Zoé
finit sa cigarette et l'écrase dans son cendrier rempli à ras-bord.
Elle ne le vide que lorsqu'il est complètement plein. Sinon, elle ne
peut pas. Tout simplement, cela lui est impossible. Cela lui semble
tellement ridicule et vain, qu'elle n'a pas même un mouvement vers
l'objet pour le libérer de ses ordures fumantes. C'est comme ça. De
toute façon, dans la vie, Zoé réfléchit, elle attend que la coupe
soit pleine. Avant, elle regarde le niveau de l'eau monter et ne
ressent pas le sens d'une quelconque réaction. Certains en disent
que c'est une impulsive. Ça lui convient. Mieux que petite femme
inoffensive. Elle pose la main sur la poignet de la porte. Elle est
prise d'un frisson d'excitation à l'idée d'aller voir l'homme dans
son lit, juste vérifier, mais le regarder avec son visage d'ange.
Les longs cils. Elle a remarqué ça tout de suite. Blonds encore.
Disproportionnés. Beaucoup trop longs et beaucoup trop blonds. Elle
monte jusqu'à la chambre d'ami et rentre tout doucement. Elle
s'approche du lit. Il marmonne, les sourcils se froncent et se lèvent
alternativement lui donnant l'air d'un guerrier sans pitié ou d'un
gosse acculé. Elle s'amuse de ce spectacle sans essayer de
comprendre le charabia qu'il prononce. Elle finit par se pencher sur
lui et ne eut s'empêcher de lui caresser les cheveux. Leur contact
duveteux et leur couleur si claire la fascinent.
Zoé
n'a le temps d'être fascinée qu'une seconde. Il se lève d'un bond.
Le yeux révulsés. Il la regarde avec violence. Elle n'a pas peur.
Elle tente de saisir. Elle lève haut les mains en signe de paix.
Mais cela n'est pas suffisant. Il se raidit et plaque ses mains sur
la gorge de Zoé. Elle voit la haine dans ses yeux avant de sentir
l'air cesser de lui parvenir. Il serre de toutes ses forces. Il ne
fait aucun bruit. Le silence est la mort. Elle sent qu'elle va
mourir. Elle le griffe et tente de libérer son cou. Elle frappe ses
mains et tente d'atteindre son visage, lui plante ses ongles
profondément dans les phalanges. Elle voit du sang. Elle ne peut pas
crier. Elle voudrait putain pour une fois ! Elle déteste les
cris mais là putain de merde, elle va crever ! Je vais crever !
Je vais crever ! Putain je suis en train de mourir ! Elle
s'entend râler. Il accentue sa pression. Plus aucune molécule ne
vibre dans l'air. Elle n'a plus la force. Mourir d'un coup. C'est
mieux q...Elle ramollit d'un coup et...
Quand
il sent la jeune femme cesser de lutter et s'attendrir entre ses
doigts, il sent une douleur puissante sur sa joue. Il est comme brûlé
au fer à repasser sur toute la joue gauche. Il lâche la petite
femme et la laisse tomber bruyamment par terre. A ses pieds. Il
souffre le martyre. Il se prend la joue dans les mains. Il souffle de
douleur. Il se met à se taper la cuisse, puissamment, régulièrement.
De tous ses muscles. Et la douleur commence à diminuer. Il respire
au rythme de ses percussions. Il a la peau à vif. L'épiderme a été
arraché. Il voit sa mâchoire. Il sait. Il frappe comme un damné,
les yeux vides fixés sur le corps inerte qui gît devant lui. Il ne
voit que son squelette apparent, sa peau définitivement décollée.
Putain mais t'es un vrai connard mon pauvre Aksel ! Quand
est-ce que tu apprendras à ne faire confiance à personne. Elle t'a
défigurée.tu as baissé la garde quelques minutes et voilà où tu
en es. Tout ce pour quoi tu t'es battu est perdu. Tu n'es qu'une
chair à vif maintenant ! Un monstre détruit par une petite
pute ! Achève-la ! Finis-la ! Qu'elle paye pour sa
faute ! Toutes les mêmes ! Toutes des sorcières aux
caresses de mère ! Dépouille-la ! Émonde-la ! Elle
ne sera plus qu'un tas de viande crue ! Elle ne mérite que ça.
La jeune femme siffle. Elle est
prise de spasmes. Aksel la voit. Il hésite. Il a envie de vomir. Il
l'allonge correctement et lui fait du bouche à bouche. Il la secoue.
Il se tait. Les lèvres serrées. Il la regarde, débile.
Elle
respire.
Elle
tousse.
Longtemps.
Elle
va vomir ?
Pas
ça non non pas ça !
Elle
soulève les paupières sur des yeux de loup-garou. Verts et rouges.
Bien accordés. Elle n'a pas peur. Toujours pas. Elle lui intime du
regard de ne pas bouger. Il n'en a pas l'intention quoi qu'il en
soit. Elle se relève, elle en a juste la force, sur les avants-bras.
Elle le fusille d'une moue de dégoût. Et lui crache au visage. Il
ne cille pas. Il n'entend rien. Le silence est de plomb. Elle se
traîne jusqu'au téléphone et appelle le 15. Et « Casse-toi
connard ! ». Il se lève avec diligence. Comme un
automate. Il sort de la chambre. Il descend l'escalier et se voit
passer dans le miroir. Egal à lui-même. Peut-être un peu
décoiffée. Il a un peigne dans la voiture. Il sort de la maison. Il
a un haut-le-cœur à la vue du cendrier presque plein. Il descend
les quelques marches extérieures. Il se dirige vers sa voiture. Il
ouvre la portière. Il s’assoit au volant. Il démarre. Sans
savoir.
Zoé
a le cou bleui, elle a très mal. Elle attend le SAMU. Elle s'est
rallongée. Par terre. Lovée dans sa bulle de coton. Celle qui
répare tout. Elle est vivante. Elle sourit. Elle comprendra. Sans
aucun doute, elle comprendra.
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