Le réveil dringue, elle ouvre les yeux, assise d’un coup sur son lit blanc. Un ressort jailli de sa cage ou un coucou sauvé par le douze. Raide comme un piquet, elle continue de vibrer quelques instants.
Elle s’immobilise bois, toujours blanche.
Un nouveau jour commence, elle doit identifier sa couleur. Pour ce faire :
- S’asseoir souplement en tailleur, les yeux clos.
- Penser à Bouddha.
- Se croire au Tibet.
- Sentir le vent dans les cheveux et dans la tête. Ca tourbillonne et chantonne sous le crâne
- Laisser souffler dans tous les membres.
- Rouvrir les yeux d’un coup : la couleur apparaît.
Elle procède à ce rite à chaque aurore. Parfois, il fait encore nuit. Elle se soumet aux lois du marché qui l’a tirent du lit avant le vieux soleil. C’est tellement plus agréable quand on n’est pas le premier debout !
Bref, aujourd’hui donc, c’est un jour rouge. Ce qui implique non pas du sang mais de l’événement. Il se passe systématiquement des choses tonitruantes, les jours rouges. Elle en vient aux mains avec son patron, elle trébuche sur un pavé et se jette sous une voiture pressée, elle fait l’amour avec trois hommes et une femme etc. des journées chargées en somme.
Ce qu’elle espère, c’est que le lendemain sera bleu ou violet, même gris, cela lui convient. Il faut s’en reposer de l’écarlate. Ca éblouit et ça migraine.
En tout cas, elle s’apprête pour l’aventure des heures à venir.
Robe rouge.
Doc Martens noir verni (les chaussures peuvent être d’une autre couleur, assortie bien sûr)
Gilet léger un peu troué mais bien long au cas où, rouge plus clair mais rouge du jour.
Fard aux paupières carmin, lèvres peintes en force.
En somme, un jour flambant ! Elle se sent pénétrée. Elle rougit sur l’interne de la peau et de la chair, ce qui est versé dans le ventre destination finale.
Toute de rouge vêtue, de pied en cap, dans toute sa circonférence, ses diagonales et sa racine.
Alors, elle a bien observé combien le teint caméléonne. Elle est mutante. Ca pourrait faire peur mais c’est bien excitant.
Jour rouge : coquelicot dans les joues ; ardente.
Jour bleu : cartographie veineuse ; intransigeante.
Jour vert : patraque et acide (pas trop souvent, anti-émétique obligatoire pour tout le monde, acteurs et spectateurs)
Jour gris : transparence virginale ; apeurée.
Jour jaune : alcoolique burlesque ; inconvenante.
Jour violet : cœur à la pompe, chamade en vue ; émotive.
PS 1 : bannis les jours roses, on la prend pour une idiote
PS 2 : droit de visite pour les jours noirs. Ca va bien là ! elle a donné, quota dégagé.
En tout cas, pour l’instant, elle se miroite dans sa psyché, minaude. En Doc Martens, elle pouffe.
A quoi va-t-elle bien pouvoir se frotter ? L’arbre du coin de la rue ? Oursin, non merci. Le lampadaire de la 4ème à droite ? Pas un pigeon oh ! La jeune boulangère cynique ? Pourquoi pas ? Le petit stagiaire de l’accueil ? Il va lui retomber sur les bras ! Francis, Victor et toute la bande ? Il y a du boulot aujourd’hui, pas le temps de tous les faire ! Et elle ne peut pas couper la poire. Son beau bureau Ikea ? Ca n’est jamais désagréable. C’est une valeur sûre. Le poil à gratter de son tiroir à malices ? Non, voyons, c’est un jour sérieux ! On verra bien ce qui se présente. Il y a aussi tous les imprévus. Elle sait qu’il y en aura. Les imprévus sont absolus les jours rouges. On ne va pas aller lui en conter ma parole ! Elle en frétille.
Bon, il est temps de se lancer dans la gueule. Elle introduit la clef dans la serrure quadruple tour mulitblindée de sa porte musclée. Et le téléphone sonne.
- Dépêchez-vous Anna ! Le DG est déjà arrivé, en avance ! Sautez dans un taxi et magnez-vous. Il veut vous voir.
- Je ne suis même pas sortie de chez moi ! Comment voulez-vous que je sois à temps ? il attendra le vieux plouc !
- Arrêtez votre cinoche Anna ! Le vieux plouc, je sais l’effet qu’il vous fait ! pour peu que ce soit un de ces jours…
Elle a raison , elle va pouvoir se frotter à lui. Un peu de piment !
- …
- Mon Dieu, vous êtes intenable ! et contagieuse. Magnez-vous !
Elle raccroche.
Elle aussi dépose délicatement et amoureusement, maîtresse fouetteuse, le combiné.
Un petit air de pure folie au poivre vert.
Vert ? Non non non !
De poivron rouge ? Complètement nul !
Radis noir, haricot blanc, non mais n’importe quoi !
Un petit air de fraise des bois ? Coquin mais nunuche la fraise.
Un petit air de martini.
Elle s’en sert une lichette et hop ! partie pour le DG.
Porte claquée, clefs oubliées endormies sur la commode. Elles doivent faire des claquettes les magiciennes !
Belle respiration enrobée, face à la porte et dos au monde. Sourire arrêté.
Demie-valse et plongeon dans le bouillon.
Elle s’en frotte les mains.
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