Lettre 8

Est-il vivant ? Est-il enfin mort ? Où est-il ? J'aime son silence mais je ne peux m'en réjouir sans autre preuve. Son silence est ma paix certes. Sa mort sera mon repos. Peut-être me trompé-je. Peut-être car même mort, il serait capable d'être là, encore là, au fond de moi et de vouloir continuer à vivre ainsi. De se battre comme un forcené pour continuer de vivre encore un peu. Il est chez moi comme chez lui de toute façon. Il ne se gênera pas. Il ne se gêne de rien ; Il n'a jamais été gêné, de rien. Comment est-ce possible . Sais-tu comment il est possible de n'être jamais en gêne ? Sais-tu ? Je suis gênée de tout, de moi, de nous, de ma tête, de mon corps, de tout ce que je suis et ne suis pas. Tout me gêne et je gêne à peu près tout également. Je préfère donc le faire exprès.

Est-il mort ? Enfin éteint ? Une autre l'aurait-elle tuée ? Une autre que moi aurait-elle vengé sa gêne éternelle ? Mère ? Mère ne me parle plus, tu le sais bien. Mère n'aurait jamais fait cela. Mère s'est éloignée du monstre. A raison. Monstre qu'elle ne croyait tel que pour elle-même. Ils ne se convenaient pas. Elle devait le provoquer, elle avait sa responsabilité, il faisait ce qu'il pouvait. Il était plus fragile que je ne croyais. Voilà ce qu'elle débitait, stupide. Je la regardais toujours sans rien dire et désolée de sa bêtise. Je lui en veux de cette bêtise, bien sûr.. Comment peut-on se tromper ainsi ? Comment peut-on ? Malgré tout, elle a osé s'en éloigner malgré les regards désapprobateurs de toute la société bien-pensante qu'elle estime tant. Le monde veut qu'on s'aime pour la vie. Mère a sauvé sa peau. Personne n'a compris.

Le monde veut qu'on s'aime infiniment, indéfiniment aussi.

Le monde croit, comme la foi, l'amour immortel.

Le monde nous croit aussi doués pour le couple que les fidèles manchots.

Le monde veut croire.

Le monde est une boule de bêtise. Mère n'en est qu'un morceau normal.

Sans doute nous aussi. As normaux mais bêtes. A moins que... C'est ma foi à moi.

Le monde veut que les parents aiment leurs enfants innocemment, de tout leur cœur.

Le monde est sûr que les pères et mères, quand ils le deviennent, sont alors sacrés.

Le monde fait des pères et mères des saints et des enfants leurs petits Jésus.

Le monde s'est crevé les yeux depuis des millénaires pour pouvoir être en paix.

Le monde laisse les hommes et les familles s’entre-tuer.