vendredi 3 novembre 2017

La famille implose

          En effet, un jour, je rentrai du lycée. Personne n'était censé être rentré sauf elle. Je lui annonçai mon arrivée en criant un joyeux bonjour. Joyeux pour tenter encore de l'animer, la réanimer. Joyeux, faussement. Son malheur était contagieux et nous étions si proches que je ne pouvais pas ne pas en être impacté. Je ne sais pas si elle en avait conscience. Connaissant la gamine, je doutais qu'elle soit assez naïve pour croire que son mutisme morbide n'eût aucun effet sur les autres membres de la famille. Surtout sur moi. Mais elle n'avait d'autre issue. Je l'ai toujours excusée, je n'ai jamais réussi à lui en vouloir. C'est aux autres que j'en ai voulu d'avoir été incapable, ces adultes de pacotille. Ce jour-là, je sentis d'emblée que quelque chose ne tournait pas rond. L'atmosphère, l'odeur de la maison, étaient encore plus froides et poussiéreuses que d'habitude. Comme si tous les vieux de la ville étaient descendus chez nous et avaient étendu leur présence malodorante. J'étais alors allergique aux vieux, j'étais répugné car ceux de notre entourage n'étaient que des personnages plutôt détestables. Mais cela ne tenait en rien à leur âge en réalité. Je le compris plus tard. Je cherchai Pitayak en l'appelant même si je n'en attendais pas de réponse, lucide. Vite, je me dirigeai vers sa chambre et j'ouvrai tout doucement en la prévenant que j'entrai. Elle était inconsciente, complètement relâchée, complètement livrée, à nu, sur son lit. Elle était pâle, plus que jamais. Un cri m'échappa. Je la secouai dans tous les sens, quitte à la blesser encore davantage. Elle était barbouillée de sang, comme si elle avait voulu faire une mauvaise plaisanterie, les bras dégoulinants et de la vomissure au coin de la bouche. Voyant qu'elle ne se réveillait pas, je lui hurlai dessus, habité de la croyance que la puissance de mon cri ferait son effet. En vain. Elle demeurait inerte. Une fois sûr du drame qui se déroulait là sous mes yeux, je me jetai sur le téléphone dans le couloir et appelait les pompiers.
La suite se passa comme toutes les suites de ce genre.
Je ne pensai pas même à prévenir mes parents. Ils arrivèrent pourtant, alertés par les voisins. Ma mère s'arrêta à quelques mètres du camion de pompier. Elle ne s'approcha pas. Elle laissa mon père évaluer l'ampleur des dégâts. Elle m'adressa la parole, agressive : « Tu peux me dire ce qui s'est passé avec ta petite sœur ? » Je la regardais, pour la première fois écœuré de sa réaction inaffective. Je la fixai avec dégoût et elle se rendit compte de son erreur mais c'était trop tard. C'est là que je rompis avec ma mère, pour le restant de mes jours. Elle le sentit mais ne voulut pas le comprendre. Nous entendions mon père pleurer et se lamenter sur le corps de sa fille. Comme s'il était innocent, comme s'il n'y comprenait rien. Et il n'y comprenait vraiment rien cet aliéné... Répugnant de déni et de bêtise. J'avais envie de vomir. Je m'éloignai donc et ma mère m'en fit le reproche. Je me retournai avec un regard digne de ma sœur. Je la fusillai. Je lui lançai tout mon mépris et elle en chancela.
Commença alors la descente aux enfers : Pitayak la traîtresse, la déséquilibrée égoïste.

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