samedi 7 octobre 2017

Lettre 5

Il revenait presque chaque soir, le bel homme fier et plein de réussite, le riche bourgeois qu'on ne soupçonne jamais, qui paraissait presque insensible aux charmes féminins, sauf à ceux de sa femme, et encore, c'est bien ce qu'il nous montrait à tous. Mais je ne suis pas sûre qu'il l'ait touchée plus des 4 fois où nous fûmes conçus, ses enfants. Il avait cet aspect clérical, que d'aucuns appelaient pur. Il forçait l'admiration car on sentait cette âpreté en lui, celle des caractères puissants. Il était un homme, un vrai. Toi et moi, mon frère adoré, savions qu'il n'en était rien et moi encore bien davantage que toi. Je l'observais devant les gens, dans la rue, durant les dîners de fête à la maison. Je l'observais et il se pavanait en homme de talent. Mais sa pavane était toujours juste. Ni trop ni pas assez. Il feignait la pointe d'humilité qui touche les gens, derrière la grandeur apparente. Tu sais comme moi qu'il n'était pas capable d'être comme les autres. Qu'il avait appris, chaque geste et chaque réaction à donner à voir dans telle ou telle situation. Il ne savait rien des gens, il ne comprenait rien d'eux. Il leur donnait ce qu'ils attendaient de lui et s'en débarrassaient ainsi. Ils le dérangeaient plus qu'autre chose mais jamais ne le leur faisait sentir.Il avait bien trop besoin de leurs regards posés délicieusement sur lui. Il revenait souvent, le soir, vitupérant contre ses collègues. Il était toujours furieux alors. Il n'aimait personne. Si, un seul. Il était aussi fou que lui. Non seulement il n'aimait pas les gens, mais surtout, il les méprisait. Ils n'étaient jamais assez beaux, jamais assez dignes, jamais assez doués, jamais à leur place, jamais assez satisfaits des miettes qu'on leur offrait. Il trônait sur son piédestal et débitait, seul, ses longs discours critique puis finissait par sa conclusion sur l'excellence et le pouvoir. Personne ne répondait. Il n'attendait pas de réponse. Une fois, tu as essayé de répliquer quelque chose, outré par son hypocrisie vis-à-vis d'un très gentil collègue de Père, que nous appréciions tous beaucoup et qu'il émasculait verbalement à peine était-il sorti de chez nous. Il avait beau jeu, lui, le pédophile en costume trois pièces, d'émasculer qui que ce soit ! Mais il osait. Il osait tout car il était aveugle. Aveugle comme le sont les vrais fous. J'aime les fous, là n'est pas le problème. Je n'aime pas les fous qui s'ignorent en maltraitant le monde. Car ce n'est pas seulement les autres, ses proches qu'il maltraitait. Il rendait le monde laid et écœurant. Il salissait le monde. Et toi qui avais essayé de faire entendre une petite remarque très adroite, tu t'étais fait renvoyé dans tes 30 mètres, avec un sifflement de mépris pour ta naïveté et ta niaiserie.
Il a sali mon monde, pour toujours. Je le colore et l'égaye comme je peux, au jour le jour. Mais il a sali le monde, tous les jours, j'ai peur du monde, d'y rentrer à nouveau, de m'y plonger comme dans un bain glacé, sombre et violent. Je sais que ce ne sont pas mes pensées et pourtant elles me hantent et il est là en moi, bel et bien vivant, jusqu'à mon dernier souffle. Il s'est glissé près de moi, presque chaque nuit durant plus de dix longues années. Il s'est glissé en moi. Il m'a prise. Il est moi. Je ne suis que son objet qui poursuit son œuvre.
J'ai voulu le tuer. J'ai rêvé sa mort ; bien sûr. Je ne m'en cache pas et à vrai dire, je n'en ai jamais eu honte. Je savais que je vivrais mieux sans lui, que j'aurais une seconde chance sans lui, et vous tous aussi. Mais ces bêtes-là s'accrochent comme des morpions avides. Je m'imaginais des scenarii de crimes. Je souriais de soulagement de pouvoir au moins penser cela. Mais il faut croire que la folie conserve puisque l'Immonde vit encore.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire