Au
matin, il vint nous réveiller doucement. Il s'assit sur le bord du
grand lit. Il parla
d'une
voix calme. Je me réveillai aussitôt en enfant sur ses gardes. Cela
n'avait jamais changé et jamais je n'avais pu me réveiller sans
sursaut, sans une vive poussée d'adrénaline et, disons-le, la peur
de... quelque chose en tout cas. Je vis dans son regard qu'il était
surpris de ce réveil intempestif. Il reprit vite sa contenance
apaisante mais une inquiétude compréhensive s'installa dans son
attitude. Cet homme était d'une finesse étonnante. Je le fixai
quelques secondes car je découvrais une vie intérieure que je
n'accordais pas aux hommes, de coutume. Je les méprisais,
clairement. Mon père avait fait de moi un homme envieux des femmes
et de leur intelligence humaine, celle dont j'étais absolument sûr
qu'elle leur était réservé. J'en possédais malgré moi une part.
J'en étais fier et en même temps très embarrassé. Elle me mettait
au ban du clan de la virilité. Ou pour être plus juste, je me
mettais moi-même au ban de la virilité. J'étais un homme, le
déplorais mais l'incarnais relativement facilement dans mon corps et
au quotidien, dans le rôle social que je m'étais fabriqué. Mais le
noyau dur était tiraillé, toujours pris entre mon être réel et
mon désir d'être, improbable. Pour la première fois, (aussi sans
doute n'avais-je pas voulu voir ceux que j'avais pu croiser sur ma
route, histoire de valider ma théorie bancale mais structurante
malgré tout, mieux que rien, mieux qu'un tas informe) je rencontrai
un homme comme je n'osais l'imaginer plus avant, que je tuais dans
l’œuf de ma pensée avant même qu'il puisse répandre son venin
fatal sur mes repères fragiles. Mais la réalité me rattrapait.
M'attrapait dans ma course, la tête et les yeux virevoltant dans
tous les sens, comme un aveugle mais qui fuit la lumière et les
couleurs, me prenant la tête entre les mains et me la maintenant
fermement cette fois, stoppant la fuite plus fatale que salvatrice
sans que je le sache, sur cet homme qui mettait à bas toute ma
théorie fumeuse et ses conséquences. Qui aussi m'autorisait à
espérer et à cesser le feu.La guerre qui faisait rage depuis des
années et que je ne voyais pas finir avait désormais la preuve de
sa vanité et de l'existence de son issue pacifique.
Il
dut lire la reconnaissance dans mes yeux, même si je m'efforçais de
ne pas paraître ému. Contrôlant toujours, on ne savait jamais ce
qui pouvait sortir de mes entrailles, ce qui m'animer. Il me sourit
gentiment et ne dit rien. Il se pencha sur Pitayak et la réveilla en
lui caressant les cheveux. Ce geste n'avait strictement rien de
sexué, sexuel, même amoureux. Juste soin de nous, soin d'elle. Et
je saisis encore davantage ce qu'elle avait trouvé chez cet homme.
Ce qui l'avait apaisée, ce qui l'avait nourrie. Pourquoi
s'était-elle enfuie ? Elle avait fait en sorte qu'il demeure
dans sa vie. Sonnette d'alarme à disposition. Elle savais quelle
plus-value il y apportait. Elle avait sans doute calculé en ces
termes : rationnelle. Peut-être cela vous paraît-il froid et même
pervers. Mais Pitayak n'avait pas d'autres moyens de ne pas sombrer
dans l'émotion et s'y noyer.
Elle
se réveilla, complètement embrumée. Elle ne s'étonna pas de nous
voir ainsi tous deux l'entourer. Elle eut un tout petit rictus,
épuisé. Elle avait dû bien plus d'une fois se réveiller elle ne
savait où, elle ne savait avec qui. Elle dit : « les deux
meilleurs hommes que je connaisse me protègent. Je ne crains plus
rien. » Et elle se rendormit.
Nous
nous regardâmes tous les deux et rîmes de conserve de soulagement
et de fierté.
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