lundi 5 février 2018

La retraite du vaincu

On entend le sale gosse pleurer.
Pleurer.
Elle le laisse par terre et pars en répétant : « Connard va ! »
Elle ne pense à rien d'autre qu'à sa colère. Elle ne pense pas d'ailleurs.
Marc et les autres sont démunis. Ils finissent par tous partir sauf Flo qui rebondit, comme toujours et en prêtant attention à ne pas humilier le jeune homme à terre, il s'assoit assez loin de lui, s'appuie au radiateur dans une position nonchalante qui dédramatise, ou tente de, la situation. Il ne dit rien. Il attend. L'autre est en nage et rage. Il va bientôt se mettre à vociférer. Flo le sait. Ce n'est pas le genre à savoir se taire celui-là. En réalité, personne ne peut supporter ce mec-là et quand il s'en va, les moqueries vont bon train. A chaque fois. Jana ne s'en mêle jamais. Il lui est arrivé de sourire une ou deux fois. Mais Flo croit comprendre qu'il la met trop en colère pour qu'elle puisse en rire. Il dépasse toutes ses limites et met au rouge tous les voyants du tableau des émotions. Elle ne rit pas parce qu'elle pourrait déclencher l'incendie, tout faire disjoncter. Il vaut mieux qu'elle se concentre sur autre chose. C'est du moins ce qu'il pense avoir compris. Elle devient plus lisible dans ces cas-là. Quelques filtres tombent.
L'homme ne bouge pas, pendant quelques instants ; ne fait plus aucun bruit. Puis, il se met à genoux, il ne regarde pas Flo. Il prend une grande respiration et commence en effet à vociférer. Il insulte copieusement Jana qui devient une pétasse, une folle à enfermer, une petite conne qui pète plus haut que son cul etc. Flo ne dit rien. Il n'y a rien à dire. Mais il vaut mieux qu'il soit là. Pour recevoir la merde qu'il a à laisser ici. Flo se dirige vers la porte et reconduit l'homme vers l'ascenseur. À distance raisonnable. Il sent que l'autre pourrait exploser à n'importe quel moment. Il continue son monologue acharné et promet de porter plainte contre la petite pute qui tourne sûrement tous les soirs sous tous les mecs de cette équipe d'enfoirés. Il ne s'arrête pas une fois dans la cabine et on l'entend encore quelques secondes.
Flo rentre dans l'open space et regarde Jana. Elle a les écouteurs sur les oreilles et elle travaille, comme si de rien n'était. Sauf que ses mains d'arabesques sont en pleine fibrillation. Le reste de son être se distingue pas de l'habitude. Flo retourne sans un mot à sa place. Il s'assoit. Il réfléchit. Il a une terrible envie de rire. Il se contente de sourire de toutes ses dents. Marc ne le voit pas. Mais les autres oui. Et tout le monde fait de même. On manque de peu le fou rire général. Mais pas sûr que ce soit bien vu.
Marc arrive alors : « Janusa ! »
Elle ne répond pas, elle a sa musique dans les oreilles.
Il s'approche et se plante devant elle. « Janusa ! 
  • Désolée Marc, j'ai pas pu.
  • T'aurais pu faire pire.
Elle relève les yeux et enlève son casque. Elle sonde son supérieur. Il a un minuscule rictus au coin gauche de ses lèvres.
  • J'aurais pu.
  • Recommence pas ça Jana. Pas ici en tout cas. Jamais ok ?
  • Ok Marc. Désolée pour la vente.
  • Un pauvre mec avec deux francs six sous en poche. On n'a rien perdu. Mais fais gaffe à toi. Un jour, tu te feras retourner comme un crêpe et lyncher par ton patron.
  • Un jour peut-être.
Il est étonné par sa réponse et la fixe un moment. Elle n'a absolument pas peur. Etrange cette fille tout de même...

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