L'ange
de la mort, un des nombreux nazis qui hantent les mémoires et
surtout les imaginations. La disparition de Josef Mengele nous
emmène tout le long de sa fuite à travers l'Amérique du Sud, de
place en place, de terrier en terrier, de cave en mirador. S'il
n'avait dès le départ été paranoïaque, il le serait devenu sans
aucun doute ! La cavale de décennies entières, une folie en
soi ; une hérésie. Cette vie ne sert à rien. Voilà ce qu'on
peut en retenir. Cette vie est une fuite après avoir été une
chasse, quelque temps, une vingtaine d'années. Tout le reste de la
vie à se cacher, à se terrer comme une bête indigne. L'on suit cet
homme, ce médecin, ce spécialiste du soin..., mais la connaissance
de la médecine n'engage en rien la qualité humaine de ceux qui la
pratiquent.
Justement
cette interrogation taraude : le soignant bourreau ; celui
qu'on voudrait adorer, comme un surhomme, nombre des intéressés y
croient eux-mêmes d'ailleurs, est un tortionnaire en puissance. La
limite est ténue entre le soignant et le sadique. Allons même
jusqu'à nous demander si le soignant n'est pas un sadique qui
sublime sa pulsion et la renverse en son contraire ? Ce
médecin-là est un sadique sans filtre, un sadique qui n'a pas fait
l'effort de mettre un masque, de se fondre dans la masse, dans le
socialement acceptable. Mais si ! Il s'est adapté au
socialement acceptable de l'époque. Il est donc resté un simple
sadique, archaïque.
Les
plus adaptables, les plus tourmentés, les plus fragiles. Les plus
violents. Les plus victimes. Les plus bourreaux. Les plus maléfiques.
Les plus naïfs. Ce sont les mêmes.
Cependant,
l'on ne rentre jamais vraiment dans ses tripes. Comme si c'était là
un sacrilège. Il y a peut-être une répugnance partagée à ne pas
essayer de sentir réellement ce que sent cet homme qu'on appelle
monstre. Mais aussi politiquement incorrect que cela puisse paraître,
je crois que l'on peut comprendre n'importe quel être humain si l'on
a commencé à en comprendre certains. Encore faut-il s'y autoriser
et se jeter à l'eau, aussi profondément que nécessaire, quitte à
toucher les pires démons qui nous habitent. Aurait-on peur de
compatir avec celui qu'on appelle un monstre ? Aurait-on peur
d'attraper sa maladie comme un vulgaire microbe ? N'est-ce pas
exactement ce qui se passe avec les Messieurs et Dames les délirants
à l'approche desquels tout le monde s'écarte ? Comprendre la
folie est-il en soi une folie ? Quels si formidables risques y
pressent-on qui nous rendent si précautionneux, même les plus
aventureux ? Quoi qu'il en soit, ces risques semblent valoir la
peine de se saisir de déjà-pensé, mâché-tout-cuit. Oui cela
m'agace. Oui je le comprends parfaitement. Ce n'est que proprement
humain. Jamais, tant que cette espèce existera, on ne pourra
empêcher ce réflexe de proie. La folie est le pire prédateur de
l'homme et même si l'on n'en dit rien, chacun le sait ou le sent. On
la tait. On la dénie. On ne fait que la fuir. Et la fuite est un des
fondements de la survie. Tous les animaux fuient à un moment,
reculent, renoncent. Sans cela, la mort s'abat sans merci dès les
premiers jours.
Bref,
tout cela pour en venir à cet homme, Josef Mengele que le lecteur
accompagne dans son exil, cinquante ans durant, et qui pourtant, une
fois le livre fermé, reste un mystère. C'était un fou. C'était un
parano. C'était un tyran. C'était un immense angoissé. C'était un
raciste invétéré. C'était un enfant jaloux. Un frère hargneux.
Un narcisse obnubilé par sa petite personne. Etc. Et donc ? Et
puis ? Et alors ? Qu'en conclure ? UN MONSTRE !
Aaaaaaaaaah ! Et après ?
Olivier
Guez nous ouvre les portes de toutes les questions que posent tous
les souverains et acolytes furieux de tous les temps. Les nazis sont
près de nous les plus incroyables, et encore... il y a tous ceux
qu'on connaît moins mais qui tout autant... L'on suit à la trace
les pas de ce Mengele exaspérant et fascinant en même temps. Car
oui il fascine. Ils fascinent tous. Alors il vaut mieux ne pas trop
les comprendre. De peur de les aimer. Sûrement de peur de les aimer.
On ne peut aimer Josef Mengele. Il est insupportable. Mais il demeure
crypté. On ne l'observe que de l'extérieur. L'intérieur est
affleuré. Peut-être est-ce mieux ainsi. Peut-être la lecture en
reste par conséquent agréable et enivrante. Car Olivier Guez nous
entraîne, sans aucun doute, et fait vivre cette évasion d'un
demi-siècle. Il nous fait connaître mieux ce Docteur Maboul évincé
par de plus cruelle figures. Sans doute pas plus sanguinolentes. Il
nous donne envie de se renseigner, de savoir qui encore et encore
plus loin derrière, et pourquoi. C'est toujours le bout de ce tunnel
que l'on vise et que l'on atteint jamais, qui nous fait parcourir
cette histoire et en attendre le fin mot. Mais l'on referme le
dernier volet de cette aventure toujours aussi incrédule. Et l'on
n'a toujours pas compris.
Pourtant,
l'on a tout de même approché, dans cette cavalcade déjantée un
sacré nombre de timbrés, toqués, givrés de tout poil. Cet univers
de jungle en devient irréel, déjanté oui, drolatique, clownesque.
L'on n'oublie pas que ce sont nos pareils, nos frères et sœurs
d'espèce, mais l'on rit de bon cœur parfois, ne pouvant nous y
retrouver, ou nous retrouvant trop nous et nos proches au contraire.
Le rire nous éloigne d'eux autant qu'il nous y lie. Le narrateur
utilise cette fausse innocence réaliste qui suscite le rire de son
lecteur abasourdi par cette marée de fous. Il n'y a plus qu'à en
rire pour s'en défendre. Parce qu'on en vient toujours là. Vous
savez, la survie...
Bien
sûr, voir se dresser le portrait de cet homme ouvre les yeux
toujours plus grand, nous force à questionner sans arrêt, à ne
jamais cesser de réfléchir, à ne jamais cesser de douter, le bon
doute comme il y a le bon stress dit-on, n'est-ce pas ?,
d 'explorer. Mais le danger d'une autopsie jusqu'aux plus
puantes des muqueuses n'est pas couru. Cependant, le peut-on de nos
jours ? De nos jours ou d'avant ? Je n'en sais rien, je ne
suis que femme d'ici maintenant, avec tous les préjugés que je
crois réflexions. Mais la sagesse vient à qui sait attendre. La
vraie question est donc : peut-on de nos jours s'aventurer à
comprendre de l'intérieur le nazi, le tortionnaire, le fou ? De
l'intérieur le plus terrifiant ? Notre société libre de
pensée ne l'est que dans les principes. La réelle liberté de
pensée ne saurait avoir place dans une quelconque société.
L'humain en est incapable. Sinon, il serait dieu. Mais il doit ne pas
penser certaines choses et ceux qui affirment n'avoir peur de rien
penser ne sont que de grands menteurs devant l'éternel. Ils y
croient eux-mêmes ? Tant mieux, ils seront plus heureux ainsi.
Le mensonge est un repos et chacun de nous en a besoin à tout
moment, à propos de ceci ou cela, et surtout de soi-même.
Après
cette lecture de La disparition de Josef Mengele,
le personnage s'agrippe à moi. Il me saute aux yeux dans la journée,
brutalement, comme une conscience qui se réveille en hurlant. Et si
je prends les choses en main, je reviens au tout début du roman. Je
reviens à ce point-là et me retourne pour partir dans l'autre sens.
Les quelques incursions vers le passé ont fait briller mes yeux mais
une phrase ou deux et l'échappée continuait en avant. Je pars donc
dans l'autre sens et je remonte le temps. J'imagine l'adolescent mais
surtout l'enfant et le tout-petit. Je rêve du livre de sa naissance
et les origines du mal. Je ne dirais pas le Mal. Mais le mal dans
tous ses aspects. Non le Mal-valeur. Le mal-peine, le mal-faute, le
mal-larme, le mal-arme, le mal-ravage, le mal-douleur. Le mal se
décline en un kaléidoscope d'expériences que le Mal réduit
stupidement.
Au commencement, il y a sans doute toujours un mal-aimé. Pas une
excuse. Une explication. Un être qu'on hait, qui se hait, si fort
qu'il en vient à haïr à mort.