Mon
Kaki,
Ne
fais surtout pas de choses que tu pourrais regretter. Ne te cause pas
de problèmes, la vie est déjà bien assez compliquée ainsi. Tu as
ta famille à soutenir, celle que tu as choisie et construite. Laisse
nos vieux démons derrière toi. Je sais que je ne fais que mes
discours sont paradoxaux. Je sais que tu es un homme de réaction.
Pas nécessairement d'action mais qui ne reste pas coi confronté à
la douleur. Surtout la mienne. Je ne le sais que trop. Je n'attends
aucune vengeance de ta part, ne demande à ton bras de ne frapper
nulle part. Je t'ai livré la haine qui t'en fait sans doute naître
le désir. Nourri du moins. Je crois que tu as haï notre père
autant que moi, en ton jeune temps. Nous n'en parlions plus et
c'était tant mieux. Je rouvre la plaie. Je ravive les flammes, de
l'enfer. Pas d'amour dans cette histoire. Pas pour nous du moins.
Kaki,
je n'attends de toi que ce que tu m'as déjà offert. Ton cœur
ouvert, ta douceur sous ton air indomptable. Je savais que tu
entendrais tout de moi. Je savais à qui je m'adressais. Je ne veux
en aucun cas, comme dirait ta femme, remuer la pourriture de notre
enfance. Elle me regarde avec cette distance qu'on plante devant le
pestiféré. Interdit d'entrer ! Elle n'a pas tort. Elle sent
que je porte ce bébé-là, celui que nous avons traversé et dont
moi, contrairement à toi, je n'ai pas accouché. Elle te protège
comme une tigresse. Je ne l'apprécie guère, ni maintenant ni
jamais. Tu le sais bien. Cela ne m'empêche pas d'admirer sa volonté
de te protéger, de vous protéger tous. Elle sait aussi que notre
père n'est pas ce qu'il prétend être et elle le méprise de toute
son âme pour cela. Elle force mon respect. Écoute-la et ne lance
pas l'impardonnable. Je me ferai justice moi-même, si je dois le
faire un jour. C'est à moi de prendre cette responsabilité. Tu as
déjà pris la tienne, je te le répète. Tu as été celui qui
pouvait entendre et qui m'a en partie délivrée de la solitude.
Alors, conforte-toi dans cette qualité d'être sur laquelle j'ai pu
compter. Aime-la, aime-toi et aime-les, tous les quatre qui t'adorent
chaque jour.
Je
ne suis pas une victime à la recherche de son héros. Tu n'es pas
mon bras armé. Tu ne me dois rien. Un grand frère ne doit rien de
plus à sa petite sœur qu'une petite sœur à son grand frère. Moi
aussi j'aurais pu te protéger davantage. Je ne l'ai jamais fait.
J'ai toujours été silencieuse. Pourquoi moi aussi ne t'ai-je pas
défendu, détournant la colère paternelle ? D'autant plus
qu'il n'osait pas tant frapper sur moi que sur toi. Tu ne l'as jamais
avoué mais bien sûr qu'il s'acharnait sur toi, bien sûr qu'il
s'acharnait sur le seul mâle de la fratrie. Bien sûr que tu payais
sa douleur d'être un eunuque délirant. Tu as payé ta part, tout
comme moi. J'aurais pu parler, le faire rire, faire diversion.
J'aurais tout à fait pu. Cela n'a rien à voir avec l'âge. Mais je
me suis tue. Toujours je me suis tue. Tuetue, voilà le nom que
j'aurais dû porter. Je me suis rattrapée depuis en bavardant à
tort et à travers.
Les
gens parlent. Laisse-les donc. Ma réputation n'est plus à faire.
J'ai fait ce qu'il fallait pour qu'on dise ce qu'on dit de moi. J'ai
joué avec le feu. J'ai voulu, me taisant, piailler et je suis
devenue une poule. Cela m'évite d'être un pauvre agnelet fragile et
pitoyable. Je préfère être accusée qu'être « pauvre
petite ». Je préfère être accusée car alors, je le suis de
quelque chose qui m'appartient, de quelque chose que j'ai en effet
commis, dont je suis bel et bien l'auteur. Et cela me suffit pour me
sentir être. Pas me sentir être comme il faut, ni bienheureuse.
Être vaut mieux que rien. Être en plus de ce bébé monstrueux que
je porte toujours en moi, être à côté, quelqu'un en vrai. J'ai
cela et j'en suis sauvée.
Je
crois qu'aujourd'hui, mes ambitions ont peut-être grossi. Peut-être
envie d'accoucher.
Pitayak
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