Un
titre sans aspérité, calme, doux, peut-être un peu inquiétant si
l'on s'imagine trop de forêt, trop d'ombre ou même la jungle. Mais
encore faut-il avoir l'imagination trotteuse pour cela.
Les
titres sont terriblement enchanteurs ou insipides, selon moi, j'aime
déjà un livre ou non grâce à ou à cause de lui. Je n'aurais pas
choisi ce livre. On me le conseille avec de grands yeux émerveillés,
chez une proche qui s'émerveille peu, pour ainsi dire jamais. Je
sens que le jeu en vaut la chandelle, malgré ce titre qui me laisse
froide.
Très
vite, je suis prise. D'abord par cet incipit, longue introduction
d'une densité presque palpable, quelques lignes m'émeuvent déjà.
Les mots ont agité leur magie, celle parfois qui surgit, elle ne
peut être autre que surgissante, et vous emporte. Même si ça
n'avait été que ces quelques premières pages, cela aurait suffit.
Elles sont de ces pages qui alors même qu'on est sans ferveur,
plutôt alangui par la vie, vous réveille, s'introduisent en vous et
vous rappellent à l'émotion esthétique. Esthétique et humaine
bien entendu, esthétique seul pourrait donner cette impression de
froideur. Bien au contraire, il s'agit à ce moment-là d'un
sentiment d'exister immense, d'une chaleur et d'une communion presque
avec l'espèce humaine. Le sentiment de ne décidément pas être
seul. L'auteur se mettant en scène n'y est bien entendu pas pour
rien, narrateur-auteur que l'on entend rarement, trop rarement. Il
est là, il est authentique, ou nous le donne à voir en tous les
cas. Une entièreté dont les phrases témoignent fidèlement et
qu'on aime ou pas, force les verrous des plus grandes résistances.
Et
puis, se déroule au fil des centaines de pages suivantes, la
violence inouïe de l'emprise et de la maltraitance, qui n'a
pratiquement pas besoin de coups. Très peu de physique, très peu de
corps en bataille. Ce sont les âmes qui luttent à mort. L'une
esclavage l'autre sans pitié, par nécessité vitale, donc
inarrêtable. La violence s'accroît jusqu'à la fin de l'aventure
infernale. La violence ne cesse jamais. D'aucuns peuvent se dire que
cela ne peut pas en arriver à ces extrêmes, que c'est de la
fiction. Mais ce n'en est pas. La réalité est bien celle-là et
tout le monde le sait parfaitement au fond. L'on peut avoir le
sentiment d'assister à une corrida, où le risque est de mise, des
deux côtés, mais où finalement les jeux sont faits d'emblée, même
si l'on s'amuse à croire que pour le frisson du danger. Ici, pas de
frisson aiguillonnant, pas d'adrénaline du sport et du sexe, juste
la violence lente et morbide qui a raison des proies. C'est
l'histoire d'un chat qui joue avec sa souris. Il n'en fait cadeau à
personne, surtout pas. Il chérit sa proie, il la cache. Mais il la
torture jusqu'aux limites les plus révoltantes.
Eric
Reinhardt ose cette immonde violence, je dirais témoigne même. L'on
n'est pas loin de cela et de l'émotion et la colère que cela peut
susciter en nous lecteurs. Il raconte, bien sûr qu'il raconte une
histoire, qu'il écrit un roman, mais ses personnages sont
monstrueusement vivants. Il ose prendre le risque de ne pas être
suivi, ne pas être cru, par beaucoup. Je crois qu'il prend vraiment
ce risque tant la violence est aiguë. Mais il lui donne le rythme si
véridique du quotidien, de la vie réelle. Quand on a touché la
violence, de près surtout, on ne peut que s'engouffrer dans cette
descente aux Enfers. Eric Reinhardt ose aussi, avec encore davantage
de courage, me semble-t-il, montrer le non-amour d'une mère qu'on ne
condamne pas, qui n'est aucun cas condamnée pour cela, le non-amour
d'enfants pris au piège de leur père. La froideur glaçante de
relations mortes entre une mère et ses enfants. Il ne faut pas dire
cela, dans notre société et notre époque actuelle. Ce n'est pas
joli, ce n'est pas admis. On vénère l'amour maternel et celui des
enfants pour leur maman chérie. On ne traite pas de la même manière
le père. Allez savoir ! Ce mythe désuet et honteusement
mensonger de la bonne mère à tout prix et des enfants qui ne
peuvent vivre sans leur maman d'amour. Le mythe est à terre et l'on
peut enfin regarder la réalité de cette haine qui s'installe entre
mère et enfants. La bien-pensance n'a pas sa place. La violence de
la vie prend le pas, la violence propre à l'homme et sa capacité
d'emprise et de manipulation.
L'amour
oui, le désamour aussi, le manque d'amour surtout, et le monde qui
se flétrit peu à peu, l'hiver sans fin. Aucune complaisance ni
vis-à-vis des personnages ni de l'auteur face à lui-même,
puisqu'il participe à ce drame. Criant de vérité.
Le
roman ne vous tente pas ? Ne lisez que les quelques premières
pages ; vraiment ; lisez et voyez.
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