dimanche 4 février 2018

La solitude nécessaire

         Malgré toutes les années et l'assurance acquise, elle craint toujours d'être volée. Nue. Elle se voit nue au milieu d'une cour encerclée d'enfants ironiques. Volée et prisonnière.
Elle en profite pour faire un petit tour sur internet, elle attrape les informations du jour. Elle pourrait le faire le matin avant de partir chez elle si elle en prenait le temps. Mais elle a fait un autre choix depuis quelques années. Elle pratique son yoga pendant une bonne heure. Elle ne peut plus s'en passer. Cela, elle l'admet oui. Cette drogue-là ne l'emprisonne qu'à moitié. Elle sait tout ce qu'elle y gagne. Bien sûr que personne ne sait cela non plus. Ils croient qu'elle est une dure au réveil. C'est drôle tant cela ne lui correspond pas. Elle n'a aucun problème pour se réveiller. Elle ne met même pas son réveil. A la bonne heure, son corps reprend vie d'instinct. Parfois trop tôt, c'est vrai. Quand elle est inquiète. Mais bref, elle s'informe pour la journée, elle lit quelques articles, regarde quelques vidéos. Elle voyage. Elle est dans un parfait bien-être alors. Si l'un d'entre ses collègues déboule à cet instant, elle le déteste. Un vrai mouvement de rage l'envahit. Mais elle le contient évidemment et elle reste impassible devant son écran comme si elle n'avait rien vu rien compris. Les autres reviennent toujours à pas de loup dans ces cas-là car ils sentent sans se le dire ni le savoir qu'elle pourrait les étrangler de la déranger dans ces minutes de pause solitaire. Elle fait régner une véritable terreur sur cette heure-là. Elle ne le sait pas. Elle dira qu'elle ne dit rien, qu'elle ne fait rien, qu'elle n'interdit rien à personne. Mais l'électricité dans l'air, pas besoin de son regard, est palpable. L'agressivité est bien davantage qu'un mot ou un geste. Une présence suffit. Elle méprise cette pensée. Pourtant elle utilise l'arme invisible. Elle est comme tous les autres, elle n'est pas très honnête. Bien sûr qu'elle n'est pas honnête. C'est même sans doute l'une des plus grandes menteuses par omission qui existent dans cette ville. Elle ne dit rien elle ne fait rien et haut les mains innocente ! Coléreuse surtout qu'on l'accuse d'être menteuse et malhonnête. Pourtant, c'est bien cela qu'elle est et que certains haïssent. Flo dit qu'elle se protège. Les autres lui répondent : « c'est une raison pour mentir ? Pour se servir des vies des autres et ne rien donner de la sienne ? » Flo se tait. Ils ont raison.
Mais il la comprend. Il veut surtout que personne ne l'attaque. Non pas qu'elle soit une petite chose fragile. Mais il a l'intuition presque féminine qu'elle l'est bien davantage qu'elle n'en montre. Avec son port altier, toujours bien mise. Toujours parfaite. Toujours en forme. Mais ses yeux la trahissent parfois. Flo est de parents psy, son père psychiatre et sa mère psychanalyste. Ils ne sont pas fous pour autant contrairement à ce qu'on lui rit au nez quand il l'explique. Ils ne sont pas tout à fait banals, sans aucun doute. Mais ils ont appris des tas de choses à leur fils qu'il ne vendrait pour rien au monde. Ils lui ont enseigné à lire d'abord et surtout les yeux des gens, à ne pas se fier ni au sourire ni aux lèvres pincées, à ne pas se contenter des mots mais à entendre les ton et timbre de voix, à ne pas voir les beaux vêtements mais la démarche qui parle de l'intérieur. Le premier jour, Flo a observé Janusa. Il a tiqué à son prénom. Il a déjà froncé les sourcils au premier mot qu'elle a prononcé. Il n'a pas caché sa franche surprise. Flo ne se cache pas, vous le savez déjà. Il n'a pas souri. Elle n'a pas souri non plus. Flo ne fait pas partie de ces gens qui se croient obligés de sourire. La Janusa n'était visiblement pas de ceux-là non plus. Ils se sont d'emblée trouvés sur ce terrain. Il a foncé sur les yeux. Elle l'a fixé droit sans ciller. Elle a fait comme s'il s'agissait d'un duel mais Flo n'a rien provoqué de cela. Il a le regard calme. Sans doute trop vite intelligent. Il a tout de suite entendu la douleur. Il n'a pas pu se l'expliquer. Il ne peut toujours pas évidemment puisqu'il n'a toujours pas d'informations exploitables sur la vie de Janouch. Mais un frisson l'a parcouru. Il n'y est pas allé de main morte. Le frisson de la douleur. Et ça, il n'a jamais pu ni voulu d'ailleurs l'oublier. Elle l'ignore. Elle veut l'ignorer. Il connaît ces êtres-là. Ce sont ses préférés. Elle est dès la première seconde devenue sa préférée.
Ceux qui connaissent Flo se taisent aussi car ils savent qu'il vaut mieux s'arrêter là ; le silence de Flo n'est pas bon signe du tout. Et je vous assure que personne n'a envie que Flo s'énerve.
Et puis, Jana sort du bureau, requinquée, prête pour l'après-midi. Elle n'a presque pas besoin de manger. Elle s'est déjà nourrie. Mais son corps est bien plus fort qu'elle, bien plus puissant et si elle tente quoi que ce soit, il deviendra tyrannique. Elle y a touché. Elle a poussé loin les limites. On l'a forcée aussi. Mais il a toujours eu le dernier mot. Alors ils ont un consensus tous les deux. Mais pour l'instant, il n'est pas encore vraiment elle.

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