Non
je ne me sens pas coupable. Non je n'en ai pas l'intention. Peut-être
cela viendra-t-il. Il sera temps alors. Pour l'instant, je me sens
m'être allégée d'un énorme poids. J'ai l'impression d'avoir enfin
fait le choses comme il fallait. Cela ne fait pas longtemps que je
suis arrivée. Mais je suis là pour sauver Patate. Et j'ai
aujourd'hui accompli ma mission. Je suis une héroïne et je sens
Patate et sa reconnaissance. Elles me donnent chaud. Il fait moins de
0°. J'ai chaud. J'ouvre mon manteau, j'enlève mon écharpe, je
lâche ma capuche. Je crève de chaud. Je n'ai pas de fièvre. J'ai
chaud de bonheur, comme lorsque Patate était amoureuse. J'ai chaud,
pas douillet non, chaud vivant, fourmillante, tournoyante. J'arrive
au collège. Je ne vois pas, je n'entends pas les autres. Je suis
seule au monde. Je me fous de tout et tout le monde. Je suis en plein
orgasme. Du moins j'imagine, je ne le connais pas, Patate n'a rien
appris de ce côté-là. Arrivée dans la cour, je n'ai tout de même
pas complètement perdu l'esprit et je vais me laver les mains. Je
n'ai pas eu à les sortir de mes poches à l'entrée, contrairement à
d'habitude, il faut faire acte de sa légitimité. J'ai souri,
tellement bien que Mme Pamplemousse m'a laissée passer sans
problème. Elle a juste dit : « Ca fait plaisir de te voir
comme ça Patate ! »
- Pitayak, Mme Pamplemousse, y a eu du changement. Plus de Patate qui vaille !
Elle
a souri avec bienveillance, sans condescendance mais incrédule,
mettant sans doute cette lubie sous le coup d'un caprice
d'adolescente mal dans sa peau. Elle était surprise quand même. Je
crois qu'elle n'était pas mécontente, elle aimait bien Patate et
elle l'encourageait souvent. Bref, j'entre dans les toilettes pour me
laver les mains. Il n'y a personne, bien sûr à cette heure. Tout le
monde a fait son pipi avant de partir pour l'école, à la maison. Le
sang coule dans le lavabo. Je n'en pense rien. Je suis juste contente
d'avoir enfin les mains propres. Ce que ça colle le sang ! En
tout cas, son sang à elle. C'est une Poisse, son sang en va de même.
Je
sors des toilettes et me dirige vers la salle de classe : la
prof est prête à fermer la porte mais j'arrive juste à temps.
« Alors Patate ? Mal réveillée ? On traîne. »
Je
la regarde de haut en bas avec mépris.
Avec
mépris.
« Très
bien réveillée Mme grosse Tomate. Et je suis Pitayak. Oubliez
Patate. »
Elle
devient rouge de colère, la caïd de bac à sable. Elle ne sait même
pas comment réagir. Elle s'emmêle les pinceaux. Et je passe devant
elle balbutiante pour aller m'installer à ma place. Les autres me
regardent stupéfaits. Ils ne disent rien. Je souris à Piment en
passant à côté d'elle. Et je m'assois sans discrétion. Mme
Tomate, Beaucoup trop tard, se lance dans une tirade sur le respect.
Elle est pathétique. La classe reste calme mais on la regarde avec
incompréhension. On se retourne vers moi. Et on cherche sur mon
visage une explication. On ne trouve rien. Piment ne me regarde pas.
Elle a déjà compris. Mme Tomate se met à l'appel. La litanie des
noms me berce. Je suis en queue de peloton, je peux attendre
tranquillement. Petite Poisse est appelée. Personne ne l'a vue,
personne ne sait où elle est. C'est étonnant elle qui est si
assidue ! Je me tais. Personne ne s'inquiète vraiment. C'est ça
qui me fait sourire secrètement. Tout le monde s'en fout. Chacun son
tour ma p'tite !
« Patate ?
-
Oui, Mais c'est Pitayak, Madame...
- Tais-toi et ne me provoque pas à nouveau.
- Bien Madame Tomate.
Les
autre rient de ma politesse exagérée. Elle s'empourpre à nouveau.
Elle pourrait exploser. Mais elle poursuit. Elle est comme les
autres. Elle n'y comprend rien.
Messieurs
Dames, vous n'êtes pas au bout de vos surprises.
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