dimanche 24 septembre 2017

Pitayak contre Dieu

La journée se passe sans aucune nouvelle de Petite Poisse. Ses amis, ses amies, c'est une puritaine, soi-disant, fausse bonne sœur, prête à trahir la meilleure de ses amie pour le mec qu'elle veut mais qui ne voudra jamais d'elle. Patate avait de l'empathie, et pour cause, pour cet aspect de la vie de Petite Poisse. Elle se sentait un peu lui ressembler sur ce point et elle s'y était fait prendre plus d'une fois. L'empathie en légumescence est un poison. Moi Pitayak, en dragon digne de son nom, ne laisse plus place à l'empathie.
Elle se disait que l'autre n'avait que ce qu'elle méritait et qu'une furie pareille se cachant aussi honteusement sous des airs d'innocente réfléchie, presque sage, ne récolterait pas d'amour de sitôt. Pour l'instant, elle était surtout bien amochée, mais ça, personne ne la savait mise à part Pitayak. Pitayak ne perdrait plus son temps, le précieux de vie qui nous est imparti, dont on ne connaît rien, elle ne s'imaginait pas vivre très longtemps, elle se sentait être un de ces humains voués à mourir jeune, pas assez adaptés à la vraie vie. Elle n'en était que plus déterminée à ne plus perdre son temps. Son empathie précisément, celle de Patate plutôt, son désir d'observer les situations sous tous les angles avant d'en juger, voire suspendre son jugement pour ne pas être injuste, pour ne pas être cruelle. Et rester elle-même dans cette sorte d'entre-deux parfaitement inconfortable où l'on se dit neutre, où m'on ne cesse de chercher une solution plus idoine, plus satisfaisante, mais ça n'en finit jamais, une solution en amène une autre et on continue ainsi de solution en solution, d'idée en idée, de conception en conception sans jamais parvenir à s'ancrer. Voilà à quoi Patate a perdu tout son temps, suspendue en tout, jamais les pieds au sol, toujours un peu flottante, beaucoup, à la folie. Certainement pas passionnément. Ce n'était pas un choix, c'était un fait, elle se pliait à une nécessité interne d'être au plus près du juste, pas de la vérité qu'elle savait depuis bien longtemps ne pas exister, n'être qu'un leurre et une croyance d'adulte étroit d'esprit. Vous vous dites qu'à cet âge-là, ce n'est pas possible, on ne sait pas tout ça déjà ? Comme vous voulez. Il y a des légumescents qui savent déjà cela. Des Patates et autres qui n'ont pas le choix que de comprendre ça rapidement pour ne pas s'égorger vif dans l'instant. Relativiser pour survivre. Sauf qu'on n'est jamais quelqu'un à ce rythme-là. Alors oui, le cerveau bosse comme un fou mais la vie passe et l'on rate tout le palpable, et tout le plaisir. Patate a tout raté de cela durant toutes ces années. 15 années à perdre son temps de vie, à se suspendre pour être sûre. Pour finalement ne jamais l'être. Pitayak n'en peut plus, n'en veut plus. Ce n'est pas ainsi qu'elle agira désormais. Qu'elle a agi déjà depuis qu'elle est Pitayak. Elle compte bien toucher le réel de ses mains véritables, pas seulement de ses neurones invisibles dont elle doute souvent d'ailleurs. Elle veut en découdre, elle veut se battre, elle veut faire justice. Non plus trouver l'idée la plus juste, la représentation la plus adéquate. Non ! Elle veut s'encastrer dans le réel, quitte à s'y meurtrir. Au moins, elle en aura été l'actrice et elle saura pourquoi elle en est là au lieu de rester comme en lévitation, comme une Patate stupide qui reste en recul de tout, en retard sur tout et que les autres regardent en se retournant de temps à autre, quand ça leur prend, elle subissant le temps et le lieu, et en riant. Pitayak n'est plus cette débile. Elle l'a assassinée. Elle lui en veut jusqu'à la fin de ses jours. Elle le sait, elle ne supporte pas qu'elle lui ait fait perdre toute cette vie, 15 ans de non-existence, 15 ans pour rien, 15 ans putain ! Pitayak est dans une rage terrible contre Patate. Elle la refrène, elle pense ses autres colères et ses vengeances. Plus simple, plus facile. Mais la rage contre Patate remonte à la gorge régulièrement, l'étouffe, elle se déteste alors, et se taperait la tête contre les murs, prie de toutes ses forces avec hargne, insultant Dieu, de faire disparaître ce passé, changer de vie, changer de tout, devenir une autre. Parce qu'elle dit que Patate n'est plus de ce monde. Elle le crie tellement fort qu'elle sait au fond et que tout le monde saura finalement que Patate ne mourra jamais, que Patate est inscrite en elle, que c'est elle durant 15 ans et qu'elle ne pourra jamais, malgré tous ses efforts et tous ses dénis faire sans elle. Elle prie de n'être plus une fille, d'être comme Kiwi, d'être un garçon, pas une connasse de fille qui ne sert à rien, qui doit faire la vaisselle et des enfants, qui doit être belle et polie. Elle l'a toujours fait. Elle a toujours suivi cette route, comme un gentil toutou, Patate. S'astreignant à y croire. Elle n'y a jamais vraiment cru. Pitayak le beugle enfin, seule dans son cœur, seule face à Dieu, elle lui hurle son incompétence et son injustice, sa cruauté et sa nullité. Elle lui hurle qu'il se trompe, qu'il est faillible, pas mieux que les autres, ceux qu'on voit et qui se pavanent en se croyant de fiers humains. Elle le prie d'être enfin à la hauteur de ce qu'elle attend de lui, de lui prouver qu'il répare les horreurs, les douleurs, les meurtres. Qu'il est là pour. Qu'il va l'aider. Elle le déteste et elle attend tout de lui. Il ne répond jamais. Il est comme tous les autres, ceux qu'elle a toujours connus, qui se taisent, qui ferment leur gueule oui ! Qui jettent tout ce qui n'est pas joli dans la poubelle Silence. Dieu n'est pas mieux. La seule honnêteté qu'il a est de ne se prononcer sur rien. Il ne choisit pas le joli, poli, correct. Il ne choisit rien. Il se tait et il laisse Pitayak se débattre avec sa haine et son impuissance. Elle le provoque, elle lui jure que plus jamais elle sera clémente, compatissante, indulgente. Elle a fini d'être cette jolie personne. Patate a essayé, elle en est morte. ELLE EN EST MORTE ESPECE DE DIEU DE MES DEUX ! Morte pour avoir suivi les conseils des grands et des immensément puissants, comme lui. Et maintenant que reste-t-il ? Pitayak, bouillonnante, fumante, écumante, qui se venge et se vengera, finira par se haïr encore plus loin que Patate, s'adorer et se haïr comme une folle à enfermer. Voilà ce que tu as fait Dieu de mes deux ! Voilà !
Pitayak est enfin quelqu'un, enfin vivante. Pitayak n'est pas moins malheureuse. Mais elle ne le dit pas encore. Elle commence tout juste à jouir.

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