Dès
lors, se formèrent deux clans clairement identifiés : parents
et aînée marchant dans les traces de ses géniteurs adorés ;nous
de l'autre côté, Pitayak et moi. Je ne réfléchis même pas à
cette composition et à un choix que j'aurais eu à faire. C'était
une évidence. Nous n'étions pas les uns face aux autres. Nous
étions pas non plus côté à côte. Nus étions loin et cela
convenait à tout le monde. Peut-être étrangement, notre père fut
celui que cela gênait le plus. Il tentait parfois de s'introduire
dans notre bulle. En vain. Nous étions barricadés, moi dans ma
colère, Pitayak dans son silence buté que je ne décryptais pas
encore mais qui s'avérait extrêmement efficace. Il faisait fuir
même le plus aveugle et le plus fou des pères. L'atmosphère devint
pesante dans la maison. Personne n'en dit rien. Les adultes qui
auraient pu ou dû n'en étaient pas vraiment. Ils étaient donc
parfaitement incapables de cela et suivaient, aussi adolescents que
nous, le mouvement de recul. Les tentatives de mon père n'étaient
pas, comme l'on pourrait penser, des tentatives de réconciliation,
de compréhension ou de résolution. C'étaient ses tentatives de
survie à lui. Il ne savait pas faire autrement que de survivre seul.
La famille était un accessoire social qu'il n'a jamais entendue dans
son entier. L'individu faisait loi pour lui, et surtout lui-même.
Enfin,
le malheur s'affichait au grand jour et, sans doute, Pitayak et moi,
sans le partager ouvertement, prenions un certain plaisir à salir
l'image menteuse de la belle famille de mon père, son petit bijou.
Ma mère n'était pas toute blanche non plus là-dedans et elle
dépérit à vue d'oeil en constatant que sa famille perdait tout son
éclat. Elle n'était presque pus rien après cela. Et elle se mit au
bout de quelques années, à détester mon père. Elle détestait
déjà Pitayak en partie. Elle y ajouta son mari qu'elle finit par
quitter sans elle-même savoir pourquoi ce dégoût et cette haine la
prenaient mais sûre d'elle et de sa décision. Mon père l'a laissa
partir. Il ne retint jamais personne, sinon Pitayak. Il ne comprit
rien. A son habitude. Il s'en trouvait probablement soulagé. Seul et
libre, sans responsabilité dans la séparation du couple. Le schéma
idéal. J'imagine tout cela. C'est ma perception subjective, sûrement
partielle. Mais c'est ce que je moi je vis et ma petite sœur aussi,
croyais-je. Je ne me doutais pas qu'elle était bien plus meurtrie
que moi, je ne voulais pas le voir ni le penser. A vrai dire,
personne ne pouvait le manquer mais out le monde faisait semblant,
pour ne pas souffrir, pour éviter l'effondrement fatal.
Ptayak
retenta deux, trois, quatre, cinq fois de mourir. Peut-être d'autres
que j'ignore. Elle finit par ne plus exister dans cette maison. Je
lui parlais, sans réponse, mais je l'aimais de toutes mes forces,
sûr que je la sauverais de cette manière.
A
16 ans, elle quitta le domicile familial, jamais foyer pour elle, je
ne peux me permettre d'utiliser ce mot sans lui faire affront. Elle
vogua d'amie en ami, déjà voguante et volante. Mes parents firent
croire que c'était sûrement mieux ainsi et qu'ils faisaient cela
pour son bien, respectant sa décision. Ils étaient apaisés, en
réalité. Je partis quelques mois plus tard à l'armée pour ne plus
jamais revenir dans cette maison haïe alors. Ma mère ne s'en remit
jamais. Je commençai alors à comprendre, loin des miens, ce qui
s'était passé durant toutes ces années et que j'avais eu beau
tricoté dans tous les sens, je n'avais pas su composer en histoire
cohérente. Cette famille était, de toute façon, une gigantesque
incohérence.
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