mercredi 10 janvier 2018

LE CRI : le temps s'arrete

    Les jours suivants, Sven a l’impression de marcher dans le vide. Il fait tourner la vie à son habitude mais tout semble à l’arrêt. Les rouages se sont figés. Il se demande s’ils ne sont pas même prêts à reculer. Un mouvement irrépressible est en train de le ramener vers l’arrière. Il ne le veut pas mais il n’aura pas le choix. Bien évidemment. Il n’aura pas le choix. Il garde le frein serré fermement pour l’instant mais il ne tiendra pas si longtemps qu’il le faudra pour pouvoir redémarrer vers l’avant. Il ne sera pas le plus fort dans cette lutte-là. Il l’évite depuis des années. Il ne pourra pas toujours en être ainsi.
     Sven fait bonne figure mais le peu de gens qu’il rencontre au quotidien perçoivent un malaise et s’inquiètent : « que se passe-t-il Monsieur Sven ? Vous êtes tout pâle ? Vous n’allez tout de même pas nous faire une autre folie en plein été ? »
 La dame qui vient de s’exprimer est la boulangère. Sven se nourrit presque exclusivement de pain alors c’est sans doute celle qu’il connaît le mieux. Et qui le connaît le mieux. Aujourd’hui. Elle évoque la pneumonie carabinée qui a terrassé Sven il y a trois ans au beau milieu du mois de juin. Il a commencé par une petite laryngite classique, puis extinction de voix, il a dit que ça passerait et tout est redescendu sur les bronches. C’est du moins ce qu’il croit avoir compris. Il n’est pas très au clair avec son anatomie intérieure mais en gros, il en a retenu l’essentiel : ne pas laisser traîner une petite maladie l’air de rien.
- Tout va bien Madame Pichot, pas de problèmes. Ne vous inquiétez pas pour moi.
- Ah ben si bien sûr Monsieur Sven. Sinon qui le fera ?
- Vous avez raison. Mais vraiment ne vous inquiétez pas pour moi, je suis seulement fatigué ces derniers temps.
- Eh bien reposez-vous, vous le pouvez non ? Parce que vous êtes blanc comme un linge. Déjà que vous n’êtes pas bien bronzé mais là vous allez bientôt ressemblez à un vampire.
Un frisson parcoure l’échine de Sven. La phobie des vampires. Elle ne le sait pas. Évidemment ! Personne ne le sait. Si... Son petit le savait. Il avait compris mais n’avait jamais vendu la mèche. Comment avait-il compris d’ailleurs ? Cet enfant montrait une intuition hors du commun. Il se disait qu’il deviendrait psychiatre ou menteur professionnel. Une capacité folle à entendre dans le silence de l’autre tout ce qu’il ne disait pas. Il lImaginait bien en blouse blanche, attentif et calme, comme il l’avait toujours été. A l’affût du moindre signe. Il avait cette manie de regarder le corps parler. Il traduisait absolument parfaitement tout ce que le corps des gens hurlait sans Ue personne n’y prête attention. Huit ans, neuf ans, au spectacle, dans la rue, il expliquait à son père : « le Monsieur est triste mais aussi regarde ! Très en colère, regarde ses mains, regarde Papa !ses chaussures claquent le sol comme des tarées. » Cela pouvait durer des heures. Il ne s’en lassait pas. C’était un enfant étonnant. Un peu trop fascinant d’ailleurs. Sven se disait souvent qu’il n’aurait pas dû comprendre tout cela.
- Ne vous faites pas de bile. Je vais bien. Je vais faire attention, vous avez raison.
- Oui et si vous avez besoin de quelque chose, demandez surtout. Arrêtez avec votre fierté d’ermite qui n’a peur de rien ! Ça ne vous donnera pas bonne santé.
- Oui oui...
Il sourit et sortit en la saluant.
Elle voyait juste. Il faisait toujours mine de rester détaché de tout, impavide, impassible. Elle n’y croyait pas. Qui y croyait ? Sans doute ceux qui ne regardaient pas plus loin que leur petit cercle vital.

             Depuis quelques jours, Sven avait une envie folle, pourtant longtemps endormie, d’appeler quelqu’un et de parler. Il avait envie d’appeler son grand. Il avait envie d’entendre sa voix grave et sûre. Les enfants finissent par rassurer les parents, quoi qu’on en dise. Mais Max n’était pas disposé.
Cependant, un jour, le téléphone inexorablement muet, se mit à sonner. Sven écarquilla les yeux en les fixant sur l’objet concerné. Il ne bougez pas puis se lève pour décrocher. « Allô ??? »              



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