Vit-il
encore d'ailleurs ? Je n'ai pas de nouvelles depuis quelques
mois. Il m'envoyait toujours une carte du pays où il était en
voyage, pour garder le contact sûrement, pour s'assurer que je lui
appartenais toujours. Mais il n'avait pas à en douter. Je reste
collée, engluée avec lui. Nous sommes entremêlés, nous ne faisons
qu'un. C'est répugnant et fatal. Pas fatal au sens propre. Ni l'un
ni l'autre nous ne sommes morts. Cela devrait être fatal. J'aurais
dû mourir, ne pas pouvoir survivre à cela. Je n'aurais pas dû
pouvoir continuer. Ou alors, il aurait disparu pour me laisser la
place. Il prend deux places pour lui. Il vole ma place. Et d'ailleurs
suis-je la seule ? N'a-t-il pas volé de leur place, de leur
droit, d'autres gamines trop bandantes avec leurs petits robes à
volants et leurs souliers vernis ? N'a-t-il pas pu se retenir ?
Ou a-t-il pu penser à moi et se dire qu'il en profiterait plus le
soir avec son petit trésor ? Peut-être ma présence a évité
cela mais après moi, que s'est-il passé ? A-t-il agrandi son
espace, encore ? A-t-il pris 3,4,5,6 places ? Que sais-je
de tout cela ? Rien, je ne peux même pas lui parler. Je ne peux
pas le regarder. Je ne peux pas lever les yeux sur lui, toujours
aussi immense et moi la petite. Il rit de ma taille. C'est lui qui
m'a arrêtée de grandir. C'est lui qui a fait de moi une toute
petite. Je n'avais pas la place de grandir plus. Où voulais-tu que
je mette tout le reste ?
Pour
Maman, je ne sais que penser. Tu sais combien je lui suis attachée.
Tu sais cet amour si fort que je ne pouvais la quitter sans verser
des torrents de larmes. Et c'est lui qui venait me consoler, c'est
encore lui qui m'enlaçait. Et Maman souriait. Je m'arrêtais de
pleurer aussitôt. Elle interprétait la beauté du geste paternel et
l'amour réparateur. Elle s'émouvait devant cette scène. Mais je
m'arrêtais pour pouvoir m'échapper, ne pas le sentir me toucher, ne
pas le voir comme avec une loupe, monstrueux de grosseur à quelques
millimètres de mon visage. Il croyait lui aussi qu'il faisait son
effet et se gargarisait de notre formidable relation. Il souriait à
pleines dents. Je ne pleurais plus. J'étais bien en-deçà des
larmes. Maman m'avait encore abandonnée, encore une fois laissée
aux mains de l'ennemi. J'avais beau l'appeler elle, elle laissait son
beau mari faire son labeur. Elle disait qu'elle se souvenait de son
père et de sa tendresse. Sa belle tendresse. Elle ne voyait pas la
différence. Elle ne voyait pas la différence ? Je ne sais pas.
Je ne sais toujours pas. Peut-être se débarrassait-elle de lui
comme cela. Elle donnait à manger au lion. Parce qu'on ne me fera
pas croire qu'elle l'aimait et l'admirait un point c'est tout. Elle
serait encore à ses côtés si c'était le cas. Elle le gérait.
Comme un problème bien plus complexe qu'elle ne pouvait l'admettre
mais qu'elle se devait d'affronter. Il était son travail de chaque
jour. J'étais le médicament qu'elle lui lançait, sciemment ou pas.
Je ne saurais jamais.
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