Sven
sait qu'il n'a pas su. Il ne fouille pas davantage son esprit. Il n'a
pas été une mauvaise personne. Du moins pas pire qu'une autre. Il
n'a pas été vraiment honnête, c'est sûr. Qui l'est ?
Cependant, il n'a pas su être ni faire ce qu'il fallait pour. Il ne
se fait aucune illusion là-dessus.
Il
ne va pas mourir tout de suite mais les bilans sont toujours de mise
au cœur de la solitude.
Il
a éteint la télévision. Il est assis dans son fauteuil dans le
silence. Dans la pénombre du crépuscule. Il n'a pas même pensé à
allumer les lumières. Sven a regardé les informations, comme tous
les soirs. Il aime ce rituel qui, à vrai dire, le rassure et habite
cette maison vide. Il voyage dans le monde entier, comme au bon vieux
temps. Il imagine les vies de tous ceux dont on parle. Il rêve. Il
rêve en regardant les infos. Certains les trouvent déprimantes :
pourtant, elles le font rêver. Chacun voit midi à sa porte, son
rêve où il veut. Mais Sven ne le crie pas sur tous les toits car on
le regarderait de travers. Il connaît les gens, depuis le temps. Il
sait qu'il est déjà trop original pour eux. Il n'aime pas assez les
règles et les autres disent que c'est ça être fou. Il n'a jamais
compris ce raisonnement simpliste. Peut-être qu'il est fou. Il
sourit à cette idée. Il fait un peu exprès de le faire croire aux
gens. Par provocation. Leur normalité l'exaspère. Précisément,
peut-être est-ce là…
Il
a éteint la télévision. Il est assis dans son fauteuil en silence.
Dans le début de la nuit. Entre chien et loup comme on dit. Il aime
cette expression. Parce qu'il trouve qu'elle rappelle d'où l'on
vient, les origines du monde un peu. Sans batifoler dans des
discussions par trop philosophiques, il aime cette image du chien et
du loup côte à côte se toisant, même taille, même poids, même
forme ou presque (il faut bien choisir le chien ! Pas un
chihuahua ou un terre-neuve, merci bien !), l'un « meilleur ami
de l'homme », l'autre «dangereux criminel ». Ils ne font
qu'un en réalité pour lui. Les zoologistes crieraient au scandale.
Mais il ne pense pas en scientifique. Il n'en a pas les moyens. Il
pense au fossé entre les deux représentations d'êtres vivants si
proches, affiliés indubitablement surtout. Comme la famille à
laquelle on ne cesse jamais d'appartenir. Celle d'au-dessus et celle
d'en-dessous, d'avant et d'après.
Il
a éteint la télévision. Il est assis dans son fauteuil en silence.
Et son esprit vagabonde. Pour ne pas comprendre ce qu'il a entendu.
« Aujourd'hui, dans la matinée, un homme et une femme ont été
retrouvés cruellement assassinés à leur domicile. Les experts
parlent de l’œuvre d'un déséquilibré dangereux, psychopathe
délirant. Ils n'ont pas encore identifié qui pourrait être
l'auteur de ce massacre et aucune empreinte n'a été relevée sur la
scène du crime. Les deux victimes ont été retrouvées l'index
gauche tranché enfoncé dans la gorge, bouche béante. Ces détails
de l'enquête donne à penser qu'il s'agirait d'un individu de grande
taille, probablement assez jeune (moins de trente ans) et athlétique.
L'investigation se poursuit intensément. »
Il
a éteint la télévision après avoir entendu cela. Il n'a pas
regardé la fin. Il n'a pas regardé jusqu'au bout, comme tous les
jours. Il a éteint machinalement. Il a oublié qui il était pendant
quelques secondes. Il a oublié la vie pendant un instant. Il a tout
oublié et est tombé sans atterrir puisque ce puits n'a pas de fond.
Il a senti sa gorge se nouer, son plexus se contracter, lui l'homme
libre et sûr. Il a senti la peur l'envelopper, le momifier
instantanément. Il a cru mourir.
Il
a éteint la télévision. Il est assis dans son fauteuil. Il reste
dans le noir complet. Il sait que c'est son enfant, son petit. Il
n'est pas medium. Il le sait. De là-haut, elle le sait aussi, celle
qu'il a tant aimée puis plus du tout, sans jamais savoir pourquoi.
Il ne bouge pas. La douleur terrée tout au fond de lui est entrée
en éruption et le brûle sans pitié. Elle ne mourra qu'avec lui,
cette saloperie.
Peut-être
que là, il voudrait mourir.
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