Le
soir, je me promène avant de rentrer chez moi. Pur plaisir,
découverte de la promenade sans but, sans exigence, sans arrivée
chronométrée. Juste les pieds qui avancent l'un après l'autre tout
en douceur, au rythme absolument mien que e ne me connaissais pas. Je
disais « je n'aime pas marcher ». Pas par paresse,
certainement pas. Patate disait. Patate était tout sauf paresseuse.
Un peu de paresse lui aurait sans doute évité tous ses tracas, la
mise à mort certainement. Je rentre après des tours sans queue ni
tête qui probablement formeraient de belles arabesques sur la carte
de la ville.
Je
rentre et le silence s'abat sur moi. Je suis plus solide que Patate
mais ce silence-là est toujours le plus fort. Les parents ne sont
pas encore là. Ils ne vont pas tarder. J'ai traîné donc moins de
temps à attendre seule. Je ne déteste pas cette solitude. Je l'aime
plutôt. Elle sent la liberté. Je pense ce que je veux, je parle
tout haut parfois pour dire ce que jamais je n'oserais dire dans
cette maison. Patate adorait cette solitude. Elle s'y jetait à corps
perdu dès qu'elle rentrait de cours. Pour se sentir enfin sans
entraves. Mais les entraves de Patate étaient bien plus prégnantes
que les miennes. Elles la faisaient saigner tous les jours, sans
pouvoir rien faire contre, immobilisée. Menottée à son
impuissance. Mais une fois chez elle sans aucun regard porté sur
elle, Patate se libérait, en partie du moins. Elle pouvait chanter,
jouer, dire n'importe quoi, insulter ceux qu'elle haïssait sans
jamais se l'avouer pour autant. Elle croyait au pouvoir libérateur
de l'insulte proférée haute voix, même non adressée. Le
principal pour Patate était de savoir, elle de son côté, à qui
elle s'adressait. Le lendemain, elle avait moins peur. Rien ne
changeait bien sûr mais elle était moins terrifiée quand même.
Moi, j'y trouve le calme que j'espère mais aussi la solitude. Patate
se foutait complètement de la solitude. Elle la chérissait même.
Je ne suis pas capable de cela. Je l'aime et je la déteste. Elle me
rappelle combien je suis seule et le resterai, comme tout un chacun,
ni plus ni moins. Seule au creux de moi avec mes poids et mes joies
dans la poitrine, incommunicables, nécessairement incommunicables.
Je dois bien être la seule conne de 15 bientôt 16 ans à penser à
des choses comme ça. C'est à cause de Patate.
C'est
à cause d'eux aussi. Je n'ai pas hâte qu'ils rentrent. J'ai hâte
d'avoir un interlocuteur. Je ne me contente pas de parler seule. Je
ne m'en nourris pas, je ne m'en rassasie pas. J'ai besoin, moi
Pitayak, d'un quelqu'un en face de moi et pas n'importe lequel. Je ne
suis pas Patate. Je ne m'accommode pas d'un mot en l'air, fort et
clair mais sans oreilles ni cerveau pour le recevoir et y répondre.
J'ai besoin de réponses. Pas seulement de calme et de solitude. J'ai
besoin de réponses et de ces gens qui me doivent des explications.
Mais je ne sais toujours pas leur demander. Les entraves de Patate
mutent sur moi à ce moment où il s'agit de demander. Je ne sais pas
demander.
Ils
rentrent. Ils ne viennent pas me chercher dans mes hauteurs, tout
là-haut. Ils ont dû chercher des indices de ma présence et s'en
rassurer. Ils ne veulent plus me parler. Je m'en réjouis et je m'en
offusque. Je les méprise de cette fuite, de cette réaction d'enfant
gâté. Qui sont les adultes ici ? Où sont-ils passés ?
Excusez-moi !? Excusez-moi !? J'ai une petite réclamation :
pourrais-je disposer de vrais adultes ? … Non, je dois faire
avec ceux-là c'est déjà bien. Ok. On va s'amuser. Encore des
années à tirer à leurs côtés. Je vais devoir foutre une bombe.
Je croyais déjà l'avoir fait avec mon histoire de prénom. Mais
l'arme a fait long feu. Et le silence de mort s'est installé encore
plus profondément.
Je
les entends préparer à manger. J'ai mangé avant qu'ils n'arrivent.
Ils ont vérifié sûrement. Chaque repas est tellement important.
Alors que les explications, les mots, pas tant que ça hein !
Du
temps passe. Je lis par intermittence. J'ai la tête pleine, me
concentrer est difficile. Tiens je ne pensais même plus à Poisse.
Elle doit être à l'hôpital non ? Ou rentrée chez elle mais
elle, entravée dans des plâtres ou autres bandages. De toute façon,
bouger doit être un supplice. Ca ne me fait pas plaisir. Ca ne me
fait rien. Elle paye. D'un coup, la porte de ma chambre s'ouvre et
sans faire un pas à l'intérieur, mon père me jette une enveloppe
pleine à craquer. « Tiens Madame la nouvelle Pitayak !
Lis-ça et tu vas vite changer d'avis sur ce nom maudit. Très
vite. » Je saute de mon lit et me saisis de l'enveloppe avec
avidité. Des lettres, des lettres et encore des lettres. Des
vieilles lettres. La tante Pitayak.
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