mardi 16 janvier 2018

Et la foule qui berce l'enfant

Aksel se prélasse dans la foule. Il a l'impression d'être un serpent qui coule entre les gens. Un serpent parce qu'il glisse, parce qu'il n'y a aucun à-coup. Parce que là, les oreilles bouchées jusqu'au fin fond, il vogue parmi ses pairs. Il ne souffre de rien. Il souffle. L'on préfère préciser pourquoi ce serpent arrive là, parce que les gens disent bouh ! ah ! beurk ! Comme pour une araignée. Mais c'est tout sauf un prédateur dont on parle là. C'est un individu perdu au creux de la masse vivante de ses congénères. Bien avec eux. Parfaitement bien, coulant et calme, ni chaud ni froid, qu'on ne fasse pas dire ce qui n'est pas ! Il est sourd comme un serpent. Et se berce au sein de ses semblables, alors si réconfortants. Il a besoin d'eux après cette nuit en solitaire, tourné en rond dans son esprit, l'esprit précisément noué et renoué, emmêlé comme la plus fébrile des chevelures, l'esprit seulement apaisé par le ronron lointain d'abord de la voiture, un peu, pour commencer, en douceur, chaque chose en son temps, mais vraiment par le ronron des autres qui fourmillent autour de lui. C'est là, tout près et très loin qu'il peut reprendre le rythme des vivants. Non pas qu'il en soit vraiment sorti, sinon bien sûr il se serait tiré gentiment une balle en pleine tête, pas dans la bouche, ça ne marche pas toujours et on se retrouve bien fin après ça, ou un bon accident voiture contre camion, le camion gagne toujours, c'est un pari sans risques, pas de pari pascalien à la mords moi le noeud, il connaît tous les tours, il a tout lu dans ses  thrillers et il a aussi tout imaginé, dans son lit, il y a bien longtemps de ça. Mais les images demeurent et les idées se fixent, au cas où. Parce qu'une fois qu'on y a pensé, que notre enfant y a pensé, il ne le perd plus jamais de vue. Aksel ne perd jamais cela de vue. Pourtant, s'il était suicidaire, il serait depuis dix ou quinze ans passé de l'autre côté comme on dit. Mais il sait qu'il ne le fera jamais, rien que par loyauté envers cet enfant qui n'a jamais cessé la lutte. Il lui doit de vivre, maintenant adulte, les armes en main, de se battre, avec toute la facilité qu'on éprouve, malgré toutes nos récriminations, à lutter quand on n'est plus un enfant. Aksel a beau souffrir, son enfant aussi. Il le pense en coup de vent. Il a beau, c'est incomparable. Il ne peut pas faire cet affront au gosse. Il ne peut pas se permettre de mettre en balance l'aujourd'hui et l'hier. L'enfant deviendrait fou et tout sauf ça car l'enfant fou est bien plus incontrôlable que tous les autres en lui. Alors, dans cette immense foule, il apaise l'enfant dont il reste gros. Son apparence sèche masque cette gestation infinie qu'il accepte désormais. L'enfant s'est révolté à nouveau hier soir. Il n'a fait que ce qu'il pouvait. Il a perdu les pétales. Mais il n'est pas capable autrement. Est-il temps de le soigner ? D'assouvir sa faim insatiable ? Il ne parle pas. Il est muet comme un mur. Il faut l'intuitionner. Aucune autre voie.
Mais que faire s'il prenait les rênes ? Aksel veut-il rester le maître ? Réellement... Ou bien passer la main...

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