samedi 14 mai 2011

Déracinée

  Pas de racines. Me voilà à nouveau en ces minutes où rien ne m'ancre, où je peux m'envoler au gré des vents et des désirs de chacun. Je sens cette dangereuse légèreté, je suis décrochée, sans filet, en péril maximal. Je n'ai personne à portée de main à qui m'accrocher. De toute façon, ce n'est pas cela dont j'ai besoin. Ou alors, un de ces humains racinées, un de ceux qui tiennent quoi qu'il arrive et sur lesquels les vents et les désirs laissent certes des marques mais finalement passent sans être parvenus à les défaire. Je cherche un racineux en vain. Aujourd'hui je ne peux compter que sur moi, sur ce que je sais et sur ce que j'ai appris. J'essaye de me rappeler : se détendre, ne pas résister, ne pas s'agiter, ne pas crier. Je sais que je ne crierai pas de toute façon, je suis beaucoup trop légère pour crier. Ce que je ressens si fort c'est ce vide en dessous de moi. Cela me rappelle ce rêve qui revient si souvent où je suis au bord d'une falaise, juste au bord, prête à tomber, être poussée, me jeter, je n'en sais rien. Je suis sur cette minuscule corniche et je vois s'ouvrir sous mes yeux un immense canyon sans fin. Il y fait de plus en plus sombre et je ne peux pas en distinguer le fond. Dans ce rêve, je suis d'ailleurs persuadée qu'il n'y a ni fond, ni fin. Il ne faut pas que je tombe et en même temps, j'en suis au plus près. Alors, je ne conçoit plus même l'existence d'une racine, d'un lien qui me retienne au sol. Je suis absolument déracinée. Je repose sur le sol, sur la terre sableuse et je ne fais qu'être posée là, comme une poupée qu'on pourrait mettre n'importe où et qui elle-même n'adhère nulle part. Peut-être qu'elle ne le veut pas de ce lien. peut-être qu'il lui fait peur. Ai-je peur de m'enraciner, de ne plus pouvoir bouger une fois nouer ce lien à la terre, à ma terre ? Je n'y ai jamais pensé avant. Jamais alors que cette idée est si simple. C'est évident. Je préfèrerais alors cette horrifiante inanité à une certaine lourdeur ? J'accepterais tacitement, inconsciemment ce sentiment de ne plus m'appartenir pour ne pas être accrochée, ne pas être prisonnière de mes racines ? Quelle bêtise ! Quelle douleur inutile et stupide ! Parfois, je m'envole, on m'envole, je n'en sais rien. Je doute de mon rôle dans tout cela. Je suis dans l'air, je ne touche plus terre, je suis en suspens et suis la marionnette soumise de qui veut. J'ai le vertige et je me retiens de vomir, je m'élève et je tourne et retourne selon les courants dans une révoltante impuissance. J'ai la tête en bas, les pieds en l'air, le monde n'a plus de sens. Je ne peux pas m'habituer à cela. Je ne le peux pas. J'essaye de ne pas paniquer, je dis que j'ai l'habitude et que j'attends de retrouver le sol sous mes pieds mais c'est faux. C'est toujours le coeur qui bat la chamade, le sang que j'entends circuler dans mon corps, l'impossible idée d'un être entier. Déracinée, démantibulée, je perds mon corps et mon âme, je me sens mourir. Et là, voilà ce à quoi il m'est impossible de m'habituer. Je disparais, je n'existe plus et je le sais. Cet immonde paradoxe définit dès lors mon univers. L'improbable conscience de ne plus exister. Je ne dors pas, ne suis pas plongée dans un quelconque coma, je suis là pour me regarder ne plus être. Qui rit ? Qui pleure ? Peut-être moi et encore moi. 
   Je me demande toujours comment les autres peuvent ne pas voir que j'ai la tête à l'envers, le bras à la place du ventre et qu'il me manque une jambe ou que je fonds comme de la cire et me désagrège. Cela dépend des jours mais je ne comprends pas, je bute sur leur cécité. Ils ne le font pas exprès, je le sais parfaitement mais je ne comprends pas. C'est peut-être que je suis déjà invisible et que la mort me cache. C'est vrai, je ne me sens plus exister, comment les autres le pourraient ? Voilà la rationalité qui m'aide à saisir le sens mais, la tête en bas, lorsque mes cheveux lavent le sol, je suis aveuglée par l'espoir d'être vue. Je me rends compte combien cela est impossible.
  C'est vrai, je l'avoue, on m'a déjà proposer des racines, d'aucuns m'en ont prêté et je n'ai pas osé. J'ai eu peur, elles n'étaient pas miennes, je ne les avais pas fabriquées moi-même, je n'en étais pas l'exclusive propriétaire, je les ai délaissées. Je n'ai pas compris que chacun n'a pas ses racines, les siennes propres. J'ai cru que je devais créer mes racines, travailler pour parvenir à construire mon sous-sol., ex nihilo. Je me suis trompée, je le sais désormais. les racines se partagent, elles sont prêtées, rendues, métamorphosées, elles ne sont jamais pures. Je n'aurai jamais rien de purement moi. Je l'ai su un jour et puis, j'ai voulu croire le contraire. J'ai voulu croire à ma puissance : j'en ai éprouvé la plus profonde impuissance, la fragilité suprême.  Les racines sont faites pour se mêler, je n'aurai jamais mon territoire, moi unique et absolue détentrice. Non, ainsi ne va pas le monde. Je me perds à vouloir prouver mon pouvoir. 

Ouvre honnêtement et réellement ta coquille et accepte mélange et entremêlement, disparition du pur destructeur.

mercredi 11 mai 2011

Les Gris

   Je ne suis pas de ceux qu'on aime, ceux qui au premier coup d'oeil suscitent une attirance, une répulsion. Je suis de ceux qui demeurent sur le bord et qui regardent. Je les regarde s'aimer et se détester. Parfois, j'en ai la nausée : j'ai l'impression d'être sur des montagnes russes. Je m'amuse à les observer. je ne me repais pas de leurs souffrances, ce n'est pas là que je veux en venir. Cela ne me fait pas plaisir, pas plus que cela ne m'émeut, je l'avoue. Cela m'intéresse. 
   Au début, je me suis démené pour être de ceux qu'on aime. Je me suis battu. Je voulais comme eux, aimanter ou répugner ceux qui m'approchaient, ceux que j'approchais. Mais cela n'a jamais fonctionné. Je n'ai ni plus ni moins en moi ; je suis parfaitement neutre. Je l'ai compris aujourd'hui : je suis gris, à la lisière, vivant et invisible. Les gens me passent devant, dessus, me disent bonjour, au revoir. Eh oui, certains me parlent ! mais ils m'oublient aussitôt. Je suis vivant, je me sens et pourtant je n'existe pas. Je suis pour moi seul, voilà tout. Je vous l'ai dit, comme tout le monde, j'ai lutté pour l'amour et la haine et puis je me suis calmé et j'ai regardé ; j'ai appris à rester à ma place, à la lisière. Vous vous imaginez sans doute une vie terriblement ennuyeuse. Détrompez-vous. Je suis vivant à travers vous et vos incompréhensibles errances.J'en suis parfois tout démuni, tant le sens est obscur. D'autant que restant à la lisière, je peine souvent à m'imaginer les méandres de vos raisonnements et des mouvements qui vous animent et donnent à des actes dont le cryptage me donne à penser. Je démêle les pourquoi et les comment. 
     Les gens comme moi ? Nous nous croisons, courtois les uns envers les autres mais nous ne nous intéressons pas nous-mêmes. Il n'y a en face de nous qu'un être gris qui nous ressemble bien trop. Ensemble, nous dépéririons, notre grisaille nous grignoterait jusqu'à l'os. Nous le savons tous et nous en préservons en gardant nos distances. La principal est que nous n'oublions jamais que nous ne sommes pas seuls à la lisière, que nous formons un groupe malgré tout. Et cette idée suffit à combler notre solitude. Ceux qui ne s'en accommodent pas tentent de se lier aux leurs, à nous, en vain. Et puis, systématiquement, ils se jettent chez les aimants, ils quittent la lisière et rentrent chez les autres. Ils essayent encore de se lier par amour ou haine mais leur transparence les en empêche et le désespoir de ce constat les emporte. Etre gris est un destin. Il en va ainsi.
    Certains aimants nous aperçoivent parfois, je vous le disais, ils nous saluent même, mais ils ne s'approchent pas trop : ils nous regardent à leur tour, toujours éberlués de nous découvrir là, à l'orée de leur monde.

lundi 9 mai 2011

A ceux qui savent sourire ; à toi Martin

     J'attends toujours avec impatience le moment où tu souriras, celui où tu riras. Tu me captures de tes pupilles, tu me tiens parce qu'elles promettent ce sourire enivrant. Chaque fois que je dois te voir,Apparaît dans ma tête cet indescriptible sourire. cela me fait mal tellement ça m'émeut, ma poitrine se fait douloureuse comme si j'étais fiévreuse, comme dans les romans d'autrefois. Poignante, ma poitrine est prise. 
     Tu fais partie de ces rares et brillantes personnes qui se changent et me changent quand elles sourient. Tous vos traits se détendent, vos yeux sont entièrement vrais, comme si l'on pouvait voir jusqu'au plus profond de votre âme. Vous avez les yeux complètement ouverts, vous êtes à nu. Et l'on ne peut que baisser les armes face à cet aveu spontané de pure humanité. Je me sens fondre de l'intérieur, je n'ai plus besoin de tenir. J'en suis démunie. Comment dois-je m'y prendre si je n'ai plus à me battre contre vous, contre toi ?
    Je passais des jours, des semaines, prête à l'attaque. j'étais envahie, assiégée. Et j'avançais, sourcils froncés, déterminée et terrifiée. L'habitude était venue. Je ne croyais en rien d'autre, je n'y pensais même pas. J'étais perdue dans mon monde de monstres. Et puis, à chaque fois surprise par ce tour de passe-passe, je me pétrifiais devant ton visage éclairé de ton sourire presque trop franc, presque trop généreux pour mes barricades. Les bras ballants, je me sentais stupide. Comment faisais-tu pour mettre tout ton être dans ce sourire que tu donnais ? Je ne comprenais pas, j'étais mal à l'aise et je n'aspirais qu'à ce monde que tu me laissais entrevoir.
  A toi d'abord, mon frère, merci de m'avoir souri, droit dans les yeux, à moi, à mon moi encore inconnu, caché, peureux, celui que tu me prêtais de toi, comme pour me montrer la voie. Ce sourire, je le garde précieusement, il est dans un coin de ma poitrine, de mon esprit et souvent, je le regarde pour ne pas oublier ce à quoi je rêve. Tu n'as pas eu besoin de dire ni de savoir autant de choses que les autres. Sans en avoir conscience, tu as eu le sourire et le regard qui font revivre. Ceux qui m'ont fait sentir être quelqu'un, être une vraie, comme vous.
  A vous autres aussi qui, au moment le plus inattendu, donnez ce sourire. Vous êtes rares, vous ne le savez pas mais vous réchauffez quand votre visage se métamorphose pour devenir pour quelques instants, absolument authentique. C'est comme une âme sans aucun atours que vous livrez et qui, toujours, me redonne envie d'avancer, rien que pour ressentir à nouveau cette sérénité que vous portez.

dimanche 8 mai 2011

Béance

Cette espèce de trou noir où plus rien n'apparaît avec une forme quelconque, où tout se confond, chacun est l'autre, plus aucune balise. Mes yeux sont grand ouvert et je ne distingue rien, je vois et ne distingue pas, mon esprit est aveugle, il ne sait plus rien, il est happé par la profondeur du néant. J'essaye de le diriger, de le reprendre en main, de l'aider, de le guider avec ce que je crois bien connaître depuis le temps que nous sommes ensemble. Et rien ne lui ouvre la voie. Il s'embourbe et m'entraîne avec lui, je chute, je crie, j'ai crié au début et je me suis accoutumée à cette horrible cave sans fond.
      J'ai toujours aimé les caves, précisément par ce qu'elles étaient au fond, elles étaient la fin, elles étaient cachés, j'y étais en sécurité. Là, c'est une fausse cave, une cave truquée. Souvent, je m'engouffre dans une nouvelle cave et je prends le risque du fond qui m'attend. J'ai appris avec l'expérience que ce fond m'apprenait souvent des choses, qu'un cul de sac n'est jamais innocent, qu'il nous apprend quelque chose, nous le donne à voir. Toute cave a son fond, son miroir propre. J'ai compris, avancé grâce à ces sombres tunnels et ces caves effrayantes de prime abord qui devenaient une nouvelle richesse pour moi si je prenais le temps de m'asseoir dedans, de m'y appuyer aux murs, de me regarder dans ses parois reflétantes, de comprendre ce qui m'avait finalement menée là. Si je ressortais sans trésor, je savais que je n'avais pas eu le courage d'aller jusqu'au fond ou qu'il n'était pas encore temps pour moi. Je note les caves à revoir, à revisiter et je sens le jour venu que je pourrais comprendre ce qui m'avait échappé la première fois.
     Aujourd'hui, quelle est cette cave ? Est-ce une de mes caves habituelles ? Habituellement, mon esprit saisit et me conduit de lui-même vers ce qui d'un autre côté me fait frémir de peur. Ce n'est pas une cave, c'est un trou, un sombre puits sans issue où je me suis fourvoyée croyant à une cave d'une nouvelle sorte, une cave que je n'avais jamais osé approcher. J'ai cru à une chance nouvelle, à autre chose sans savoir quoi. J'ai voulu croire, serait plus juste. Les caves que j'ai connues n'étaient pas bien accueillantes, pas bien chaleureuses, rien de bien attirant d'emblée ; et puis elles le devenaient, elles prenaient formes et couleurs au fur et à mesure que je comprenais, qu'une nouvelle partie de mon cerveau et de mon coeur s'ouvraient et naissaient en moi. Me voilà dans un trou sans fin, une cave qui ne m'est pas destinée. J'en sortirai coûte que coûte et mon esprit reprendra pied et retrouvera ses repères et ses amours. Aujourd'hui, ce n'est pas mon esprit qui me tiendra la main ; je donne cette fois-ci ma confiance à mes tripes. Je les balaye souvent d'un méprisant geste de refus. J'apprends depuis hier à les écouter : c'est peut-être le message du trou sans fond. Peu importe les pourquoi et les comment, je les écoute et me laissent animer par elles. Elles me sortiront de cette béance et me ramèneront sur la voie où mes pieds sentent le sol et où mes yeux voient ce qui les entourent.

Là où je ne suis pas seule comme je croyais devoir l'être.