Une
chanson conseillée, parmi tant d'autres me direz-vous à juste
titre, parmi la myriade d'autres dont j'ai le choix. Cette chanson
conseillée par un cher, et déjà elle prend place dans mon panthéon
musical. Chacun le sien. Chacun son édifice, sa construction. Des
années. Toute une histoire. Les souvenirs, les espoirs, les
douleurs, les victoires. Tout. Précisément cette chanson, cette
voix me fait bondir vingt ans en arrière. Cette voix sans même le
reste, ce qui l'anime de sens, m'appelle. Pas moi telle que je suis
aujourd'hui. Pas l'ici maintenant. Celle que je n'invoque jamais, que
je laisse loin bien loin de moi, à sa place dans le sale passé.
Mais cette voix est bien plus forte que moi et ma volonté, celle
qu'on croit de fer et qui n'est qu'un rouage, pas tellement plus
important qu'un autre, la partie émergée de l'iceberg pour ainsi
dire, dans l'immense machine psychique. Cette voix devrait sans
doute, si 'on suivait le raisonnement rationnellement, me déplaire,
me faire fuir même. Mais au contraire, elle m'aimante.
Et
resurgissent alors les émois du début. Juste une voix, juste un
timbre, et à force d'écouter la chanson en boucle, je n'entends
plus qu'elle, son fin fonds, l'être qui s'exprime. Les paroles
finissent par se perdre, par n'être plus que la surface, ces paroles
qui font tinter toutes mes cloches ; elles pourraient me parler
à moi, précisément, singulièrement, si j'oubliais l'humanité à
laquelle j'appartiens et en premier lieu le cher qui me l'a fait
découvrir. Mais sans aucun doute, à moi elle rouvre les portes
anciennes, closes et recloses, l'univers qu'elles enferment, figé
derrière dans l'image que j'en souhaite, qui 'arrange. Chacun
s'arrange avec son histoire, n'est-ce pas, et la reconstruit à sa
guise, en modifiant quelques éléments au fur et à mesure des
événements de l'existence. Pragmatique en croyant être historien
fidèle.
Toujours
est-il que cette voix, main de fer dans un gant de velours, qui mêle
les paradoxes, rouvre non pas la plaie comme l'on aurait pu s'y
attendre mais l'univers pourrissant derrière sa porte close et
reclose des primes émois. J'y sens le premier amour, inévitablement,
le premier amour et la découverte de sensations intérieures
inédites. Cette vibration qui marque la fin de l'enfance et l'entrée
sur la route vers l'âge adulte, s'il est atteint un jour, pas
toujours évident, bien plus rare qu'on ne le croit ! La voix de
MC Solaar et je me cogne à moi-même, 11 ans et il tend sa voix
entre aujourd'hui et hier sans aucune hésitation. Je ne peux pas y
échapper. Comme l'écrit mon Marcel avec sa madeleine, j'y retrouve
cette continuité d'être, ce sentiment suprême d'existence dans la
sensation et ses réminiscences, malgré les portes apparemment
fermées à clef, les liens brisés avec force et fracas. Mais non,
sous ce semblant de ruptures chaotiques, la voix de MC Solaar me dit
que j'ai été sans arrêt, tout au fond, pas à l'identique mais été
sans discontinuer. Quelle importance me direz-vous, encore une fois à
juste titre ? Simplement, sans penser à la vanité de
l'existence ni à sa brièveté désespérante à l'échelle du
Temps, simplement l'assurance de ne pas avoir rêvé, d'avoir bien
vécu tout cela et d'être réel. L'ancrage en vie.
J'écoute
deux fois, trois fois, quatre, cinq, six, encore davantage et je
retrouve sans comprendre ce bien-être absolument confiant de
l'enfant qu'on choie. Ce sont les voix noires qui me renvoient, si
j'y suis prête (même si MC Solaar ne demande pas la permission et
réveille tous mes morts, peut-être l'ai-je laissé faire sans m'en
rendre compte), cette absolue confiance que je crois souvent ne
jamais avoir expérimentée. Mais si ! Voilà que la nounou qui
m'a choyée refait surface et que je lui sais gré de ce trésor
qu'elle m'a offert de pouvoir faire confiance, comme le bébé que
j'étais. Une seule chanson qui rime la mort, l'enfer et la fragilité
de notre condition, et la vraie vie, presque à l'état pure, sans
paroles, sans codes, le nouveau-né me saute à la gorge. Cette voix
venu du sein des âges et qui peu à peu, au fil des écoutes, dresse
les enfants que je fus.
Alors
j'écoute encore et encore, et je m'apprends. Je me rappelle. Plus
honnête. Apaisée d'avoir trouvé une madeleine proustienne et un fil de l'existence.
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