samedi 9 décembre 2017

Schizophrènes, je vous aime

         L'humain est ainsi fait qu'il met des gens dans des cases. Il n'est ici pas question de faire la morale. C'est un constat. On peut s'en désoler ou en faire une force, cracher dessus ou faire preuve d'indulgence. Envers soi-même en premier lieu. C'est une nécessité de pensée, du moins en début de vie que de mettre les gens dans des cases. L'expression est fâcheuse mais la réalité pas aussi bête. On fait de belles catégories dont on est fier et ça nous aide à vivre. Tous, autant que nous sommes faisons cela. Ah non nous ne vivons pas dans une société de castes, encore heureux ! Ah ah ? Nos castes sont secrètes, intimes, tues. Mais elles sont bel et bien là, tout au long de notre route. Elles ne tombent pas du ciel. Nous croyons que nous n'en avons plus car nous ne es subissons plus. Mais nous les construisons, habilement, mystérieusement, nous mystifiant nous-mêmes.
             Qui peut dire que jamais ô grand jamais il n'a mis les gens dans des cases ? Les menteurs bien entendu mais sinon qui ? Dites-moi qui ne met pas les gens dans des cases à part le philosophe aguerri, à part le fou schizo qui se bat contre toutes les camisoles (non il est vrai, tous les fous ne sont pas tolérants, bien entendu ; j'ai beau vouloir le croire et le crier tant et plus, je sais, je sais... tous les fous non. Mais je garde une tendresse particulière et peut-être un parti pris subjectif, une de mes cases à moi, pour les grands schizophrènes. Les schizophrènes sont tous des grands, d'ailleurs. On les prend souvent pour des déglingués, fracassés. A n'en pas douter, ils sont définitivement meurtris, hémorragiques au fil du gouffre en permanence. Ils sont le cœur et l'âme, aussi désuets que soient ces organes, fracassés par la vie et les autres. Chaque minute peut être un cauchemar et chaque respiration la dernière. On les a jetés contre un rocher alors même qu'ils étaient à naître. On les a brisés aux racines du monde. Un on qu'on ne peut accuser, en partie identifiable, en partie démoniaque, irréel. Un on aussi creux et énorme que ce mot, On. J'ai, encore aujourd'hui, envie, besoin serait plus juste, plus honnête surtout, de croire que les Schiz ont cette capacité à prendre le monde par l'autre bout, tout à l'envers et les cases ne leur sont plus tout à fait nécessaires. Nous nous jetons à l'eau. Ils sont jetés à l'eau et manquent de se noyer des milliards de fois avant de cesser de comprendre l'univers avec des cases. Bien avant nous, et sans courage, impuissants, ils sont jetés dans l'eau la plus torrentielle qui soit. Tous, sans exception, vous m'accorderez cela, traversent l'enfer, inondés de l'intérieur, inondables à merci et longtemps en friche avant d'être retapés comme il faut. Raptés par la folie de l'eau et ses insatiables tentacules. Alors, non, les cases ne sont vite plus d'aucune utilité dans ce monde de noyades multiquotidiennes ou ininterrompues. Car l'enfer existe bien sur terre et je crois qu'il est là, dans cette maladie qui emmène certains hommes et femmes dans le retranchement de la pensée humaine, où les cases sont vides de sens, polymorphes, interchangeables, plus folles que le fou. La tolérance que nous identifions comme telle souvent chez les Schiz, ma case préférée, n'est cela que pour nous qui les regardons guerroyer nuit et jour, parfois jusqu'à la mort. La tolérance est notre belle interprétation de personnes dites « saines » mais auxquelles surtout les cases suffisent. Non pas que nous soyons limités, quoi que... Nos limites nous protègent. J'en conviens. Eux ont à leur portée un autre monde, sans queue ni tête mais monstrueux de sens et de richesses. Parfois, ce monde est un monstre de vide. Ce qu'ils en disent est souvent le plus tripal de notre pensée que nous nous efforçons jour après jour d'éloigner de nous et de ne pas croire. « Parfois, j'ai la conviction que les mains des gens bougent selon un code précis que j'ignore et qu'ils communiquent entre eux sans que j'en saisisse rien. Je fixe les doigts qui s'agitent, je me perds dans leurs mouvements. Je sais que je n'y trouverai rien. Je le sais. Mais je continue de chercher le sens de ces gestes qui m'échappent. Je me sens folle alors mais tout va plus vite que moi.» Pourquoi donc ne verrait-on pas du sens là où nous avons décidé qu'il n'y en avait pas et qu'au contraire il y en ai bien moins là où nous avons tout misé ? Je souhaite de tout cœur à chacun un séjour en psychiatrie, pas nécessairement comme patient, je ne souhaite pas cette torture même à celle que j'ai le plus haïe dans ma vie et dont je crois qu'encore aujourd'hui je pourrai l'encastrer dans le premier mur venu, la piétiner loi, très loin, beaucoup trop, si elle me provoquait. Même à cette peste vivante, je ne souhaiterais jamais cela, si tant est qu'elle ne l'ait pas connu. Mais allez donc en psychiatrie, visiter, parler, observer, pas dans votre coin sans un mot ; vous laisser approcher et sentir la béance intérieure mais aussi la vanité d'un monde de cases, son intolérance hilarante, absurde, juste pragmatique et survivance. Regardez ça ! Et vous rirez de vos cases. Vous rirez de vous, bien plus que d'eux. Leur sérieux dit le drame de notre espèce.), à part le vieux paralytique qui en a fini avec ces balivernes de jeunot arrogant qu'il a été pourtant. Qui ? … Personne ne peut supporter ce vide tant qu'il n'a pas éprouvé la vie. On croit toujours faire reculer les cases, amenuir leur impact, s'en passer mieux, être plus fort et pouvoir regarder le monde sans ces oeillères. Un leurre ! Nous les déplaçons, comme l'inconscient et ses rêves. Et le temps que nous nous en apercevions, elles nous ont déjà fait perdre un temps précieux.
          Dans ces cases, il y a les gens qui ouvrent les portes et ceux qui les referment. Il y a les gens qui tendent des clefs et ceux qui les confisquent. Adeptes du Pourquoi pas ? ou ceux de l'Impuissance, immense déesse, puissance phénoménale de notre société française. La plus vénérée sans doute, sous de nombreux noms prétextuels. On apprend avec les années à côtoyer peu à peu ceux qui nous ouvrent nos portes, pas les leurs, bien sûr pas les leurs ! Bien sûr... Ces imbéciles qui croient vous offrir leur richesse mais qui n'ont pas compris qu'ils sont l'endroit ou l'envers, peu importe, des vôtres. Que jamais vous ne leur ressemblerez et qu'ils ne vous ouvrent donc aucune porte mais au contraire, vous referme la vôtre, celle qui vous va si bien, en pleine face. On suit longtemps ceux qui font croire qu'ils savent et qui s'en convainquent. On les suit parfois naïvement. Ils n'aident pas. Suivez bien plutôt Monsieur ou Madame Schiz, ou l'un de vos proches si vous êtes un veinard, qui vous montrera que votre plus grande porte est parfois la toute minuscule au fond du coin, ou que la plus authentique porte un masque de carnaval fou du roi bouffon ridicule à ne jamais laisser passer et se lasser de décrypter. Cherchons ces gens qui ouvrent les portes, sans qu'on s'y attendent. Sans qu'on leur demande. Mais qui vous aiment tellement, si bien surtout, qu'ils savent l'exacte chose à dire ou faire pour faire taire Impuissance et ses démons. Nenous méprenons pas ! Ce ne sont pas les plus tendres. Ce ne sont pas les plus clairs. Ni les plus faciles. Mais souvent les plus douloureux. Les plus fous. Les plus schiz

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