dimanche 19 août 2018

Cloé Korman, Midi - Editions du Seuil


Midi sonne La Tempête et ses échoués


Un roman sur le respect de l'enfance, troublant récit d'un acte manqué, dans un décor de féerie apparemment invraisemblable. Pourtant rêve, théâtre et réalité sont bien sur le même bateau.

          Midi est un monde d'enfants, de piailleries, de pirateries puériles et de petites mains blotties dans les grandes. Mais attention pas trop de douceur. Les enfants ne sont pas tout gentils tout beaux, ni eux ni les mères et pères qui les entourent. Les clichés de l'enfant innocent et des parents aimants à l'écoute sont mis à rude épreuve. Les incompréhensions et les mensonges souvent nécessaires, parfois seulement lâches semblent entraver les relations. Il s'agit en fait d'arriver à entendre la parole muette de l'enfant et de la supporter. Si vous rêvez encore de la famille idéale, abstenez-vous de lire ce roman. Midi nous remet les pendules à l'heure, à nous adultes responsables et moraux. La conscience chatouille. N'allez tout de même pas penser à un drame à la Dickens ni une leçon de morale : l'onirisme ponctue chaque page et nourrit notre imagination avec délectation.
Les enfants de ce groupe ne forment pas une masse informe, tout au contraire. Ils ont chacun leurs petites mais essentielles particularités qui en révèlent beaucoup sur eux, Bastien le diabétique bègue, Marcel le timide enfant prodige, Morgane la princesse de la cour de récré, Mario le cancre attitré, Jo la pestiférée, élément essentielle de la bonne marche du groupe, etc. Chaque petit est un être singulier et Cloé Korman les fait vivre, peut-être revivre tant ils paraissent réels.
        Du début à la fin, la narratrice ménage une tension subtile, loin d'être insupportable ou digne de l'horreur. C'est une tension lancinante, comme un flux et reflux qui ne s'arrête jamais, même quand on croit ne plus y penser. C'est une bête, mais une grosse bête qui monte qui monte... C'est un suspens oui, parce que l'on sait d'emblée qu'il y aura un drame en plein midi mais rien de plus. C'est le suspens de la vie de n'importe qui : celui du secret, du silence, de la culpabilité qui ronge. Qui n'a pas une histoire qui le poursuit ainsi ? L'histoire que nul ne soupçonne et qui pourtant s'agite en soi tous les jours que Dieu fait. Et c'est davantage cet avant de la révélation que le lecteur traverse avec Claire.

          La sensibilité et non sensiblerie, comme d'aucuns pourraient le penser puisque c'est un livre sur l'enfance et ses tempêtes, est à fleur de peau. Les tableaux aux cinq sens parsèment le roman. Les mots ne suffisent pas s'agace la narratrice ! Pourtant, au souvenir de cette lecture, couleurs, danses, odeurs et sensations de toutes sortes resurgissent.  « Leurs chuchotements crépitent ici comme un feu dans des aiguilles de pin, leurs cris sont acérés par la réverbération et se propagent dans un air qui pue le vieux sandwich au beurre et la chaussette sale,[...] » (p.62) Comme quoi, malgré sa frustration, l'opération est réussie.
        Le naufrage aussi. La tempête gagne. Puis le silence se fait. Un silence de mort où même les oiseaux se taisent. La Tempête de Shakespeare souffle au fil du texte, partout présente, poétique, créatrice, galvanisante, elle ouvre un souffle communautaire où chacun prend sa place et trouve son utilité. La Tempête, irréelle, fantastique, ou bien alors métaphorique et annonciatrice... Le théâtre révélateur photographique de l'existence dite réelle. La littérature prend vie, elle est là partout et elle s'insinue chez les enfants et les adultes qui s'en emparent et qui, ironiquement, ignorent celle qui gronde au-dessus de leurs vraies têtes. Le rêve catastrophe rejoint la brutalité du réel. « Le monde entier est un théâtre » écrivit M. Shakespeare ; le théâtre est aussi le monde entier, à n'en plus douter.


Cloé Korman, Midi -Editions du Seuil – 9782021403558 - 18

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