Je
ne me cache plus de rien, je n'ai plus peur. La peur, mon assistante
de toujours, a disparu, la peur s'est éclipsée, sans réellement me
prévenir. Bien sûr que je m'attendais à toujours être prévenue
par elle. C'est une belle pute mais elle a la courtoisie de prévenir
la tête. Pas comme cette gitane folle. Mais voilà que la peur même
s'échappe de moi. Je me sens libre ? Pas encore. Je me sens
vide pour l'instant. Je ne sais pas comment faire sans elle. J'ai
toujours dû compter avec elle et louvoyer autour de ses obstacles.
J'ai peut-être aussi toujours pu compter sur elle. Peut-être que je
comptais sur elle. Nous parlons là de Patate bien sûr, celle
d'avant. Elle rendait la vie impossible et Patate la maudissait pour
cela. Mais je m'aperçois bien malgré moi qu'elle m'emplissait de
substance aussi. Pour l'amadouer, Patate l'a-t-elle intégrée comme
chair vivante ? Je constate que oui. Que je suis perdue sans
elle, même si cela m'arrache les lèvres de laisser sortir ces mots.
Je mesure en Pitayak l'étendue de son royaume. La gitane est sans
filtre, on ne eut être qu'au clair avec ce qu'elle embue et détruit
à petits feux. La peur est reptilienne. Et encore faut-il avoir le
courage de la regarder dans les yeux fendus de leur pupille froide et
de se mettre au sol pour l'évaluer. Ce courage est presque une
folie. Il n'arrive pas à 15 ans. Jamais. Plus tard parfois. Parfois.
Mais ce courage est un peu fou. Alors on ne s'y jette pas sans
appréhension. On ne sait pas si le serpent attaquera, si l'on pourra
se relever, s'il est venimeux ou constrictor, si l'on sera secouru.
On ne sait rien. A l'aveugle. Mais toujours la sonnette de la peur
résonne et l'on s'y attend. Pas de surgissement improbable qui
laisse les gros yeux idiots et la bouche baveuse. Jamais. Alors, on
peut l'apprivoiser ; On peut s'en servir. On peut en faire son
miel. On peut jouer avec la bête. On ne la regarde pas, on ne se met
pas à terre. Mais l'on joue avec elle. Patate en était une prodige.
Moi j'ai les mains vides, libres mais vides. Je vais réapprendre à
vivre sans elle, sans lui qui siffle et sonne à la moindre occasion.
Je suis prête.
Au
collège, les regards ont changé. Je ne suis plus la pestiférée
que Patate se sentait être. Je suis digne, aussi digne que les
autres. Je suis leur égale, pour la première fois de ma vie. Je
désapprouve, je me tais pour exprimer ma réticence, je récuse,
j'argumente, je plaisante, acide, je fais rire. Je suis droite et
fière en terre. Les autres ne se rapprochent pas de moi. Ils sont
suspicieux. Ils ne comprennent pas. Ils ont ri
sous cape du changement de style. Mais déjà ils étaient inquiets.
Patate m'a au moins appris cela : je flaire l'inquiétude la
plus subtile du plus profond qu'elle naît. Aujourd'hui, ils ne rient
pas. Ils se reculent. Plus parce que Patate est contagieuse dans sa
faiblesse. Parce que moi Pitayak je n'ai plus peur, plus assez peur
pour eux. Plus assez peur pour personne.
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