lundi 29 janvier 2018

Jana la belle

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          Janusa se fait appeler Jana. Dès la première entrée en relation, elle corrige et demande instamment à ses interlocuteurs de ne l'appeler que comme cela, tant elle a perdu l'habitude d'être appelée Janusa. C'est faux. Toute sa famille, pas mal d'amis, s'entêtent à user de ce prénom insensé. Elle aime autant faire sa loi avec les nouveaux arrivants. Ils sont tout frais, aucune habitude prise, parfait. Et en effet, au travail, dans le cercle des jeunes connaissances, elle est Jana. L'autre, ses parents n'ont jamais vraiment expliqué d'où cela leur avait pris. Elle s'est contentée de vagues réponses. Heureusement d'ailleurs qu'elle n'en attendait pas davantage. Peut-être qu'elle sent au fond qu'il vaut mieux ne pas trop questionner. Surtout les géniteurs. Surtout les siens. Après quelque temps, les gens oublient le prénom officiel et adoptent Jana comme le seul et unique. Au départ, quand elle a entrepris cette opération, elle pensait que cela s’avérerait bien plus ardu. En réalité, les gens s'en fichent ou peut-être respectent cela. Étonnamment, ils respectent ce désir-là de ne pas être identifiée par un amas de sons informes qu... Ou alors eux non plus ne comprennent pas ce Janusa, tout simplement et le trouvent laid et eux aussi préfèrent dire Jana. Elle devrait un jour leur demander. Mais à vrai dire, Jana a d'autres chats à fouetter. Quand même, parfois, elle se dit que c'est drôle comme les autres peuvent de temps en temps se montrer respectueux. Pour des choses comme ça. Sans doute qui concernent un peu tout le monde. Et puis, clairement, cela n'est pas non plus la lune à comprendre !
Bref, Jana est une jeune femme qui a réussi dans la vie. Elle est infographiste. Elle est parvenu à allier ses deux amours en un seul et à en faire son activité quotidienne. Comme tous les emplois, il a ses corvées mais Jana est presque toujours volontaire pour n'importe quelle tâche tant qu'il y en a une en cours qui la fait vibrer. Elle s'émerveille souvent, toute seule. Elle n'en dit rien. On ne fait pas partie d'un monde où l'on s'émerveille. Alors elle serre les lèvres et chantonne dans sa gorge pour ne rien en dire. 
Jana sait exactement ce qu'il faut et ne faut pas dire. Experte en codes sociaux.
Et, Jana est une très belle femme. Pas une belle femme qu'on croise et qui peut-être fait se retourner mais qu'on a oublié le lendemain. Non, une très belle femme. De celles qu'on cherche à revoir. Qu'on ne laisse pas passer sans rien dire, sans rien faire, sans essayer. Qu'il s'agisse de séduction sexuée ou sociale, même combat. Jana est attirante, au sens propre. Certains se disent aimanté. Elle sait qu'elle fait cet effet-là. Elle s'en sert. Il faut jouer avec les cartes qu'on a en main. Elle n'a pas tout pour elle, elle est comme tout le monde, donc autant se faciliter la vie avec cet atout-ci.
Comment est-elle aussi splendide ? Sans folie. De taille moyenne. Les seins un peu petits, diront les amateurs de grosses loches. Mais elle s'en contre-fiche. Elle aime pouvoir faire du sport tranquillement. Elle aime voir ses pieds d'un coup d’œil sans avoir à se pencher comme au-dessus d'un balcon accroché à ses poumons. Jana a les cheveux noirs, avec des reflets presque bleutés, comme dans les dessins animés japonais. Noir corbeau. Ils sont absolument raides et sans un pli. Jana y veille. Voilà une de ses seules maniaqueries. Ils sont interminables, jusque dans le creux du dos. Mais jamais jusqu'aux fesses. Une limite qu'elle s'est fixée. Une limite évidente qu'elle n'explique pas. Ils ont beau être sans fin, ils sont épais et brillants. La gravité ne semble pas avoir poids sur eux. Ils touffent comme des courts, comme des frisés. Un peu stupéfiants. Des cheveux de chinoise en triplés. Le visage est régulier, quelques taches de rousseur sur le haut des joues et le nez. Une peau plutôt claire sans être pâle. Jana n'a jamais mauvaise mine. Allez savoir comment ! Elle rougit facilement. Cela lui est égal maintenant qu'elle a l'âge d'en faire fi. Mais surtout, Jana a des yeux de chat. Elle est proprement féline. Les yeux bleus flamboyants, le regard puissant, les yeux en amande. Presque surnaturelle. Ces yeux-là ne laissent personne indifférents. Ils ont quelque chose qui sonne une cloche, diraient nos amis anglophones. A l'intérieur, une cloche se met en branle et ne cesse de vibrer que longtemps après leur disparition. Ces yeux-là ne sont pas normaux. Pas humains.


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