mercredi 8 novembre 2017

Chacun sa route


Dès lors, se formèrent deux clans clairement identifiés : parents et aînée marchant dans les traces de ses géniteurs adorés ;nous de l'autre côté, Pitayak et moi. Je ne réfléchis même pas à cette composition et à un choix que j'aurais eu à faire. C'était une évidence. Nous n'étions pas les uns face aux autres. Nous étions pas non plus côté à côte. Nus étions loin et cela convenait à tout le monde. Peut-être étrangement, notre père fut celui que cela gênait le plus. Il tentait parfois de s'introduire dans notre bulle. En vain. Nous étions barricadés, moi dans ma colère, Pitayak dans son silence buté que je ne décryptais pas encore mais qui s'avérait extrêmement efficace. Il faisait fuir même le plus aveugle et le plus fou des pères. L'atmosphère devint pesante dans la maison. Personne n'en dit rien. Les adultes qui auraient pu ou dû n'en étaient pas vraiment. Ils étaient donc parfaitement incapables de cela et suivaient, aussi adolescents que nous, le mouvement de recul. Les tentatives de mon père n'étaient pas, comme l'on pourrait penser, des tentatives de réconciliation, de compréhension ou de résolution. C'étaient ses tentatives de survie à lui. Il ne savait pas faire autrement que de survivre seul. La famille était un accessoire social qu'il n'a jamais entendue dans son entier. L'individu faisait loi pour lui, et surtout lui-même.

Enfin, le malheur s'affichait au grand jour et, sans doute, Pitayak et moi, sans le partager ouvertement, prenions un certain plaisir à salir l'image menteuse de la belle famille de mon père, son petit bijou. Ma mère n'était pas toute blanche non plus là-dedans et elle dépérit à vue d'oeil en constatant que sa famille perdait tout son éclat. Elle n'était presque pus rien après cela. Et elle se mit au bout de quelques années, à détester mon père. Elle détestait déjà Pitayak en partie. Elle y ajouta son mari qu'elle finit par quitter sans elle-même savoir pourquoi ce dégoût et cette haine la prenaient mais sûre d'elle et de sa décision. Mon père l'a laissa partir. Il ne retint jamais personne, sinon Pitayak. Il ne comprit rien. A son habitude. Il s'en trouvait probablement soulagé. Seul et libre, sans responsabilité dans la séparation du couple. Le schéma idéal. J'imagine tout cela. C'est ma perception subjective, sûrement partielle. Mais c'est ce que je moi je vis et ma petite sœur aussi, croyais-je. Je ne me doutais pas qu'elle était bien plus meurtrie que moi, je ne voulais pas le voir ni le penser. A vrai dire, personne ne pouvait le manquer mais out le monde faisait semblant, pour ne pas souffrir, pour éviter l'effondrement fatal.

Ptayak retenta deux, trois, quatre, cinq fois de mourir. Peut-être d'autres que j'ignore. Elle finit par ne plus exister dans cette maison. Je lui parlais, sans réponse, mais je l'aimais de toutes mes forces, sûr que je la sauverais de cette manière.

A 16 ans, elle quitta le domicile familial, jamais foyer pour elle, je ne peux me permettre d'utiliser ce mot sans lui faire affront. Elle vogua d'amie en ami, déjà voguante et volante. Mes parents firent croire que c'était sûrement mieux ainsi et qu'ils faisaient cela pour son bien, respectant sa décision. Ils étaient apaisés, en réalité. Je partis quelques mois plus tard à l'armée pour ne plus jamais revenir dans cette maison haïe alors. Ma mère ne s'en remit jamais. Je commençai alors à comprendre, loin des miens, ce qui s'était passé durant toutes ces années et que j'avais eu beau tricoté dans tous les sens, je n'avais pas su composer en histoire cohérente. Cette famille était, de toute façon, une gigantesque incohérence.

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