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Janusa
se fait appeler Jana. Dès la première entrée en relation, elle
corrige et demande instamment à ses interlocuteurs de ne l'appeler
que comme cela, tant elle a perdu l'habitude d'être appelée Janusa.
C'est faux. Toute sa famille, pas mal d'amis, s'entêtent à user de
ce prénom insensé. Elle aime autant faire sa loi avec les nouveaux
arrivants. Ils sont tout frais, aucune habitude prise, parfait. Et en
effet, au travail, dans le cercle des jeunes connaissances, elle est
Jana. L'autre, ses parents n'ont jamais vraiment expliqué d'où cela
leur avait pris. Elle s'est contentée de vagues réponses.
Heureusement d'ailleurs qu'elle n'en attendait pas davantage.
Peut-être qu'elle sent au fond qu'il vaut mieux ne pas trop
questionner. Surtout les géniteurs. Surtout les siens. Après
quelque temps, les gens oublient le prénom officiel et adoptent Jana
comme le seul et unique. Au départ, quand elle a entrepris cette
opération, elle pensait que cela s’avérerait bien plus ardu. En
réalité, les gens s'en fichent ou peut-être respectent cela.
Étonnamment, ils respectent ce désir-là de ne pas être identifiée
par un amas de sons informes qu... Ou alors eux non plus ne
comprennent pas ce Janusa, tout simplement et le trouvent laid et eux
aussi préfèrent dire Jana. Elle devrait un jour leur demander. Mais à
vrai dire, Jana a d'autres chats à fouetter. Quand même, parfois,
elle se dit que c'est drôle comme les autres peuvent de temps en
temps se montrer respectueux. Pour des choses comme ça. Sans doute
qui concernent un peu tout le monde. Et puis, clairement, cela n'est
pas non plus la lune à comprendre !
Bref,
Jana est une jeune femme qui a réussi dans la vie. Elle est
infographiste. Elle est parvenu à allier ses deux amours en un seul
et à en faire son activité quotidienne. Comme tous les emplois, il
a ses corvées mais Jana est presque toujours volontaire pour
n'importe quelle tâche tant qu'il y en a une en cours qui la fait
vibrer. Elle s'émerveille souvent, toute seule. Elle n'en dit rien.
On ne fait pas partie d'un monde où l'on s'émerveille. Alors elle
serre les lèvres et chantonne dans sa gorge pour ne rien en dire.
Jana
sait exactement ce qu'il faut et ne faut pas dire. Experte en codes
sociaux.
Et,
Jana est une très belle femme. Pas une belle femme qu'on croise et
qui peut-être fait se retourner mais qu'on a oublié le lendemain.
Non, une très belle femme. De celles qu'on cherche à revoir. Qu'on
ne laisse pas passer sans rien dire, sans rien faire, sans essayer.
Qu'il s'agisse de séduction sexuée ou sociale, même combat. Jana
est attirante, au sens propre. Certains se disent aimanté. Elle sait
qu'elle fait cet effet-là. Elle s'en sert. Il faut jouer avec les
cartes qu'on a en main. Elle n'a pas tout pour elle, elle est comme
tout le monde, donc autant se faciliter la vie avec cet atout-ci.
Comment
est-elle aussi splendide ? Sans folie. De taille moyenne. Les
seins un peu petits, diront les amateurs de grosses loches. Mais elle
s'en contre-fiche. Elle aime pouvoir faire du sport tranquillement.
Elle aime voir ses pieds d'un coup d’œil sans avoir à se pencher
comme au-dessus d'un balcon accroché à ses poumons. Jana a les
cheveux noirs, avec des reflets presque bleutés, comme dans les
dessins animés japonais. Noir corbeau. Ils sont absolument raides et
sans un pli. Jana y veille. Voilà une de ses seules maniaqueries.
Ils sont interminables, jusque dans le creux du dos. Mais jamais
jusqu'aux fesses. Une limite qu'elle s'est fixée. Une limite
évidente qu'elle n'explique pas. Ils ont beau être sans fin, ils
sont épais et brillants. La gravité ne semble pas avoir poids sur
eux. Ils touffent comme des courts, comme des frisés. Un peu
stupéfiants. Des cheveux de chinoise en triplés. Le visage est
régulier, quelques taches de rousseur sur le haut des joues et le
nez. Une peau plutôt claire sans être pâle. Jana n'a jamais
mauvaise mine. Allez savoir comment ! Elle rougit facilement.
Cela lui est égal maintenant qu'elle a l'âge d'en faire fi. Mais
surtout, Jana a des yeux de chat. Elle est proprement féline. Les
yeux bleus flamboyants, le regard puissant, les yeux en amande.
Presque surnaturelle. Ces yeux-là ne laissent personne indifférents.
Ils ont quelque chose qui sonne une cloche, diraient nos amis
anglophones. A l'intérieur, une cloche se met en branle et ne cesse
de vibrer que longtemps après leur disparition. Ces yeux-là ne sont
pas normaux. Pas humains.
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