L'humain
est ainsi fait qu'il met des gens dans des cases. Il n'est ici pas
question de faire la morale. C'est un constat. On peut s'en désoler
ou en faire une force, cracher dessus ou faire preuve d'indulgence.
Envers soi-même en premier lieu. C'est une nécessité de pensée,
du moins en début de vie que de mettre les gens dans des cases.
L'expression est fâcheuse mais la réalité pas aussi bête. On fait
de belles catégories dont on est fier et ça nous aide à vivre.
Tous, autant que nous sommes faisons cela. Ah non nous ne vivons pas
dans une société de castes, encore heureux ! Ah ah ? Nos
castes sont secrètes, intimes, tues. Mais elles sont bel et bien là,
tout au long de notre route. Elles ne tombent pas du ciel. Nous
croyons que nous n'en avons plus car nous ne es subissons plus. Mais
nous les construisons, habilement, mystérieusement, nous mystifiant
nous-mêmes.
Qui
peut dire que jamais ô grand jamais il n'a mis les gens dans des
cases ? Les menteurs bien entendu mais sinon qui ? Dites-moi qui
ne met pas les gens dans des cases à part le philosophe aguerri, à
part le fou schizo qui se bat contre toutes les camisoles (non il est
vrai, tous les fous ne sont pas tolérants, bien entendu ; j'ai
beau vouloir le croire et le crier tant et plus, je sais, je sais...
tous les fous non. Mais je garde une tendresse particulière et
peut-être un parti pris subjectif, une de mes cases à moi, pour les
grands schizophrènes. Les schizophrènes sont tous des grands,
d'ailleurs. On les prend souvent pour des déglingués, fracassés. A
n'en pas douter, ils sont définitivement meurtris, hémorragiques au
fil du gouffre en permanence. Ils sont le cœur et l'âme, aussi
désuets que soient ces organes, fracassés par la vie et les autres.
Chaque minute peut être un cauchemar et chaque respiration la
dernière. On les a jetés contre un rocher alors même qu'ils
étaient à naître. On les a brisés aux racines du monde. Un on
qu'on ne peut accuser, en partie identifiable, en partie démoniaque,
irréel. Un on aussi creux et énorme que ce mot, On. J'ai, encore
aujourd'hui, envie, besoin serait plus juste, plus honnête surtout,
de croire que les Schiz ont cette capacité à prendre le monde par
l'autre bout, tout à l'envers et les cases ne leur sont plus tout à
fait nécessaires. Nous nous jetons à l'eau. Ils sont jetés à
l'eau et manquent de se noyer des milliards de fois avant de cesser
de comprendre l'univers avec des cases. Bien avant nous, et sans
courage, impuissants, ils sont jetés dans l'eau la plus torrentielle
qui soit. Tous, sans exception, vous m'accorderez cela, traversent
l'enfer, inondés de l'intérieur, inondables à merci et longtemps
en friche avant d'être retapés comme il faut. Raptés par la folie
de l'eau et ses insatiables tentacules. Alors, non, les cases ne sont
vite plus d'aucune utilité dans ce monde de noyades
multiquotidiennes ou ininterrompues. Car l'enfer existe bien sur
terre et je crois qu'il est là, dans cette maladie qui emmène
certains hommes et femmes dans le retranchement de la pensée
humaine, où les cases sont vides de sens, polymorphes,
interchangeables, plus folles que le fou. La tolérance que nous
identifions comme telle souvent chez les Schiz, ma case préférée,
n'est cela que pour nous qui les regardons guerroyer nuit et jour,
parfois jusqu'à la mort. La tolérance est notre belle
interprétation de personnes dites « saines » mais
auxquelles surtout les cases suffisent. Non pas que nous soyons
limités, quoi que... Nos limites nous protègent. J'en conviens. Eux
ont à leur portée un autre monde, sans queue ni tête mais
monstrueux de sens et de richesses. Parfois, ce monde est un monstre
de vide. Ce qu'ils en disent est souvent le plus tripal de notre
pensée que nous nous efforçons jour après jour d'éloigner de nous
et de ne pas croire. « Parfois, j'ai la conviction que les
mains des gens bougent selon un code précis que j'ignore et qu'ils
communiquent entre eux sans que j'en saisisse rien. Je fixe les
doigts qui s'agitent, je me perds dans leurs mouvements. Je sais que
je n'y trouverai rien. Je le sais. Mais je continue de chercher le
sens de ces gestes qui m'échappent. Je me sens folle alors mais tout
va plus vite que moi.» Pourquoi donc ne verrait-on pas du sens là
où nous avons décidé qu'il n'y en avait pas et qu'au contraire il
y en ai bien moins là où nous avons tout misé ? Je souhaite
de tout cœur à chacun un séjour en psychiatrie, pas nécessairement
comme patient, je ne souhaite pas cette torture même à celle que
j'ai le plus haïe dans ma vie et dont je crois qu'encore aujourd'hui
je pourrai l'encastrer dans le premier mur venu, la piétiner loi,
très loin, beaucoup trop, si elle me provoquait. Même à cette
peste vivante, je ne souhaiterais jamais cela, si tant est qu'elle ne
l'ait pas connu. Mais allez donc en psychiatrie, visiter, parler,
observer, pas dans votre coin sans un mot ; vous laisser
approcher et sentir la béance intérieure mais aussi la vanité d'un
monde de cases, son intolérance hilarante, absurde, juste
pragmatique et survivance. Regardez ça ! Et vous rirez de vos
cases. Vous rirez de vous, bien plus que d'eux. Leur sérieux dit le
drame de notre espèce.), à part le vieux paralytique qui en a fini
avec ces balivernes de jeunot arrogant qu'il a été pourtant. Qui ?
… Personne ne peut supporter ce vide tant qu'il n'a pas éprouvé
la vie. On croit toujours faire reculer les cases, amenuir leur
impact, s'en passer mieux, être plus fort et pouvoir regarder le
monde sans ces oeillères. Un leurre ! Nous les déplaçons,
comme l'inconscient et ses rêves. Et le temps que nous nous en
apercevions, elles nous ont déjà fait perdre un temps précieux.
Dans
ces cases, il y a les gens qui ouvrent les portes et ceux qui les
referment. Il y a les gens qui tendent des clefs et ceux qui les
confisquent. Adeptes du Pourquoi pas ? ou ceux de l'Impuissance,
immense déesse, puissance phénoménale de notre société
française. La plus vénérée sans doute, sous de nombreux noms
prétextuels. On apprend avec les années à côtoyer peu à peu ceux qui nous ouvrent
nos portes, pas les leurs, bien sûr pas les leurs ! Bien sûr... Ces
imbéciles qui croient vous offrir leur richesse mais qui n'ont pas
compris qu'ils sont l'endroit ou l'envers, peu importe, des vôtres.
Que jamais vous ne leur ressemblerez et qu'ils ne vous ouvrent donc
aucune porte mais au contraire, vous referme la vôtre, celle qui
vous va si bien, en pleine face. On suit longtemps ceux qui font croire
qu'ils savent et qui s'en convainquent. On les suit parfois
naïvement. Ils n'aident pas. Suivez bien plutôt Monsieur ou Madame
Schiz, ou l'un de vos proches si vous êtes un veinard, qui vous
montrera que votre plus grande porte est parfois la toute minuscule
au fond du coin, ou que la plus authentique porte un masque de
carnaval fou du roi bouffon ridicule à ne jamais laisser passer et
se lasser de décrypter. Cherchons ces gens qui ouvrent les portes,
sans qu'on s'y attendent. Sans qu'on leur demande. Mais qui vous
aiment tellement, si bien surtout, qu'ils savent l'exacte chose à
dire ou faire pour faire taire Impuissance et ses démons. Nenous
méprenons pas ! Ce ne sont pas les plus tendres. Ce ne sont pas
les plus clairs. Ni les plus faciles. Mais souvent les plus
douloureux. Les plus fous. Les plus schiz
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