Je
n'attends pas ta réponse. Je ne suis pas sûre d'ailleurs que ma
précédente lettre nécessite une réponse. Elle nécessite d'être
lue, voilà tout. Pour le moment, je ne crois pas en demander
davantage. Peut-être plus tard, peut-être jamais. Je ne peux
absolument pas prévoir, imaginer. Mon intérieur est déjà en plein
déménagement. Je suis les événements au jour le jour et c'est
tout. Je suis sortie hier, pour la première fois sans doute depuis
que j'ai quinze ans, sans maquillage, sans bel assortiment, mal
fagotée, sans queue ni tête. Les regards se sont retournés sur
moi. Et je les ai soutenus. Je n'ai pas louvoyé, je n'ai pas dansé
pour échapper à tout cela.
Quand
il entrait dans ma chambre, la nuit, tard en pleine nuit. J'avais
toujours l'impression qu'on était en plein cœur de la nuit, là où
personne ne pouvait nous trouver, perdus dans le temps et l'espace de
la nuit profonde, silencieuse. Il était silencieux lui aussi, félin,
à pas de loup dans l'escalier, il ne faisait grincer aucune marche,
il connaissait leurs faiblesses. Il avait certainement son circuit
personnel. Je n'ai jamais suivi sa montée. J'étais gelée sous ma
couverture, immobilisée par je ne sais quelle force. Je ne savais
pas pourquoi. Je n'avais pas vraiment peur. Je n'avais même pas
peur. J'attendais, je me préparais à cesser d'exister le temps de
son intervention. Il ouvrait tout doucement la porte et chuchotait
avec une tendresse et une gentillesse que je n'ai jamais vu montrer à
quiconque. J'avais envie qu'il soit méchant, qu'il me parle mal
plutôt que cette doucereuse tendresse. Cela me dégoûtait. J'avais
toujours tout au début, quand il s'allongeait près de moi, au
premier contact de sa peau contre la mienne, un haut-le-cœur, qui
passait aussi vite qu'advenu. C'était juste l'enclenchement. Après,
la machine était en marche et roue libre. Il se déshabillait avant
de se lover contre moi et ne me demandais même plus de le faire
moi-même en même temps. Je savais, j'obtempérais. Sa douceur était
impitoyable, sans appel. Je ne me souvenais même pas, n'essayais pas
d'ailleurs, des premières fois, si j'avais crié, résisté, ou …
Il m'en parlait souvent alors qu'il se frottait à moi en gémissant.
Il me disait combien cette première fois l'avait comblée, qu'il ne
l'oublierait jamais, que c'était comme une drogue en moins
dangereux. Il me parlait mais je ne l'écoutait pas. Je ne disais
jamais un mot. Ce n'était pas le temps des paroles. J'étais bien
incapable de prononcer la moindre phrase, protestation encore moins.
Je n'y pensais même pas. Je n'avais pas peur, je n'était pas en
colère. J'étais dégoûtée et je le méprisais. Je me sentais
d'une puissance sans égale et d'une faiblesse inouïe. J'étais les
deux à la fois, je n'étais donc plus rien, entre les deux, tout et
son contraire et je cessais de vivre normalement pour quelques
minutes. Je regardais de loin cette scène étrangère. Je sentais
ses caresses, je sentais son sexe sur moi, en moi, je sentais la
lourdeur de son corps, mais je ne sentais plus rien. Je n'avais même
pas mal non plus. Pas mal comme on a mal dans la vraie vie. Bien sûr
j'avais mal mais je ne m'en rendais compte qu'une fois seule, après
son petit numéro, tout me brûlait, j'étais en feu, je mettais des
heures à me rendormir. Il jouissait toujours, il disait combien
c'était bon, que j'étais la seule à lui procurer ce plaisir-là,
qu'il avait de la chance de m'avoir. Je le regardais, au-dessus de
nos deux corps imbriqués, et je le méprisais encore et encore de
toute mon âme, une moue répugnée aux lèvres. Même si cette
Pitayak-là avait existé, il ne l'aurait pas vue. Il était seul .
Nous étions seuls, tous les deux, mais il se croyait plus que jamais
avec moi. Il y croyait dur comme fer. Je me disais qu'il était pire
qu'un gosse, qu'il n'était pas digne d'être adulte, qu'il n'était
qu'un petit enfant stupide et aveugle. J'étais bien meilleure que
lui. Mais aussi salie, et imprégnée à vie de sa pâte, appartenant
malgré moi à son engeance. Membre fatale de son monde. Ce monde
adultes indignes de l'être, mous, dégouttants d'amour débile.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire