Carotte
est restée de marbre devant la métamorphose. Elle fait comme si
elle s'en fichait, comme si cela lui glissait dessus. Je la connais
depuis tellement d'années que je décrypte le moindre de ses rictus.
Elle n'est de marbre que de façade. Elle est éberluée. Je ne sais
pas si ce qu'elle ressent est à envier ou pas. Je ne crois même pas
qu'elle en soit là. Je crois qu'elle est est perdue, perdue car
l'ordre du monde est bousculé. Sa petite Patate bien gentille, prête
à être frite ou écrasée, merdique, n'est plus. Elle a perdu sa
plus fidèle alliée. Peut-être la personne sur laquelle elle
comptait le plus, comme ces hommes violents qui ne sont plus
qu'épaves lorsque enfin leur femme les quitte. Ils n'existent plus.
Parce que dans l'histoire, c'est le bourreau le plus faible des deux,
toujours. Le bourreau est l'homme fragile, le cristallin qu'un coup
de pouce fait glisser et se briser. Je crois aussi que Carotte a peur
que je parle. Que je raconte toutes ces histoires chez elle, cette
folie. Que je révèle sa famille en putréfaction. Je n'hésite pas
à lui laisser croire que. Je n'ai plus peur d'elle. Je n'ai plus
peur. Je ne le ferai pas, bien sûr. Je préserve quelques principes
de respect, même avec les plus méprisables comme Carotte. Je les
garde pour continuer de me respecter moi-même. Vous me direz que ce
que j'ai fait à Patpat n'était pas très éthique. Il y a des
exceptions. Celles qui confirment la règle. N'est-ce pas ainsi que
tout le monde se dédouane de se erreurs ? Carotte est seule.
Son clébard est mort et enterré. Elle doit très vite s'en trouver
un autre. Heureusement, en légumescence, il n'est pas difficile de
trouver son bonheur. Carotte me regarde beaucoup, en coin, sans en
avoir l'air. Mais j'ai gardé mon âme de parano et je la sens. Je
sais sans avoir à bouger qu'elle m'épie, qu'elle m’ausculte
devrais-je dire plutôt. Elle ne comprend pas, elle n'en revient pas.
Un morceau de son univers s'effondre. Moi-même je n'ai pas tout de
suite compris ce qui se passait, je n'accordais pas tant d'importance
à la Patate. Mais après avoir fait le tour de mes hypothèses,
seule reste celle-ci et elle explicite tout. Je me suis cru devenue
complètement narcissique. Mais j'ai dû finalement me plier à la
réalité de cette importance. Ma chance est que je n'ai plus du tout
le même attrait pour Carotte et que je sois devenue tout à fait
égale à une autre. Mais elle n'avale pas la couleuvre on dirait. Je
pourrais presque m'inquiéter pour elle. Est-ce qu'elle en
deviendrait la victime de sa mère ? Est-ce qu'au contraire elle
en viendrait aux mains ? Est-ce qu'elle exploserait enfin en
plein vol la Carotte ? Râpée et tout à reconstruire. Un vieux
tas de Carotte creux et léger comme une plume. Oui, cela me fait
rire. Et non, je n'en ai pas honte. Je suis Pitayak et je n'ai plus
de scrupules.
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