Cher
frère,
Je
t'écris enfin. Je te l'avais promis depuis tout ce temps. Je ne m'y
était pas pliée. Je n'y parvenais pas malgré toutes mes promesses.
Tu as dû attendre, je m'en excuse. Heureusement, ta vie est pleine
de gens et d'affaires que tu chéris et mène comme le tendre
capitaine que tu es. J'espère qu'autour de toi tout le monde se
porte bien. Je pense à vous sans cesse. Sans doute, les autres n'y
croient pas réellement mais toi, tu pourrais. Tu me connais assez,
tu connais mon cœur de l'intérieur, sa terrible faiblesse sous mes
airs de femme libre et rebelle. Je sais que tu n'y crois pas plus que
moi. Si, tu y crois davantage que moi, tu crois à l'être que je me
suis construit. Tu as résisté longtemps mais désormais il t'a
convaincu, en partie. Je sais que tu me connais mieux que personne,
qu'il te reste, peut-être à toi seul, un doute sur la véracité de
cette femme libre et rebelle. Je le suis devenue un peu, oui, je me
suis persuadée moi-même bien sûr. Nécessité fait loi. Mais celle
de notre enfance est toujours bel et bien là. J'ai tenté de
l'assassiner. En vain. Elle restera là, toujours, tapie. Je l'ai
acceptée désormais. Je l'ai admise plutôt. Acceptée non. Elle est
toujours aussi fragile. Aussi méprisable. Même avec l'âge et
l'expérience, je parviens à peu de compassion pour cet être soumis
et facile. On dit que c'est aujourd'hui que je suis une fille facile.
C'était alors que j'étais une fille facile. Mais il faudrait tout
savoir et m'entendre pour comprendre. J'ai cessé de demander aux
autres de comprendre. Moi-même, je ne m'évertue plus autant
qu'avant à saisir le secret de chacun et ses rouages. Ceux qui
rendent tout le monde injugeable. Je demande seulement, précisément,
qu'on cesse de me juger sans savoir. Parce que, tu connais le monde
aussi bien que moi, on croit avoir. Il faut montrer que l'on sait ,
que l'on est un savant. Que l'on maîtrise l'univers et les autres.
Mais au fond, ce n'est que du bluff. Je sais que tu ne m'as jamais
jugée. Je sais que tu m'as été loyal jusqu'à aujourd'hui. Faisant
fi de cet immense obstacle de la compréhension. Cher frère,
crois-tu qu'il y a un secret ? As-tu imaginé que tu ne savais
pas tout ? Je te crois de ces rares êtres qui savent qu'ils
ignorent. Qui l'acceptent et qui n'en font pas une fatalité morbide
mais une possibilité toujours grande ouverte de connaître. Excuse
la forme peut-être brutale que prendront mes mots, qui te blesseront
peut-être. Excuse le mal que je ne veux pas te faire mais que sans
aucun doute, toi capitaine au cœur tendre, je te ferai quand tu
liras cette missive. Je sais aussi que tu sauras combien valent ces
mots et qu'ils résonneront à leur juste valeur en toi.
Kaki,
mon
frère adoré,
je
ne me suis jamais
appartenue.
Je
n'ai jamais été mienne en
moi-même.
Je
suis de ceux qui rejoignent le monde des choses.
Je
n'ai jamais été
seule
en ma demure.
Toujours
l'on s'est introduit en moi,
l'on
m'a tenue en laisse,
l'on
m'a démunie de
moi-même.
Libre ?
Jamais je n'y suis
parvenue.
Je
suis habitée par l'autre.
Je
suis trouée,
incapable
d'empêcher
l'invasion.
Je
reste cette petite fille qu'on
fait
tourner
à
sa guise.
J'ai
pris le parti
de
me faire tourner
de
mon propre chef,
à
défaut de savoir
reboucher
les
tranchées
empreintes
tout le long de mon
corps.
On
m'a dès le début,
volée.
Ravie.
Raptée.
Je
n'ai jamais été que la poupée de ceux qui
s'appropriaient
mon être.
Entends
ou non mon frère.
Ce
n'est que ma stricte vérité.
M'entends-tu
mon frère ?
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