La
journée se passe sans aucune nouvelle de Petite Poisse. Ses amis,
ses amies, c'est une puritaine, soi-disant, fausse bonne sœur, prête
à trahir la meilleure de ses amie pour le mec qu'elle veut mais qui
ne voudra jamais d'elle. Patate avait de l'empathie, et pour cause,
pour cet aspect de la vie de Petite Poisse. Elle se sentait un peu
lui ressembler sur ce point et elle s'y était fait prendre plus
d'une fois. L'empathie en légumescence est un poison. Moi Pitayak,
en dragon digne de son nom, ne laisse plus place à l'empathie.
Elle
se disait que l'autre n'avait que ce qu'elle méritait et qu'une
furie pareille se cachant aussi honteusement sous des airs
d'innocente réfléchie, presque sage, ne récolterait pas d'amour de
sitôt. Pour l'instant, elle était surtout bien amochée, mais ça,
personne ne la savait mise à part Pitayak. Pitayak ne perdrait plus
son temps, le précieux de vie qui nous est imparti, dont on ne
connaît rien, elle ne s'imaginait pas vivre très longtemps, elle se
sentait être un de ces humains voués à mourir jeune, pas assez
adaptés à la vraie vie. Elle n'en était que plus déterminée à
ne plus perdre son temps. Son empathie précisément, celle de Patate
plutôt, son désir d'observer les situations sous tous les angles
avant d'en juger, voire suspendre son jugement pour ne pas être
injuste, pour ne pas être cruelle. Et rester elle-même dans cette
sorte d'entre-deux parfaitement inconfortable où l'on se dit neutre,
où m'on ne cesse de chercher une solution plus idoine, plus
satisfaisante, mais ça n'en finit jamais, une solution en amène une
autre et on continue ainsi de solution en solution, d'idée en idée,
de conception en conception sans jamais parvenir à s'ancrer. Voilà
à quoi Patate a perdu tout son temps, suspendue en tout, jamais les
pieds au sol, toujours un peu flottante, beaucoup, à la folie.
Certainement pas passionnément. Ce n'était pas un choix, c'était
un fait, elle se pliait à une nécessité interne d'être au plus
près du juste, pas de la vérité qu'elle savait depuis bien
longtemps ne pas exister, n'être qu'un leurre et une croyance
d'adulte étroit d'esprit. Vous vous dites qu'à cet âge-là, ce
n'est pas possible, on ne sait pas tout ça déjà ? Comme vous
voulez. Il y a des légumescents qui savent déjà cela. Des Patates
et autres qui n'ont pas le choix que de comprendre ça rapidement
pour ne pas s'égorger vif dans l'instant. Relativiser pour survivre.
Sauf qu'on n'est jamais quelqu'un à ce rythme-là. Alors oui, le
cerveau bosse comme un fou mais la vie passe et l'on rate tout le
palpable, et tout le plaisir. Patate a tout raté de cela durant
toutes ces années. 15 années à perdre son temps de vie, à se
suspendre pour être sûre. Pour finalement ne jamais l'être.
Pitayak n'en peut plus, n'en veut plus. Ce n'est pas ainsi qu'elle
agira désormais. Qu'elle a agi déjà depuis qu'elle est Pitayak.
Elle compte bien toucher le réel de ses mains véritables, pas
seulement de ses neurones invisibles dont elle doute souvent
d'ailleurs. Elle veut en découdre, elle veut se battre, elle veut
faire justice. Non plus trouver l'idée la plus juste, la
représentation la plus adéquate. Non ! Elle veut s'encastrer
dans le réel, quitte à s'y meurtrir. Au moins, elle en aura été
l'actrice et elle saura pourquoi elle en est là au lieu de rester
comme en lévitation, comme une Patate stupide qui reste en recul de
tout, en retard sur tout et que les autres regardent en se retournant
de temps à autre, quand ça leur prend, elle subissant le temps et
le lieu, et en riant. Pitayak n'est plus cette débile. Elle l'a
assassinée. Elle lui en veut jusqu'à la fin de ses jours. Elle le
sait, elle ne supporte pas qu'elle lui ait fait perdre toute cette
vie, 15 ans de non-existence, 15 ans pour rien, 15 ans putain !
Pitayak est dans une rage terrible contre Patate. Elle la refrène,
elle pense ses autres colères et ses vengeances. Plus simple, plus
facile. Mais la rage contre Patate remonte à la gorge régulièrement,
l'étouffe, elle se déteste alors, et se taperait la tête contre
les murs, prie de toutes ses forces avec hargne, insultant Dieu, de
faire disparaître ce passé, changer de vie, changer de tout,
devenir une autre. Parce qu'elle dit que Patate n'est plus de ce
monde. Elle le crie tellement fort qu'elle sait au fond et que tout
le monde saura finalement que Patate ne mourra jamais, que Patate est
inscrite en elle, que c'est elle durant 15 ans et qu'elle ne pourra
jamais, malgré tous ses efforts et tous ses dénis faire sans elle.
Elle prie de n'être plus une fille, d'être comme Kiwi, d'être un
garçon, pas une connasse de fille qui ne sert à rien, qui doit
faire la vaisselle et des enfants, qui doit être belle et polie.
Elle l'a toujours fait. Elle a toujours suivi cette route, comme un
gentil toutou, Patate. S'astreignant à y croire. Elle n'y a jamais
vraiment cru. Pitayak le beugle enfin, seule dans son cœur, seule
face à Dieu, elle lui hurle son incompétence et son injustice, sa
cruauté et sa nullité. Elle lui hurle qu'il se trompe, qu'il est
faillible, pas mieux que les autres, ceux qu'on voit et qui se
pavanent en se croyant de fiers humains. Elle le prie d'être enfin à
la hauteur de ce qu'elle attend de lui, de lui prouver qu'il répare
les horreurs, les douleurs, les meurtres. Qu'il est là pour. Qu'il
va l'aider. Elle le déteste et elle attend tout de lui. Il ne répond
jamais. Il est comme tous les autres, ceux qu'elle a toujours connus,
qui se taisent, qui ferment leur gueule oui ! Qui jettent tout
ce qui n'est pas joli dans la poubelle Silence. Dieu n'est pas mieux.
La seule honnêteté qu'il a est de ne se prononcer sur rien. Il ne
choisit pas le joli, poli, correct. Il ne choisit rien. Il se tait et
il laisse Pitayak se débattre avec sa haine et son impuissance. Elle
le provoque, elle lui jure que plus jamais elle sera clémente,
compatissante, indulgente. Elle a fini d'être cette jolie personne.
Patate a essayé, elle en est morte. ELLE EN EST MORTE ESPECE DE DIEU
DE MES DEUX ! Morte pour avoir suivi les conseils des grands et
des immensément puissants, comme lui. Et maintenant que reste-t-il ?
Pitayak, bouillonnante, fumante, écumante, qui se venge et se
vengera, finira par se haïr encore plus loin que Patate, s'adorer et
se haïr comme une folle à enfermer. Voilà ce que tu as fait Dieu
de mes deux ! Voilà !
Pitayak
est enfin quelqu'un, enfin vivante. Pitayak n'est pas moins
malheureuse. Mais elle ne le dit pas encore. Elle commence tout juste
à jouir.
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