Et
puis, au-dessus de cette structure existentielle que vient appeler
cette chanson de MC Solaar, il y a les mots et leur sens. Bien sûr
que ce ne sont pas des mots jetés dans l'air à la va-vite, ce n'est
pas le genre du bonhomme, quoi que certains élitistes étroits
d'esprit puissent dire. Ils n'ont même jamais écouté une chanson
jusqu'au bout. O mon Dieu ! ils ne supportent pas ce rythme de
sauvage ! On se demande bien qui est le sauvage des deux mais la
réponse... personne ne s'y aventurera, terrain glissant, sables
mouvants.
Bref,
cette surface qui est déjà une profondeur, à qui veut bien
l'entendre bien sûr, rien de tout ça n'est du tout cuit, appelle la
mort, l'après-mort, Dieu et Diable, la foi, le désespoir des
bagnards éternels, les malentendus des vivants sourds aveugles. Il
parle de la mort ; il parle de la vie, de nos croyances, de nos
espoirs, de nos angoisses. Il dresse le tableau de l'Après, enfer et
paradis, digne d'un Jérôme Bosch, les images les plus vives, les
plus acérées, les plus colorées, les plus torturées, dans tous
les sens, de tous les livres, de toutes les langues. Il y a de la
langue toujours idoine, toujours correcte, guindée jamais, MC Solaar
la respecte bien plus que cela, mais grammaticale pure. Je dis qu'il
la respecte plus que cela car la langue chic et coincée du fion est
celle de ceux qui n'osent pas la main à la pâte, dans la pâte,
voire dans la merde. La langue est un être vivant qu'on bouscule,
qui explose en pleines mains, dégoulinant, sale parfois, mais une
sacrée dame ! Sacrée mais est-on donc obligé pour autant de
la sacraliser ? D'en faire une vierge sacristique, effarouchée ?
De la figer dans le marbre et de la préserver indemne de toute
manipulation créatrice ? Question idiote ? Eh bien
pourtant question patate chaude dans notre France toujours à vif sur
cette Intouchable Vénérable. Arrêtez-moi si je me trompe mais,
n'est-ce pas quand on attaque qu'on aime ? Quand on attaque
qu'on peut défendre ? Quand on se coltine qu'on baise ? Solaar ne me
semble pas lécher bêtement les pieds de la langue (malgré tout,
veuillez excusez ce blasphème mais Marie-Madeleine et son lavage
linguale des papattes du patron), les mots et leur immuabilité. Il
choisit ici, là, tout au Nord, tout au Sud, passionnés ou
rationnels, aristos ou blédards, d'Est en Ouest, les mots qui
conviennent, ceux qui donnent le son juste, oreille absolue du
langage, prêt à user de toute la tessiture du clavier du monde, de
toutes les compositions imaginables.
Il
en ressort ce tableau de Bosch bourré d'intertextualité, bourré
comme un coing, sobre comme un chameau, à chaque coin de vers, une
référence, une porte ouverte et une nouvelle piste à explorer. Il
ouvre les portes. Il ouvre grand toutes les portes et tout prend sa place, juxtaposition baroque sans vergogne. Champagne !
« Une
âme perdue sans stylo » qui « voulait faire de la vie
une poésie ». Les mots dansent dans ma tête , des jours et
des jours. Oui sans stylo, sans livre, sans le jonglage du verbe, il
se perd. Il s'oublie. Il meurt. Sans stylo ou la mort. Cette case de
gens qui palpent nuit et jour des mots, leurs points et leurs lignes.
Ce sentiment, même si le talent n'a rien à voir là-dedans mais
bien l'affaire de la survie, d'appartenir ensemble à ce petit (pas
si petit sans doute mais de nombreux timides ne s'en déclarent pas,
ou même s'en ignorent) clan des Perdus Sans Stylo, pas très
normaux, pas trop fous non plus, mais souvent à côté, en
contre-plongée, décalage plus ou moins heureux, plus ou moins
fatal. Ces gens qu'on aime même inconnus, c'est complètement idiot,
ça ne se dit pas, je ne le dis pas en tout cas, parce qu'ils nous
ressemblent. Parce qu'il faut bien l'admettre, parfois, peut-être
davantage même, l'on aime les miroirs de nous-mêmes, les miroirs
mêmes autres. Parfois, il n'y a pas beaucoup plus loin à aller
chercher et les nœuds au cerveau psychanalytiques, bien que
passionnants et enrichissants, ne mènent pas à une conclusion plus
complexe sinon dans sa formulation alambiquée. Faire partie du
clan ; voir en l'autre son frère.
Et
puis, aussi, ce que je n'aurais pas osé dire mais dont la pensée
était au bord des lèvres : que l'on voudrait faire de chaque
vie une poésie. Pas osé croire en cette pensée. Dangereuse ?
Extrême ? Naïve ? Illusoire ? Oui tout cela. Mais il
n'a pas eu peur de le dire, de l'écrire et le chanter. Une musique
qui râpe, qui écorche, qui cingle, des notes de dernière onction,
dramatique et rageuse, désespérée et guerrière. Une musique qui
ne cajole pas et dans laquelle pourtant, Solaar risque à nouveau la
vie comme une poésie, ce rêve que l'on ne peut reprendre en main
qu'une fois que l'on a vu l'indifférence et le réalisme faire plus
de dégâts que toute autre philosophie. A chaque individu correspond
une philosophie mais les Perdus Sans Stylo meurent du pragmatisme
Ikéa. Si le rêve d'une vie-poésie à dos de stylo est l'issue la
plus sereine, alors ne perdons pas de temps à être concrets et
tristes. Tout n'est qu'une question de point de vue.
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