jeudi 14 novembre 2013

Panorama d'une folle ; Tata chérie (9)

Depuis toutes ces années, je me suis sentie une entière affinité avec cette enfant. Ça aurait dû être la mienne. Depuis le 28 décembre 1990, j'y pense jour et nuit. Elle aurait dû être la mienne. C'était à moi de la porter et de lui donner le jour. C'était moi sa vraie mère et c'est la petite peste archi-voleuse qui l'a fait naître. Elle l'a expulsée avec fierté. Après, dès que l'enfant pleurait et que j'étais là, elle déambulait de long en large dans le couloir de leur appartement. Pour me montrer de quoi elle était capable. Et pas moi. J'ai vu et revu cette flamme de satisfaction haineuse, une fois, nous étions seule a seule dans leur entrée. Elle a positionné le visage d'Anna vers elle, elle a approché la minuscule oreille, de sa grande bouche d'adulte. Elle lui a murmuré, les yeux sifflant un laser rouge, happant l'enfant d'un halo, une malédiction. Que j'ai entendue malgré la distance, j'étais dans l'enfant. Et elle a fait pivoter Anna sur elle-même dans ses mains. Et c'était devenu une boule de feu. Elle était incandescente. J'ai à mon tour longée dans ses yeux. Je me souviens mal de la suite. Il s'agit surtout d'une sensation d'envoûtement et d'absolue perméabilité. Il s'est passé un drame, ce jour-là. Elle a usé de son bébé pour m'évincer. C'est qu'elle le sait comme moi que je suis la vraie mère.
       Et puis, ne jamais désespérer de rien. Après quelques mois écartelé du foyer de ma sœur, je suis revenue, feignant le repentir. Force larmes et crocodile. Je n'ai pas mordu. Elle n'y a vu que du feu. Et j'ai pu retrouver ma fille naturelle, ma fille d'esprit. Au fil des ans, une splendide relation s'est construite entre nous, à la mesure du lien qui nous nuit, unit.

    Aujourd'hui, presque nous vivrions ensemble. Nous nous appelons tous les jours à 12h42. Anna est très pointilleuse sur l'heure. Elle est un peu obsessionnelle, je me suis renseignée. C'est une jeune femme fragile. Je prête attention à la ménager autant que je peux. En tant que mère, c'est bien mon devoir. Elle m'en sait gré. Nous n'avons pas besoin et mots pour nous entendre. Nous savons toutes deux ce qui se passe entre nous. Je l'aime de tout mon cœur cette Anna. Elle est ma digne descendante. Elle me succèdera dans cette famille. Elle en est consciente. Elle a toujours été vive et pertinente. Elle vous fixe droit dans les pupilles. Ce n'est pas une hypocrite. Les gens ne sont pas toujours bien à l'aise avec ça. Mais moi, je sens que là réside son aura. Je le remarque bien entendu quand elle entré dans notre restaurant, le vendredi midi. Il faut que j'arrive avant elle pour l'attendre. Pour qu'elle ne traverse pas ces tables de gens abandonnée. Je sais que c'est une épreuve pour elle. Je la tiens du regard. Et je perçois que les autres gens s'écartent, ils lui laissent l'espace pour son aura fantasque, fantastique. Elle n'est pas haute pourtant. Mais ce n'est pas la quantité qui compte.
J'en serais amoureuse.

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