Zoé a le cou
bleui, elle a très mal. Cela lui est égal. Elle attend le SAMU.
Elle s'est rallongée. Par terre. Lovée dans sa bulle de coton.
Celle qui répare tout. Elle est vivante. Elle sourit. Elle
comprendra. Sans aucun doute, elle comprendra.
Le SAMU arrive
enfin. Le temps a semblé long. La douleur, même si elle ne semble
pas voir prise, étire les minutes cruellement. Zoé n'a pas encore
élucidé cette question qu'elle pratique pourtant depuis longtemps.
Elle peut physiquement supporter une atroce douleur. Mais le temps se
met à languir, à divaguer et se perd en chemin, rêveur, tête en
l'air. Pourquoi ? Pourquoi puisque le reste tient la route ?
Encore des questions pour toute une vie.
Elle attend.
Elle attend.
Elle attend encore.
Elle entend enfin.
Le pin-pon qui va
secouer les heures et les remettre en état de marche. Réveiller la
pendule, réactiver la montre et revoir jogger le temps est ses
aiguilles.
Ils montent
l'escalier. Elle dit « ils » et ce sont peut-être des
« elles ». Mais ce sexisme du sauveur poursuit notre
monde. Jésus n'aurait pas pu être femme. Justement, en les voyant
entrer dans la chambre, elle sourit à peine mais assez pour qu'on la
voie. Les deux personnes la regardent étonnées de constater qu'elle
peut. Elle doit être dans un sale état si. C'est qu'il y a une
femme dans le lot. Elle a encore un long combat contre les clichés à
mener. Elle les entend ronronner à côté d'elle. Elle ne les écoute
pas vraiment. Leurs mouvements, leurs paroles la bercent. Elle se
sent s'endormir. « Madame ! Madame ! Restez avec
nous ! » Elle sursaute à la voix forte de l'homme.
« Madame, vous vous souvenez ? C'est le SAMU . Vous
êtes avec nous ? »
Un minuscule geste
de l'index dit oui. Zoé connaît la manip'. Ils lui sourient. Ils
sont rassurés. Même comme ça elle se sent sympathique.
Après un temps
indéfinissable, Zoé se sent mieux. Elle a moins mal, elle se détend
et le temps a repris son jogg. Elle ne peut pas bouger la tête,
c'est en réalité très handicapant. Elle ne connaissait pas
celui-là. Elle a l'air mieux alors ils se permettent des questions
pour savoir ce qui s'est passé. Ils croient déjà savoir.
- Madame, nous pouvons vous poser quelques questions ?
- … (l'index dit oui)
- Savez-vous qui vous a fait ça ?
- … (l'index dit oui)
- Il s'agit de quelqu'un de votre entourage ?
- … (en vérité elle ne sait pas. De son entourage de ce jour-là oui. Mais elle n'a pas la même notion de l'entourage que les gens. Bien sûr elle ne pense pas à tout cela.)
- C'est votre mari ? Votre compagnon ?
Elle ne fait pas un
geste. Ne bouge pas d'un poil. Elle les regarde d'un air furibond. Si
elle n'était pas immobilisée, ils sentent qu'elle pourrait leur
sauter à la gorge. Ils s'écartent. Ses yeux les fusillent.
- Excusez-nous, nous ne voulions pas vous heurter, reprend la femme.
- ...(Trop tard connasse!)
- Nous cherchons à avoir des éléments. Mais nous remettrons ça à plus tard. Nous allons vous emmener à l'hôpital.
Ils font ce qu'ils
ont à faire. Zoé est hors d'elle. La colère est plus forte que
toutes les douleurs. Serait-elle une image de douce femme battue par
son enculé de mari depuis dix ans qu'ils vivent ensemble et que
personne ne voit rien ? Est-ce qu'ils voient ça ? Ça, ce
n'est pas elle. Elle les rappellera dès qu'elle pourra parler à
nouveau. Dès qu'elle sera d'aplomb. Et elle leur dira qu'elle sait
qui a fait ça, qu'elle le connaît, qu'elle ne dira rien et que ce
n'est pas ça l'important. Qu'elle se contrefout de poursuivre le
« coupable ». Qu'elle n'est pas de ce bois-là. Qu'elle
n'a pas besoin de ça pour continuer à vivre. Et surtout, surtout,
qu'elle en a vu de putains d'autres ! Connards ! Mais pour
l'instant, elle rumine, les yeux roulants dans leurs orbites. Elle ne
peut rien faire de plus. Pour le moment, elle se tait. Ce n'est pas
dans ses habitudes. Se faire étrangler non plus d'ailleurs.
Elle le retrouvera
et elle comprendra. Seule et forte.
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