vendredi 29 décembre 2017

"Solaar pleure", MC Solaar et le clan des Perdus Sans Stylo

Et puis, au-dessus de cette structure existentielle que vient appeler cette chanson de MC Solaar, il y a les mots et leur sens. Bien sûr que ce ne sont pas des mots jetés dans l'air à la va-vite, ce n'est pas le genre du bonhomme, quoi que certains élitistes étroits d'esprit puissent dire. Ils n'ont même jamais écouté une chanson jusqu'au bout. O mon Dieu ! ils ne supportent pas ce rythme de sauvage ! On se demande bien qui est le sauvage des deux mais la réponse... personne ne s'y aventurera, terrain glissant, sables mouvants.
Bref, cette surface qui est déjà une profondeur, à qui veut bien l'entendre bien sûr, rien de tout ça n'est du tout cuit, appelle la mort, l'après-mort, Dieu et Diable, la foi, le désespoir des bagnards éternels, les malentendus des vivants sourds aveugles. Il parle de la mort ; il parle de la vie, de nos croyances, de nos espoirs, de nos angoisses. Il dresse le tableau de l'Après, enfer et paradis, digne d'un Jérôme Bosch, les images les plus vives, les plus acérées, les plus colorées, les plus torturées, dans tous les sens, de tous les livres, de toutes les langues. Il y a de la langue toujours idoine, toujours correcte, guindée jamais, MC Solaar la respecte bien plus que cela, mais grammaticale pure. Je dis qu'il la respecte plus que cela car la langue chic et coincée du fion est celle de ceux qui n'osent pas la main à la pâte, dans la pâte, voire dans la merde. La langue est un être vivant qu'on bouscule, qui explose en pleines mains, dégoulinant, sale parfois, mais une sacrée dame ! Sacrée mais est-on donc obligé pour autant de la sacraliser ? D'en faire une vierge sacristique, effarouchée ? De la figer dans le marbre et de la préserver indemne de toute manipulation créatrice ? Question idiote ? Eh bien pourtant question patate chaude dans notre France toujours à vif sur cette Intouchable Vénérable. Arrêtez-moi si je me trompe mais, n'est-ce pas quand on attaque qu'on aime ? Quand on attaque qu'on peut défendre ? Quand on se coltine qu'on baise ? Solaar ne me semble pas lécher bêtement les pieds de la langue (malgré tout, veuillez excusez ce blasphème mais Marie-Madeleine et son lavage linguale des papattes du patron), les mots et leur immuabilité. Il choisit ici, là, tout au Nord, tout au Sud, passionnés ou rationnels, aristos ou blédards, d'Est en Ouest, les mots qui conviennent, ceux qui donnent le son juste, oreille absolue du langage, prêt à user de toute la tessiture du clavier du monde, de toutes les compositions imaginables.
Il en ressort ce tableau de Bosch bourré d'intertextualité, bourré comme un coing, sobre comme un chameau, à chaque coin de vers, une référence, une porte ouverte et une nouvelle piste à explorer. Il ouvre les portes. Il ouvre grand toutes les portes et tout prend sa place, juxtaposition baroque sans vergogne. Champagne !

« Une âme perdue sans stylo » qui « voulait faire de la vie une poésie ». Les mots dansent dans ma tête , des jours et des jours. Oui sans stylo, sans livre, sans le jonglage du verbe, il se perd. Il s'oublie. Il meurt. Sans stylo ou la mort. Cette case de gens qui palpent nuit et jour des mots, leurs points et leurs lignes. Ce sentiment, même si le talent n'a rien à voir là-dedans mais bien l'affaire de la survie, d'appartenir ensemble à ce petit (pas si petit sans doute mais de nombreux timides ne s'en déclarent pas, ou même s'en ignorent) clan des Perdus Sans Stylo, pas très normaux, pas trop fous non plus, mais souvent à côté, en contre-plongée, décalage plus ou moins heureux, plus ou moins fatal. Ces gens qu'on aime même inconnus, c'est complètement idiot, ça ne se dit pas, je ne le dis pas en tout cas, parce qu'ils nous ressemblent. Parce qu'il faut bien l'admettre, parfois, peut-être davantage même, l'on aime les miroirs de nous-mêmes, les miroirs mêmes autres. Parfois, il n'y a pas beaucoup plus loin à aller chercher et les nœuds au cerveau psychanalytiques, bien que passionnants et enrichissants, ne mènent pas à une conclusion plus complexe sinon dans sa formulation alambiquée. Faire partie du clan ; voir en l'autre son frère.
Et puis, aussi, ce que je n'aurais pas osé dire mais dont la pensée était au bord des lèvres : que l'on voudrait faire de chaque vie une poésie. Pas osé croire en cette pensée. Dangereuse ? Extrême ? Naïve ? Illusoire ? Oui tout cela. Mais il n'a pas eu peur de le dire, de l'écrire et le chanter. Une musique qui râpe, qui écorche, qui cingle, des notes de dernière onction, dramatique et rageuse, désespérée et guerrière. Une musique qui ne cajole pas et dans laquelle pourtant, Solaar risque à nouveau la vie comme une poésie, ce rêve que l'on ne peut reprendre en main qu'une fois que l'on a vu l'indifférence et le réalisme faire plus de dégâts que toute autre philosophie. A chaque individu correspond une philosophie mais les Perdus Sans Stylo meurent du pragmatisme Ikéa. Si le rêve d'une vie-poésie à dos de stylo est l'issue la plus sereine, alors ne perdons pas de temps à être concrets et tristes. Tout n'est qu'une question de point de vue.

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