vendredi 5 janvier 2018

Le gentil et la rage

Les gentils,
placides,
sans pic brûlant ni glacial,
ceux qu'on appelle
les vrais gentils.
Certains disent
avec une assurance déconcertante
« il a un bon fond ».
Comme s'ils pouvaient y voir quelque chose
du fond
de la personne
ou même que ce qu'ils voyaient
était le fond.
Ils croient,
c'est cela j'ai trouvé la clef du mystère !
voir le fond dans
la patience
et le flegme
apparents.
Apparents putain !
Ce ne sont que des apparences.
Le fond n'est qu'un énorme magma
informe
pestilentiel
mauvais bon stupide génial fou clair menteur droit tueur ange et rien parfois, aussi.
Le fond n'est qu'à l'image de ce qu'on
refuse de savoir qui
habite nos
intestins :
de la pure et simple gerbe.
Elle révulse et pourtant,
sans doute est-elle la plus proche
métaphore de notre
fond,
s'il existe,
si l'on veut vraiment qu'il.

Les gentils
ceux qui ont si souvent
entendu
« Fais attention,
trop bon trop con ! »,
ils endorment
votre
vigilance.
Pas de manipulation sadique là-dessous,
pas d'intention autre que d'éviter
l'animosité qui
leur déplaît plus que tout
et disons-le en toute franchise,
les fatigue.
La guerre est épuisante.
En gentil,
on est bien plus au calme.
Quoi qu'il en soit,
ils endorment la vigilance,
les gardes au haut des miradors
s'affaissent sur leurs armes
et se recroquevillent de sommeil.
Ils ne servent de rien.
Ils n'ont pas peur.
Ils ont raison ;
On a raison.
Les gentils,
les vrais n'est-ce pas !,
pas les fous furieux psychopathes qui jouent aux marionnettes avec leurs
pairs
qui n'ont rien de pairs,
ils sont seuls au monde,
n'aiment personne que leur mère
qu'ils n'ont toujours pas retrouvée,
pauvres chatons !
Bref,
les vrais gentils,
et rien à voir avec le mauvais ou bon fond,
les actes et les mots,
les silences aussi,
ils savent faire le silence,
eux,
engeance exceptionnelle de cette société jacassière,
une immense basse-cour qui se prend pour une académie de génies,
les actes et non-actes parlent d'eux-mêmes.
Ils ne suscitent pas souvent
une grande admiration.
Ils ne courent pas après même si
comme tout un chacun,
aussi humains que les autres,
ils en jouissent quand elle
arrive.
Mais seuls,
sans public,
car la pudeur est une constante presque
immanquable chez ces gens-là.
Elle s''amenuise avec l'âge et les lauriers ne font alors plus
peur.

Les gentils,
moqués parfois,
méprisés aussi,
par les stratèges à longues dents.
Chacun peut choisir sa ligne de conduite,
quoi que,
choisir est un bien grand mot,
la part de choix dans une destinée semble bien minime
comparée à l'immensité des déterminations de
tout ordre.
Mais ne le dites pas,
l'homme serait offusqué de se rappeler
ou de comprendre pour certains,
qu'il n'est lui aussi qu'un
animal.
L'humilité n'est pas la qualité la mieux partagée
Monsieur Descartes,
celle-là non vraiment non !
Nos gentils,
le mot n'est pas une insulte comme
on le croit parfois,
prononcé avec condescendance,
anesthésie
et range les crocs et les griffes.
Mais gare à vous quand... !

Gare à vous
quand le gentil en a trop avalé,
que les couleuvres ne passent plus,
plus de digestion possible
à l'horizon,
quand il a souri et laissé passer,
quand vraiment il s'en fichait
mais le stoïcisme a ses
limites.

Gare à vous,
quand le gentil se mettra à
trembler,
quand les sourcils se fronceront,
quand vous ne reconnaîtrez plus
le visage familier,
amène et accueillant,
qu'il se refermera sur vous,
ou sur l'autre,
vous ne pourrez rester stoïque
à votre tour.

Gare à vous,
quand le gentil lâche les chiens,
quand il ne tient plus les nerfs,
quand il devient le colérique qu'il
cache souvent
tout au fond,
honteux et implacable avec sa propre
rage ;
quand il montrera ses crocs
et sortira ses griffes.

Gare à vous,
car tous les filtres seront
tombés,
car sa pensée la plus vraie
vous explosera en plein cœur
et l'hésitation ne sera plus de
mise,
ni aucune retenue.
Le noyau dur vous sera jeté
de toutes ses forces.

Gare à vous,
car il vous dira
ce que vous ne voulez pas
entendre,
pour rien au monde,
peut-être que vous vendriez père et mère,
ce que vous fuyez chaque jour que vous vivez,
en agitant toutes vos
magnifiques compétences.
Il vous dira
ce qui vous mine.
Il vous dira que vous n'êtes qu'un animal
parmi d'autres
et le seigneur d'aucun royaume.
Pas d'humiliation à craindre.
Juste le principe de
réalité.
Sans plaisir, oui,
pour cet instant.
Et il dira un mot
qui vous fera fondre en larmes,
un seul mot,
debout et les yeux flamboyants,
pas de haine mais de rage,
oui,
celle-là même dont il vous protège
jour après jour.
Vous qui jamais ne pleurez et
vous en vantez comme d'une
virilité,
vous, moi, nous,
tous autant que nous sommes,
femmes aussi bien qu'hommes,
pas de discrimination sur ce point,
pleurer sur autre chose qu'un mort ou en enfant malade
est une infirmité.
Vous, moi, nous tous,
serons abattus d'un mot,
d'un seul,
celui qu'il faut,
précis,
dans le mille.

Gare à nous
et nos œillères,
arrachées en un claquement de langue,
une syllabe ou deux.
Gare à nous
et à la machine de guerre qui
sommeille dans le
« bon fond »
du gentil.
Trop bon trop con n'existe pas.
Le vrai gentil
hurlera un seul mot,
cognera une seule fois,
et tous à terre,
plus jamais nous n'oserons
oublier que l'autre
est un mystère,
un monstrueux secret
à respecter
coûte que coûte,
jusqu'au bout de ce qu'on pense
mesquinement :
la faiblesse.
Le faible est mort avant de naître.
Nous sommes tous des survivants.

Gare à la rage du gentil.
Elle vous terrassera.
On verra alors
qui
sera trop con.



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