mardi 31 octobre 2017

Grand-père grand frère

Tu sais mon grand ce qu'est d'avoir une petite sœur, ce qu'est ce sentiment d'être malgré soi, toutes les raisons du monde n'y faisant rien, responsable et protecteur du plus petit que soi. Je ne sais la différence qui existe entre un petit frère et une petite sœur. Je sais seulement que les grands frères veulent que rien, moins que rien, ne blesse leur petite sœur. Tu me diras peut-être que je suis sexiste, que ce n'est pas parce que l'on est un homme que l'on peut mieux protéger et qu'une fille, une femme en a davantage besoin. Peut-être que je le suis. Peut-être que je suis désuet, vieilli, suranné. Peut-être. Mais mes pairs de génération et moi avons toujours porté notre ombre sur nos petites sœurs. Par réflexe. Sans trop y réfléchir. J'ai eu le temps, des nuits entières pour y penser...
-Mais, Papa, tu n'as pas de petite sœur !
-Si, bien sûr que si j'ai une petite sœur. Je ne sais pas si je l'ai encore. J'en ai eu une. Tu ne la connais pas. Tu ne la verras sans doute jamais. Tu vas comprendre... J'ai toujours vu les frères épargner leur sœur. C'était comme ça. On avait beau se battre à la maison, enfants, s'insulter en chuchotant, adolescents, une fois dehors, l'ordre des choses était tout autre. Elles étaient sous notre regard. J'ai couvé ma petite sœur, aussi longtemps, aussi fort que je le pouvais. Elle, Pitayak, je savais qu'elle comptait sur moi. Elle attendait toujours mon regard pour s'éloigner, pour être sûre. Pour ne pas être seule. Nous n'en parlions jamais. Elle parlait très peu. Elle me faisait une entière confiance. Et à moi et à moi seul. Je l'ai su très tôt. Sans motif apparent. J'ai pourtant cherché sans relâche pendant des années ce qui me faisait penser ça. Je n'en disais rien et j'avais peine à le penser car je me sentais usurper une place de parent qui n'était pas la mienne. Mais il n'en allait pas autrement et je devais en avoir un minimum conscience pour pouvoir mener ma mission à bien. C'est sans doute le premier et le plus grand devoir qu'il m'ait été donné d'accomplir. Je ne sais pas où elle est, je ne sais pas ce qu'elle fait. Je ne peux plus la regarder. Encore moins la protéger. Pourtant, chaque jour que Dieu fait, chaque jour, je la préserve des dangers, par la pensée, une pensée folle ou magique, qui voyagerait jusqu'à elle, là où je ne sais pas qu'elle est. Chaque jour, elle est l'une de mes premières pensées. Je m'endors en priant pour elle. Je prie parce que ; que pourrais-je faire d'autre ? De quel autre arme disposé-je ? Je ne suis qu'un humain démuni, face à cette absence, sans mains, sans même pieds pour avancer vers elle. Je ne suis qu'une absence moi aussi. On n'est absent qu'à deux. Je suis un fantôme qui ne peux plus que prier aussi loin que son esprit le mène. Je ne m'y suis pas résolu, tu m'entends bien. Je n'accepte rien de tout cela. On n'accepte pas de perdre plus fragile que soi. On ne l'accepte jamais.
Pesait sur mes épaules une lourde charge. Je n'ai jamais vraiment essayé de m'en défaire. Elle me donnait corps à moi aussi. Quelque chose pour quoi me battre et non contre, en impuissant, comme je l'étais contre mon père. Il tait le pharaon omniscient, intouchable, sacré. Il était froid et dangereux. Je le haïssais. Et ma mère l'adorait. Tout le monde lui vouait une véritable adoration. Stupide, moutonne. Nous, les trois mioches, savions à qui nous avions à faire. Juste un fou mégalomane et paranoïaque dont il fallait esquiver les coups bas, ou plus hauts. Elle ne pouvait évidemment pas lui faire confiance. Et ma mère ne lui montrait pas plus de considération que cela. Bien plus à moi qu'à Pitayak qu'elle a toujours tenue à distance, comme une malade contagieuse. Pas de manière évidente, pas avec dégoût. Avec hauteur. Là encore, je me suis torturé l'âme pour comprendre ce qui se passait. Je n'en savais pas assez pour comprendre leur rivalité. Cette immonde rivalité d'une mère et d'une fille, d'une mère jalouse de sa petite fille, pas même encore pubère, jalouse à crever de son enfant dernier né, sa deuxième fille, sans doute présent promis au pharaon qu'elle-même ne désirait pas. Elle était la fille de son père. Pas celle de sa mère. Mais personne ne faisait confiance à notre père. Personne. Un instinct animal qui dictait à chacun de se contenter de l'admirer et d'être courtois. Surtout pas de l'aimer ou de s'en approcher. Jamais ne s'approcher des flammes.
Il ne lui restait que notre sœur et moi. Autant dire seulement moi, l'autre ayant hérité de l'insupportable tempérament de notre père. Moi, à qui, par défaut, elle ne pouvait que faire confiance.
Et bien que j'aie mis du temps à l'admettre, elle, à qui , par défaut, je ne pouvais que faire confiance.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire