lundi 2 octobre 2017

Lettre 4


Je n'attends pas ta réponse. Je ne suis pas sûre d'ailleurs que ma précédente lettre nécessite une réponse. Elle nécessite d'être lue, voilà tout. Pour le moment, je ne crois pas en demander davantage. Peut-être plus tard, peut-être jamais. Je ne peux absolument pas prévoir, imaginer. Mon intérieur est déjà en plein déménagement. Je suis les événements au jour le jour et c'est tout. Je suis sortie hier, pour la première fois sans doute depuis que j'ai quinze ans, sans maquillage, sans bel assortiment, mal fagotée, sans queue ni tête. Les regards se sont retournés sur moi. Et je les ai soutenus. Je n'ai pas louvoyé, je n'ai pas dansé pour échapper à tout cela.
Quand il entrait dans ma chambre, la nuit, tard en pleine nuit. J'avais toujours l'impression qu'on était en plein cœur de la nuit, là où personne ne pouvait nous trouver, perdus dans le temps et l'espace de la nuit profonde, silencieuse. Il était silencieux lui aussi, félin, à pas de loup dans l'escalier, il ne faisait grincer aucune marche, il connaissait leurs faiblesses. Il avait certainement son circuit personnel. Je n'ai jamais suivi sa montée. J'étais gelée sous ma couverture, immobilisée par je ne sais quelle force. Je ne savais pas pourquoi. Je n'avais pas vraiment peur. Je n'avais même pas peur. J'attendais, je me préparais à cesser d'exister le temps de son intervention. Il ouvrait tout doucement la porte et chuchotait avec une tendresse et une gentillesse que je n'ai jamais vu montrer à quiconque. J'avais envie qu'il soit méchant, qu'il me parle mal plutôt que cette doucereuse tendresse. Cela me dégoûtait. J'avais toujours tout au début, quand il s'allongeait près de moi, au premier contact de sa peau contre la mienne, un haut-le-cœur, qui passait aussi vite qu'advenu. C'était juste l'enclenchement. Après, la machine était en marche et roue libre. Il se déshabillait avant de se lover contre moi et ne me demandais même plus de le faire moi-même en même temps. Je savais, j'obtempérais. Sa douceur était impitoyable, sans appel. Je ne me souvenais même pas, n'essayais pas d'ailleurs, des premières fois, si j'avais crié, résisté, ou … Il m'en parlait souvent alors qu'il se frottait à moi en gémissant. Il me disait combien cette première fois l'avait comblée, qu'il ne l'oublierait jamais, que c'était comme une drogue en moins dangereux. Il me parlait mais je ne l'écoutait pas. Je ne disais jamais un mot. Ce n'était pas le temps des paroles. J'étais bien incapable de prononcer la moindre phrase, protestation encore moins. Je n'y pensais même pas. Je n'avais pas peur, je n'était pas en colère. J'étais dégoûtée et je le méprisais. Je me sentais d'une puissance sans égale et d'une faiblesse inouïe. J'étais les deux à la fois, je n'étais donc plus rien, entre les deux, tout et son contraire et je cessais de vivre normalement pour quelques minutes. Je regardais de loin cette scène étrangère. Je sentais ses caresses, je sentais son sexe sur moi, en moi, je sentais la lourdeur de son corps, mais je ne sentais plus rien. Je n'avais même pas mal non plus. Pas mal comme on a mal dans la vraie vie. Bien sûr j'avais mal mais je ne m'en rendais compte qu'une fois seule, après son petit numéro, tout me brûlait, j'étais en feu, je mettais des heures à me rendormir. Il jouissait toujours, il disait combien c'était bon, que j'étais la seule à lui procurer ce plaisir-là, qu'il avait de la chance de m'avoir. Je le regardais, au-dessus de nos deux corps imbriqués, et je le méprisais encore et encore de toute mon âme, une moue répugnée aux lèvres. Même si cette Pitayak-là avait existé, il ne l'aurait pas vue. Il était seul . Nous étions seuls, tous les deux, mais il se croyait plus que jamais avec moi. Il y croyait dur comme fer. Je me disais qu'il était pire qu'un gosse, qu'il n'était pas digne d'être adulte, qu'il n'était qu'un petit enfant stupide et aveugle. J'étais bien meilleure que lui. Mais aussi salie, et imprégnée à vie de sa pâte, appartenant malgré moi à son engeance. Membre fatale de son monde. Ce monde adultes indignes de l'être, mous, dégouttants d'amour débile.

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