roman. Les mots ne suffisent pas
s'agace la narratrice ! Pourtant, au souvenir de cette lecture,
couleurs, danses, odeurs et sensations de toutes sortes
resurgissent. « Leurs chuchotements crépitent ici comme
un feu dans des aiguilles de pin, leurs cris sont acérés par la
réverbération et se propagent dans un air qui pue le vieux sandwich
au beurre et la chaussette sale,[...] » (p.62) Comme quoi,
malgré sa frustration, l'opération est réussie.
Le
naufrage aussi. La tempête gagne. Puis le silence se fait. Un
silence de mort où même les oiseaux se taisent. La
Tempête de Shakespeare souffle
au fil du texte, partout présente, poétique, créatrice,
galvanisante, elle ouvre un souffle communautaire où chacun prend sa
place et trouve son utilité. La Tempête,
irréelle, fantastique, ou bien alors métaphorique et
annonciatrice... Le théâtre révélateur photographique de
l'existence dite réelle. La littérature prend vie, elle est là
partout et elle s'insinue chez les enfants et les adultes qui s'en
emparent et qui, ironiquement, ignorent celle qui gronde au-dessus de
leurs vraies têtes. Le rêve catastrophe rejoint la brutalité du
réel. « Le monde entier est un théâtre » écrivit M.
Shakespeare ; le théâtre est aussi le monde entier, à n'en
plus douter.
Cloé
Korman, Midi -Editions
du Seuil – 9782021403558 - 18€
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