jeudi 28 décembre 2017

« Solaar pleure », MC Solaar madeleine proustienne


           Une chanson conseillée, parmi tant d'autres me direz-vous à juste titre, parmi la myriade d'autres dont j'ai le choix. Cette chanson conseillée par un cher, et déjà elle prend place dans mon panthéon musical. Chacun le sien. Chacun son édifice, sa construction. Des années. Toute une histoire. Les souvenirs, les espoirs, les douleurs, les victoires. Tout. Précisément cette chanson, cette voix me fait bondir vingt ans en arrière. Cette voix sans même le reste, ce qui l'anime de sens, m'appelle. Pas moi telle que je suis aujourd'hui. Pas l'ici maintenant. Celle que je n'invoque jamais, que je laisse loin bien loin de moi, à sa place dans le sale passé. Mais cette voix est bien plus forte que moi et ma volonté, celle qu'on croit de fer et qui n'est qu'un rouage, pas tellement plus important qu'un autre, la partie émergée de l'iceberg pour ainsi dire, dans l'immense machine psychique. Cette voix devrait sans doute, si 'on suivait le raisonnement rationnellement, me déplaire, me faire fuir même. Mais au contraire, elle m'aimante.
          Et resurgissent alors les émois du début. Juste une voix, juste un timbre, et à force d'écouter la chanson en boucle, je n'entends plus qu'elle, son fin fonds, l'être qui s'exprime. Les paroles finissent par se perdre, par n'être plus que la surface, ces paroles qui font tinter toutes mes cloches ; elles pourraient me parler à moi, précisément, singulièrement, si j'oubliais l'humanité à laquelle j'appartiens et en premier lieu le cher qui me l'a fait découvrir. Mais sans aucun doute, à moi elle rouvre les portes anciennes, closes et recloses, l'univers qu'elles enferment, figé derrière dans l'image que j'en souhaite, qui 'arrange. Chacun s'arrange avec son histoire, n'est-ce pas, et la reconstruit à sa guise, en modifiant quelques éléments au fur et à mesure des événements de l'existence. Pragmatique en croyant être historien fidèle.
          Toujours est-il que cette voix, main de fer dans un gant de velours, qui mêle les paradoxes, rouvre non pas la plaie comme l'on aurait pu s'y attendre mais l'univers pourrissant derrière sa porte close et reclose des primes émois. J'y sens le premier amour, inévitablement, le premier amour et la découverte de sensations intérieures inédites. Cette vibration qui marque la fin de l'enfance et l'entrée sur la route vers l'âge adulte, s'il est atteint un jour, pas toujours évident, bien plus rare qu'on ne le croit ! La voix de MC Solaar et je me cogne à moi-même, 11 ans et il tend sa voix entre aujourd'hui et hier sans aucune hésitation. Je ne peux pas y échapper. Comme l'écrit mon Marcel avec sa madeleine, j'y retrouve cette continuité d'être, ce sentiment suprême d'existence dans la sensation et ses réminiscences, malgré les portes apparemment fermées à clef, les liens brisés avec force et fracas. Mais non, sous ce semblant de ruptures chaotiques, la voix de MC Solaar me dit que j'ai été sans arrêt, tout au fond, pas à l'identique mais été sans discontinuer. Quelle importance me direz-vous, encore une fois à juste titre ? Simplement, sans penser à la vanité de l'existence ni à sa brièveté désespérante à l'échelle du Temps, simplement l'assurance de ne pas avoir rêvé, d'avoir bien vécu tout cela et d'être réel. L'ancrage en vie.
       J'écoute deux fois, trois fois, quatre, cinq, six, encore davantage et je retrouve sans comprendre ce bien-être absolument confiant de l'enfant qu'on choie. Ce sont les voix noires qui me renvoient, si j'y suis prête (même si MC Solaar ne demande pas la permission et réveille tous mes morts, peut-être l'ai-je laissé faire sans m'en rendre compte), cette absolue confiance que je crois souvent ne jamais avoir expérimentée. Mais si ! Voilà que la nounou qui m'a choyée refait surface et que je lui sais gré de ce trésor qu'elle m'a offert de pouvoir faire confiance, comme le bébé que j'étais. Une seule chanson qui rime la mort, l'enfer et la fragilité de notre condition, et la vraie vie, presque à l'état pure, sans paroles, sans codes, le nouveau-né me saute à la gorge. Cette voix venu du sein des âges et qui peu à peu, au fil des écoutes, dresse les enfants que je fus.
Alors j'écoute encore et encore, et je m'apprends. Je me rappelle. Plus honnête. Apaisée d'avoir trouvé une madeleine proustienne et un fil de l'existence.


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