Malgré toutes les années et l'assurance acquise, elle craint
toujours d'être volée. Nue. Elle se voit nue au milieu d'une cour
encerclée d'enfants ironiques. Volée et prisonnière.
Elle
en profite pour faire un petit tour sur internet, elle attrape les
informations du jour. Elle pourrait le faire le matin avant de partir
chez elle si elle en prenait le temps. Mais elle a fait un autre
choix depuis quelques années. Elle pratique son yoga pendant une
bonne heure. Elle ne peut plus s'en passer. Cela, elle l'admet oui.
Cette drogue-là ne l'emprisonne qu'à moitié. Elle sait tout ce
qu'elle y gagne. Bien sûr que personne ne sait cela non plus. Ils
croient qu'elle est une dure au réveil. C'est drôle tant cela ne
lui correspond pas. Elle n'a aucun problème pour se réveiller. Elle
ne met même pas son réveil. A la bonne heure, son corps reprend vie
d'instinct. Parfois trop tôt, c'est vrai. Quand elle est inquiète.
Mais bref, elle s'informe pour la journée, elle lit quelques
articles, regarde quelques vidéos. Elle voyage. Elle est dans un
parfait bien-être alors. Si l'un d'entre ses collègues déboule à
cet instant, elle le déteste. Un vrai mouvement de rage l'envahit.
Mais elle le contient évidemment et elle reste impassible devant son
écran comme si elle n'avait rien vu rien compris. Les autres
reviennent toujours à pas de loup dans ces cas-là car ils sentent
sans se le dire ni le savoir qu'elle pourrait les étrangler de la
déranger dans ces minutes de pause solitaire. Elle fait régner une
véritable terreur sur cette heure-là. Elle ne le sait pas. Elle
dira qu'elle ne dit rien, qu'elle ne fait rien, qu'elle n'interdit
rien à personne. Mais l'électricité dans l'air, pas besoin de son
regard, est palpable. L'agressivité est bien davantage qu'un mot ou
un geste. Une présence suffit. Elle méprise cette pensée. Pourtant
elle utilise l'arme invisible. Elle est comme tous les autres, elle
n'est pas très honnête. Bien sûr qu'elle n'est pas honnête. C'est
même sans doute l'une des plus grandes menteuses par omission qui
existent dans cette ville. Elle ne dit rien elle ne fait rien et haut
les mains innocente ! Coléreuse surtout qu'on l'accuse d'être
menteuse et malhonnête. Pourtant, c'est bien cela qu'elle est et que
certains haïssent. Flo dit qu'elle se protège. Les autres lui
répondent : « c'est une raison pour mentir ? Pour se
servir des vies des autres et ne rien donner de la sienne ? »
Flo se tait. Ils ont raison.
Mais
il la comprend. Il veut surtout que personne ne l'attaque. Non pas
qu'elle soit une petite chose fragile. Mais il a l'intuition presque
féminine qu'elle l'est bien davantage qu'elle n'en montre. Avec son
port altier, toujours bien mise. Toujours parfaite. Toujours en
forme. Mais ses yeux la trahissent parfois. Flo est de parents psy,
son père psychiatre et sa mère psychanalyste. Ils ne sont pas fous
pour autant contrairement à ce qu'on lui rit au nez quand il
l'explique. Ils ne sont pas tout à fait banals, sans aucun doute.
Mais ils ont appris des tas de choses à leur fils qu'il ne vendrait
pour rien au monde. Ils lui ont enseigné à lire d'abord et surtout
les yeux des gens, à ne pas se fier ni au sourire ni aux lèvres
pincées, à ne pas se contenter des mots mais à entendre les ton et
timbre de voix, à ne pas voir les beaux vêtements mais la démarche
qui parle de l'intérieur. Le premier jour, Flo a observé Janusa.
Il a tiqué à son prénom. Il a déjà froncé les sourcils au
premier mot qu'elle a prononcé. Il n'a pas caché sa franche
surprise. Flo ne se cache pas, vous le savez déjà. Il n'a pas
souri. Elle n'a pas souri non plus. Flo ne fait pas partie de ces
gens qui se croient obligés de sourire. La Janusa n'était
visiblement pas de ceux-là non plus. Ils se sont d'emblée trouvés
sur ce terrain. Il a foncé sur les yeux. Elle l'a fixé droit sans
ciller. Elle a fait comme s'il s'agissait d'un duel mais Flo n'a rien
provoqué de cela. Il a le regard calme. Sans doute trop vite
intelligent. Il a tout de suite entendu la douleur. Il n'a pas pu se
l'expliquer. Il ne peut toujours pas évidemment puisqu'il n'a
toujours pas d'informations exploitables sur la vie de Janouch. Mais
un frisson l'a parcouru. Il n'y est pas allé de main morte. Le
frisson de la douleur. Et ça, il n'a jamais pu ni voulu d'ailleurs
l'oublier. Elle l'ignore. Elle veut l'ignorer. Il connaît ces
êtres-là. Ce sont ses préférés. Elle est dès la première
seconde devenue sa préférée.
Ceux
qui connaissent Flo se taisent aussi car ils savent qu'il vaut mieux
s'arrêter là ; le silence de Flo n'est pas bon signe du tout.
Et je vous assure que personne n'a envie que Flo s'énerve.
Et
puis, Jana sort du bureau, requinquée, prête pour l'après-midi.
Elle n'a presque pas besoin de manger. Elle s'est déjà nourrie.
Mais son corps est bien plus fort qu'elle, bien plus puissant et si
elle tente quoi que ce soit, il deviendra tyrannique. Elle y a
touché. Elle a poussé loin les limites. On l'a forcée aussi. Mais
il a toujours eu le dernier mot. Alors ils ont un consensus tous les
deux. Mais pour l'instant, il n'est pas encore vraiment elle.
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