dimanche 31 décembre 2017

La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez, Ed. Grasset


            L'ange de la mort, un des nombreux nazis qui hantent les mémoires et surtout les imaginations. La disparition de Josef Mengele nous emmène tout le long de sa fuite à travers l'Amérique du Sud, de place en place, de terrier en terrier, de cave en mirador. S'il n'avait dès le départ été paranoïaque, il le serait devenu sans aucun doute ! La cavale de décennies entières, une folie en soi ; une hérésie. Cette vie ne sert à rien. Voilà ce qu'on peut en retenir. Cette vie est une fuite après avoir été une chasse, quelque temps, une vingtaine d'années. Tout le reste de la vie à se cacher, à se terrer comme une bête indigne. L'on suit cet homme, ce médecin, ce spécialiste du soin..., mais la connaissance de la médecine n'engage en rien la qualité humaine de ceux qui la pratiquent.
        Justement cette interrogation taraude : le soignant bourreau ; celui qu'on voudrait adorer, comme un surhomme, nombre des intéressés y croient eux-mêmes d'ailleurs, est un tortionnaire en puissance. La limite est ténue entre le soignant et le sadique. Allons même jusqu'à nous demander si le soignant n'est pas un sadique qui sublime sa pulsion et la renverse en son contraire ? Ce médecin-là est un sadique sans filtre, un sadique qui n'a pas fait l'effort de mettre un masque, de se fondre dans la masse, dans le socialement acceptable. Mais si ! Il s'est adapté au socialement acceptable de l'époque. Il est donc resté un simple sadique, archaïque.
          Les plus adaptables, les plus tourmentés, les plus fragiles. Les plus violents. Les plus victimes. Les plus bourreaux. Les plus maléfiques. Les plus naïfs. Ce sont les mêmes.
Cependant, l'on ne rentre jamais vraiment dans ses tripes. Comme si c'était là un sacrilège. Il y a peut-être une répugnance partagée à ne pas essayer de sentir réellement ce que sent cet homme qu'on appelle monstre. Mais aussi politiquement incorrect que cela puisse paraître, je crois que l'on peut comprendre n'importe quel être humain si l'on a commencé à en comprendre certains. Encore faut-il s'y autoriser et se jeter à l'eau, aussi profondément que nécessaire, quitte à toucher les pires démons qui nous habitent. Aurait-on peur de compatir avec celui qu'on appelle un monstre ? Aurait-on peur d'attraper sa maladie comme un vulgaire microbe ? N'est-ce pas exactement ce qui se passe avec les Messieurs et Dames les délirants à l'approche desquels tout le monde s'écarte ? Comprendre la folie est-il en soi une folie ? Quels si formidables risques y pressent-on qui nous rendent si précautionneux, même les plus aventureux ? Quoi qu'il en soit, ces risques semblent valoir la peine de se saisir de déjà-pensé, mâché-tout-cuit. Oui cela m'agace. Oui je le comprends parfaitement. Ce n'est que proprement humain. Jamais, tant que cette espèce existera, on ne pourra empêcher ce réflexe de proie. La folie est le pire prédateur de l'homme et même si l'on n'en dit rien, chacun le sait ou le sent. On la tait. On la dénie. On ne fait que la fuir. Et la fuite est un des fondements de la survie. Tous les animaux fuient à un moment, reculent, renoncent. Sans cela, la mort s'abat sans merci dès les premiers jours.
Bref, tout cela pour en venir à cet homme, Josef Mengele que le lecteur accompagne dans son exil, cinquante ans durant, et qui pourtant, une fois le livre fermé, reste un mystère. C'était un fou. C'était un parano. C'était un tyran. C'était un immense angoissé. C'était un raciste invétéré. C'était un enfant jaloux. Un frère hargneux. Un narcisse obnubilé par sa petite personne. Etc. Et donc ? Et puis ? Et alors ? Qu'en conclure ? UN MONSTRE ! Aaaaaaaaaah ! Et après ?
         Olivier Guez nous ouvre les portes de toutes les questions que posent tous les souverains et acolytes furieux de tous les temps. Les nazis sont près de nous les plus incroyables, et encore... il y a tous ceux qu'on connaît moins mais qui tout autant... L'on suit à la trace les pas de ce Mengele exaspérant et fascinant en même temps. Car oui il fascine. Ils fascinent tous. Alors il vaut mieux ne pas trop les comprendre. De peur de les aimer. Sûrement de peur de les aimer. On ne peut aimer Josef Mengele. Il est insupportable. Mais il demeure crypté. On ne l'observe que de l'extérieur. L'intérieur est affleuré. Peut-être est-ce mieux ainsi. Peut-être la lecture en reste par conséquent agréable et enivrante. Car Olivier Guez nous entraîne, sans aucun doute, et fait vivre cette évasion d'un demi-siècle. Il nous fait connaître mieux ce Docteur Maboul évincé par de plus cruelle figures. Sans doute pas plus sanguinolentes. Il nous donne envie de se renseigner, de savoir qui encore et encore plus loin derrière, et pourquoi. C'est toujours le bout de ce tunnel que l'on vise et que l'on atteint jamais, qui nous fait parcourir cette histoire et en attendre le fin mot. Mais l'on referme le dernier volet de cette aventure toujours aussi incrédule. Et l'on n'a toujours pas compris.
       Pourtant, l'on a tout de même approché, dans cette cavalcade déjantée un sacré nombre de timbrés, toqués, givrés de tout poil. Cet univers de jungle en devient irréel, déjanté oui, drolatique, clownesque. L'on n'oublie pas que ce sont nos pareils, nos frères et sœurs d'espèce, mais l'on rit de bon cœur parfois, ne pouvant nous y retrouver, ou nous retrouvant trop nous et nos proches au contraire. Le rire nous éloigne d'eux autant qu'il nous y lie. Le narrateur utilise cette fausse innocence réaliste qui suscite le rire de son lecteur abasourdi par cette marée de fous. Il n'y a plus qu'à en rire pour s'en défendre. Parce qu'on en vient toujours là. Vous savez, la survie...
       Bien sûr, voir se dresser le portrait de cet homme ouvre les yeux toujours plus grand, nous force à questionner sans arrêt, à ne jamais cesser de réfléchir, à ne jamais cesser de douter, le bon doute comme il y a le bon stress dit-on, n'est-ce pas ?, d 'explorer. Mais le danger d'une autopsie jusqu'aux plus puantes des muqueuses n'est pas couru. Cependant, le peut-on de nos jours ? De nos jours ou d'avant ? Je n'en sais rien, je ne suis que femme d'ici maintenant, avec tous les préjugés que je crois réflexions. Mais la sagesse vient à qui sait attendre. La vraie question est donc : peut-on de nos jours s'aventurer à comprendre de l'intérieur le nazi, le tortionnaire, le fou ? De l'intérieur le plus terrifiant ? Notre société libre de pensée ne l'est que dans les principes. La réelle liberté de pensée ne saurait avoir place dans une quelconque société. L'humain en est incapable. Sinon, il serait dieu. Mais il doit ne pas penser certaines choses et ceux qui affirment n'avoir peur de rien penser ne sont que de grands menteurs devant l'éternel. Ils y croient eux-mêmes ? Tant mieux, ils seront plus heureux ainsi. Le mensonge est un repos et chacun de nous en a besoin à tout moment, à propos de ceci ou cela, et surtout de soi-même.

            Après cette lecture de La disparition de Josef Mengele, le personnage s'agrippe à moi. Il me saute aux yeux dans la journée, brutalement, comme une conscience qui se réveille en hurlant. Et si je prends les choses en main, je reviens au tout début du roman. Je reviens à ce point-là et me retourne pour partir dans l'autre sens. Les quelques incursions vers le passé ont fait briller mes yeux mais une phrase ou deux et l'échappée continuait en avant. Je pars donc dans l'autre sens et je remonte le temps. J'imagine l'adolescent mais surtout l'enfant et le tout-petit. Je rêve du livre de sa naissance et les origines du mal. Je ne dirais pas le Mal. Mais le mal dans tous ses aspects. Non le Mal-valeur. Le mal-peine, le mal-faute, le mal-larme, le mal-arme, le mal-ravage, le mal-douleur. Le mal se décline en un kaléidoscope d'expériences que le Mal réduit stupidement. 

              Au commencement, il y a sans doute toujours un mal-aimé. Pas une excuse. Une explication. Un être qu'on hait, qui se hait, si fort qu'il en vient à haïr à mort.

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