Et puis brusquement, son cocon de silence, foule neigeuse, se brise d’un hurlement. Lointain. Le malheureux qui pousse le cri... Bien heureusement il est loin...bien heureusement, les bouchons freinent les vibrations qui n’atteignent Aksel qu’enveloppées d’une gaze infirmière. Aksel sursaute tout de même. Se sens sont tous à fleur de peau. Ses poils se dressent et son crâne le fait souffrir. Malgré la distance du cri, Aksel sursaute comme un forcené et la rage remonte en lui. Se déverse comme un raz de marée impitoyable. Impitoyable pour tous. Aksel trépigne d’impatience. C’est insupportable. Il voudrait faire cesser ce cri et ses percussions. Le cri a déjà cessé, depuis plusieurs secondes. Pour les autres oui. Pas pour lui. Il vrille encore son cerveau et sa poitrine. Il voudrait s’écorcher vif, se brûler toute la surface du corps pour se consumer à l’aune de sa rage, sa répugnance et son exaspération, tout cela bien plus immenses que son corps minuscule. Ridicule corps d’humain incapable de supporter cette transe. Aksel se sent nain, aussi ridicule que ceux qui peuplent les jardins. Il se hait. Il hait l’enfant qui a hurlé. Il ne peut s’empêcher de le chercher. Il ne sait plus que cela ne devrait pas. Il se met à marcher à grandes enjambées. Il tourne dans les cercles concentriques du centre commercial. Il cherche. Il flaire.il sait où chercher. Son excitation est à son comble. Il veut punir l’enfant qui s’est permis, qui a tranché sa cuirasse de silence. Il veut venger l’affront. Il ne s’en sortira pas comme ça. Enfant, adulte, et donc ? Tous les êtres ont leur responsabilité, il doit payer cher. Raide comme la justice, il se plante devant la poussette du coupable. Il le regarde avec la même haine qu’hier soir. Il le tétanise. L’enfant se raidit à son tour, absorbée par le regard glaçant d’Aksel. Étouffe-la cette petite conne ! Elle mérite de crever ! Elle t’a poignardé. Elle est un de ces êtes qui ne doivent pas vivre. Fais-la crever et qu’on en finisse avec cette engeance de hurleurs répugnants ! Vite ! Maintenant !!
« Monsieur, il y a un problème ? » demande la mère calmement. «Nous nous connaissons ?
-...
- Monsieur ? Tout va bien ?
Elle n’a pas peur. Elle s’approche de lui, tout près. Tout dans son corps l’interroge.
-...
-Monsieur, vous avez besoin d’aide ?
Il a envie de lui enfoncer le crayon qu’il tient dans sa poche dans sa gorge, pour qu’elle se taise, qu’elle cesse de s’approcher de lui. Comme si elle s’inquiétait pour toi ! Ne te laisse pas avoir cette fois mon grand ! Toutes des salopes ! Ne l’oublie pas. Putain mais réagis !
Il sent son corps tomber d’un coup, lourd. Il se sent plus grand que tous. Il l’est. Il pose un regard étonné sur la dame. Elle lui sourit. Elle n’a toujours pas peur. La rage s’est évanouie comme elle a surgi. La haine laisse la place à un énorme vide affolé. Mais il connaît cela et il respire. Encore. L’enfant gazouille.
-Tiens-toi tranquille Axelle ! »
Il est pris d’un spasme, il est prêt à vomir. Il ouvre ses yeux ouverts. Ses pupilles se remettent en place. Il voit la jeune femme. « Axelle... Axelle... Axelle... » L’écho tourbillonne dans son canyon.
Vous voulez que j’appelle quelqu'un ?
-... Pardon ... Non. Merci... C’est le cri.
Il désigne l’enfant.
-oh c’est très gentil à vous de vous inquiéter. Tout va bien. Elle a de la voix la gamine ! Juste un caprice sans importance. Axelle, excuse-toi d’avoir crié. Tu as fait mal aux oreilles du monsieur.
Il la regarde incrédule. Elle sait. Elle a compris. Attention Aksel, ne te laisse pas prendre par elle. Elle est sûrement psychiatre ou un autre truc du genre qui camisole les gens comme nous. Aksel, elle doit cacher sa piqueuse dans sa poche ! Aksel reveille-toi !
« oh ta gueule ! »
La femme cette fois fait un mouvement de recul.
-excusez-moi, ce n’était pas pour vous. Je suis confus.
Mais non tu n’es pas confus ! Imbécile ! Immobile-la et enfonce ton putain de crayon à elle et à sa salope de fille !
Il doit parler, parler pour ne plus écouter.
-je suis confus, c’est un souci médical. Je ne voulais pas vous manquer de respect.
-pas de souci. Je connais ce problème. Mon père avait le même. Il nous traitait de putes et de salopes sans cesse ma mère et moi et pourtant c’était un père amoureux de sa famille." Il se tend à ces mots. C’est drôle quand même que vous soyez tombé sur moi...
-oui, en tout cas, veuillez m’excuser encore.
-Axelle, excuse-toi maintenant !
- scuz-ma monsieur.
La petite est boudeuse mais honteuse aussi.
-ne t’inquiète pas Axelle. J’ai eu très peur quand tu as crié. Mais tout va bien. Tout va bien.
Il parle à tout le monde. « Tout va bien. »
La fillette lui sourit. Aussi confiante que sa mère. Il a envie de la serrer dans ses bras. Il sort de sa poche le crayon rouge.
« Tiens ma grande. C’est pour toi. Désolée de t’avoir fait peur. »
Elle regarde sa mère, indécise sur l’attitude à adopter.
-Vas-y ma louloute. C’est pour toi. Tu peux le prendre.
-Maciiiii
Elle s’émerveille du beau crayon rouge que le grand inconnu lui offre. Les yeux pétillent.la mère regarde son enfant, heureuse. Elle relève la tête.
-Merci à ... vous...
Mais le grand drôle d’homme est parti.
Il lui aurait bien plus celui-là. Elle l’imaginait déjà peuplant sa solitude. Elle reprend son chemin, en même temps réjouie et abattue. Il s’est passé quelque chose Zoé là. Tu réfléchiras à la maison, pendant la sieste.
Le visage du grand homme passe et repasse derrière ses yeux, logé dans son front. Comme imprimé. Il faudra que je le retrouve.
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