dimanche 11 décembre 2011

Prière

  A Toi dont on dit que Tu nous a créés, à Toi là-haut qui peut-être n'existe même pas et qu'on ne voit jamais.

Qu'as-tu fait ?
Comment as-tu pu te tromper autant?
Comment as-tu pu laisser naître des créatures qui ne connaîtront que souffrances ?
Es-tu stupide ? Sadique ? T'étais-tu endormi ?

Tu ne peux pas faire cela, je ne peux pas Te laisser faire cela. Tu fais souffrir et si Tu es là, Tu es responsable de l'ineffable douleur de ceux qui jamais n'en voient la fin. Je T'accuse de tout mon coeur, déchirée de toutes parts et grossièrement recousue par Tes émissaires ici-bas.
Si Tu es bien ce que l'on dit... Non ! Tu ne peux pas être ce que l'on dit de Toi, sinon je n'aurais pas à vociférer ma rage. Tu n'es qu'un imposteur qui laisse moisir certains jusqu'à perdre tout espoir, jusqu'à se donner la mort.
Dis-moi, Tu les regardes se tordre de douleur dans l'implacable moule que Tu leur a façonné ? Ca Te fait plaisir ? Tu prends Ton pied ? Ou alors comme leurs chers congénères, Tu Te caches les yeux, Tu détournes pitoyablement le regard pour n'admirer que ce qui est beau, ce qui Te plaît, ce qui ne peut que plaire ? S'il en est bien ainsi, tu es aussi petit que chacun d'entre nous, tu n'es pas meilleur.
Tu nous a abandonnés, tu t'es contenté de mettre la machine en route. Tu nous a lâchés, comme le premier humain venu. J'ai honte pour toi.

samedi 5 novembre 2011

La Folie Noire

   Ce soir-là, c'était un de ces terribles soirs où je me demande si même dormir m'apaisera., si mon sommeil ne sera pas un simple sas d'inconscience avant le réveil de la douleur. Je n'ai mal nulle part, je me porte bien mais je crains que mon réveil n'ouvre la porte à chaque part d'âme que contient chaque morceau de mon corps.
  Ce soir-là, je me tiens bien, comme il faut, souriante et serviable. Je leur montre ce qu'ils aiment à voir. Tout va bien. Et derrière cette jolie devanture que, j'avoue, j'apprécie autant que les autres, se terre la Folie Noire.On dirait que moi et d'autres frères et soeurs, elle nous a choisis cette Folie Noire. Quand se décide-t-elle ? Quand s'immisce-t-elle ? Comment peut-elle être plus forte qu'une mère aimante ? que des amis chaleureux et toujours compréhensifs malgré la répétition ? Heureusement que ceux qui aiment sont là, malgré la Folie Noire.

      La Folie Noire est là. Elle est toujours là, même quand le sourire est irrépressible. Elle se terre, là, derrière, au fond. Pas véritablement cachée, elle n'en a pas besoin, elle sait qu'elle sera la plus forte.
Elle est noire comme une cave où personne n'oserait s'aventurer, pas même les adultes, bien qu'ils ne l'admettent pas. Noire comme la cave de nos cauchemars les plus angoissants, humide, froide, sombre, remplie de tous les vieux objets dont on n'a jamais voulu se séparer mais qu'on n'a jamais réussi à aimer. Ces objets qui nous font peur eux aussi, comme s'ils pouvaient se venger de n'être pas chéris. Cette cave, personne n'y descend. Qui, volontairement, traverse les miasmes du passé, ces relents qui jamais ne finiront, ils l'ont promis ? Qui fait cela ? Personne, bien entendu, sauf peut-être les beaux pompiers cuirassés et protégés par leur savoir-faire et leur expérience. Même eux doivent reprendre leur souffle parfois. C'est une cave inhumaine. Les objets noirs en ont pris possession ; les pompiers savent tenir en respect les silencieux habitants de ce sous-sol. Mais ils ne les font pas disparaître. Pourtant, comme on aimerait qu'ils le fassent comme le feu et que la noirceur tombe sur le sol, abattue, s'avouant vaincue et nous laissant enfin libres. Parfois, les grands-parents, eux, ils y arrivent. Ils en ont vu des choses et nous, on ne les soupçonnait pas, eux qui s'enflamment pour 'Les Chiffres et les Lettres", capables de faire face sans cuirasse à ce qui suscite un tel frisson terrifié et inavoué chez tout un chacun. Et ils s'y engagent sans peur, regardant droit dans les yeux la Folie Noire qui sur eux n'a plus prise. Ils sont agaçants, ces vieux, ils faut tout faire pour eux, ils se plaignent, ils ne comprennent rien au monde ! Eh bien si ! ils en comprennent l'essentiel. Ce qui nous interroge déjà et les interroge encore. Et sans le dire tout haut, oui on est bouche-bée devant ce sursaut de courage et d'humanité.
La Folie Noire elle ne dit pas un mot. Mais peut-être qu'ils entendent quelque chose eux, les grands-parents, les vieux sourdingues auxquels il faut tout répéter ridiculement. Moi, je n'entends rien, je ne sais pas, je ne sais pas encore peut-être. Mais ce que je sens, c'est que la Folie Noire, elle se nourrit de mort. Elle est enfouie en moi, au creux de mes entrailles et elle attend mes pensées de mort. Parfois elle a très faim et la Faucheuse ponctue mes journées. A d'autres moments, un pompier me vient en aide et la ligote pour un temps, la mort s'éloigne alors. Mais elle se défait de ses liens et je sais parfaitement qu'elle est encore là. Le beau, le gentil pompier aussi le sait. Il accepte son impuissance et il revient, régulièrement.
La Folie Noire, elle est noire oui mais pas d'un noir franc, opaque, un noir qui s'afficherait comme tel. Elle est noire comme un étang malsain, elle se moire de teintes verdâtres répugnantes puis de gris brillants, d'anthracites profonds, de bleu-roi plein de faux-espoirs. Elle est vile et mesquine. Elle peut même se grimer de blanc et de gris argenté et lumineux vers lequel on va spontanément. Même si l'on se méfie, elle peut tromper.

     Mais là n'est certainement pas le pire. Le pire, c'est de la voir telle qu'elle est : vide, fabriquée de toutes pièces par un cerveau malade. La Folie Noire est noire de vide et de rien. C'est ce qu'elle est et qui reste inimaginable si, jamais, elle n'est parvenue à rentrer chez vous. 

La Folie Noire est noire de vide et de rien.

vendredi 28 octobre 2011

Rêver

A Martin 

  Tu as été celui devant lequel je m'émerveillais durant toute mon enfance. Nous n'avions pas vraiment de lien, nous vivions sous le même toit et tu étais celui qui faisait battre mon coeur de toute petite fille. Déjà, je m'en voulais de m'émerveiller, déjà, eh oui ! je ne voulais te trouver si beau, si drôle, si délicat et pourtant c'est tout cela qui me captivait chez toi. Cela n'a pas duré que le temps de l'enfance tendre, cela a continué encore et encore, pendant des années. Tu étais mon prince secret, je voulais que le monde te ressemble. Je ne le disais à personne, j'avais trop honte mais tu étais la perfection à mes côtés, la perfection que je n'atteindrais jamais. Nous nous parlions très peu et cela me semblait plus que normal : je ne faisais pas partie de ton univers, j'étais trop petite, trop insignifiante et bizarrement,, trop brune. Ta blondeur me fascinait et je ne rêvais que de ne pas être cette petite fille aux cheveux si foncés et aux yeux noirs. Je rêvais d'accéder au cercle fermé des princes et des princesses blonds. J'étais parfaitement consciente de l'impossibilité de mon rêve, je n'avais que 5 ans mais je savais que jamais je ne serai une blonde fascinante qui habiterait la même planète que toi. Je n'étais pas assez et toi tu étais parfait. Je t'admirais de loin, honteuse de cette admiration et de moi, strict opposé de toi. Souvent je te regardais en catimini, tu n'aimais pas ça. Je croyais que c'était parce que je n'étais pas de ton monde et que je ne devais pas trop m'approcher de ce qui était trop beau pour moi. Lorsque tu me parlais, j'étais comme hébétée, je me sentais idiote, faible, incapable et la plupart du temps je bafouillais quelque chose que j'essayais d'être le plus intéressant possible. Peine perdue. Je te faisais rire mais je ne trouvais pas ça drôle du tout. Je me sentais humiliée et encore plus brune qu'auparavant. J'ignore encore aujourd'hui d'où me venait cette idée de la supériorité de la blondeur. C'était néanmoins une évidence pour moi à ce moment-là. Et pendant de longues longues années par la suite. Suis-je guérie ? Je n'en sais rien, je n'en suis pas bien sûre. Mais tu es moins blond, alors je ne cherche plus de réponse ! Et je n'ai plus 5 ans, cela m'aide je crois...
    Et puis un jour, j'ai appris que tu t'inquiétais pour moi. J'avais grandi, toujours habitée de cette immense admiration face à toi, toujours interdite quand tu m'adressais la parole, toujours aussi brune. Ce jour-là, mon monde a été bouleversé. Je n'y croyais pas ; tu t'inquiétais de moi. Je n'ai pas compris tout de suite, je n'ai pas cru tout de suite. Il m'a fallu l'entendre plusieurs fois. 
Je n'étais désormais plus la même à mes propres yeux. J'avais une valeur. Ton regard m'importait plus que celui de n'importe qui. Et puis, un lien s'est tissé entre nous, un vrai et beau lien. Un lien qui ne cassera jamais. Absolument jamais.C'est le lien qui m'a sauvée de la bouge où je pataugeais .Je suis toujours aussi brune, toi un peu moins blond, je l'ai dit, mais nos deux univers n'en étaient en fait qu'un seul et même.  En tout cas désormais. Et j'ai dû vivre plusieurs grandes années d'échanges et de preuves d'amour pour y croire vraiment.

     Aujourd'hui nos mondes se sont rejoints et sont même si proches ! Et cette admiration, cette fascination de petite fille n'a pas complètement disparue, je l'avoue, non sans quelque gêne. Gêne oui mais aussi plaisir. J'ai voulu effacer, éradiquer cette enfant qui t'aimait trop à mon goût. J'ai voulu la laisser derrière moi. Je suis aujourd'hui heureuse qu'elle ait résisté à mes attaques et que mon rêve d'enfant soit intact. Je n'étais pas une enfant ni une adolescente qui rêvent, je ne le suis toujours pas en tant qu'adulte. Mais ce rêve-là, il est en moi.  J'en ai au moins un et je le garde précieusement malgré les bourrasques de la vie. A moi, d'apprendre à rêver encore davantage, encore plus loin dorénavant, à moi d'accepter les incongruités du rêve : blond, brun...



lundi 24 octobre 2011

Perdu

On a le coeur brisé, le coeur arraché, non, pas encore arraché, il tient tjs à un fil et on attend que ce fil se casse enfinpour que ce coeur si lourd tombe et s'échoue enfin libre à nos pieds. On aimerait bien l'arracher ce coeur, en finir avec sa douleur et son effarante résistance. Mais on ne le fait pas, on ne le fait jamais. Pourtant, ce n'est pas l'envie qui manque, mais quelque chose, un indescriptible cran nous arrête dans cet accès de rage contre le coeur en pièces.
Le réparer ? Qui ? Comment ? On n'a toujours pas la réponse. On a longtemps été prête à l'accueillir ce mécanicien du coeur. L'horizon est resté vide et on a cessé d'attendre. On croit qu'on a aussi cessé de vouloir réparer. C'est mieux comme ça.

Mais lui, le coeur, un jour, il s'est aperçu qu'il n'était pas tout seul à faire n'importe quoi, à être n'importe qui. Il y avait aussi celui qui nous nargue tous, ce soi-disant chef d'orchestre de l'humain ultra-moderne et adapté. Ce cerveau n'en avait que l'habit. Il était déchiré en-dessous, comme le coeur, en lambeaux, usé, abîmé, malformé et plein de bonne volonté malgré son arrogance.

Les deux compères se sont rapprochés, quittant leur solitude souffrante. Ils s'entraident quand ils le peuvent. Sinon, ils luttent pour survivre et ne pas complètement se désagréger, chacun de son côté, sans jamais s'en vouloir de ce passage à vide dans leur amitié. Ils savent que c'est bien la même chose qu'ils vivent. Alors, ils ne peuvent que se comprendre.
Quelquefois, ce sont les deux en même temps qui surnagent, étouffant, étouffés. De plus en plus souvent d'ailleurs ; alors on est couché, paralysé, les yeux vidés jusqu'à ce que l'un des deux retrouve une forme, même une petite forme, minuscule avorton mais du moins, un petit quelque chose qui pourra à nouveau grandir. Quelque chose est mort en soi.
Ce petit quelque chose, ce qu'il semble ridicule quand le jour est clair. Et c'est pourtant bien lui qui, à chaque fois, nous sauve et nous resauve. J'y crois à cet avorton d'être, d'artères, de neurones, de vie. J 'y crois encore. Il est comme le Phénix : toujours, absolument toujours il renaît de ses cendres. Il mature, parfois en une journée, parfois en une semaine. Cela dépend de l'attaque qu'il a subie. On l'a vu revenir du fin fond de soi-même, sans l'avoir soupçonné.
On s'était complètement perdu.

dimanche 16 octobre 2011

Faux

Elle n'est pas d'ici, ce n'est pas sa terre, ce n'est pas son monde. Elle n'est pas fabriquée pour ce sol-ci, ces gens-là. Elle regarde à côté, au-dessus, derrière. Tout tend à lui faire penser qu'elle n'est décidément pas d'ici.
   A ses côtés, que voit-elle ? des humains, des vrais qui rient, avancent chaque jour donnant (à qui ?) l'effort nécessaire pour revenir chez soi la tâche achevée. Elle, elle n'achève pas, elle ne commence pas, elle n'essaye pas. Inutile cet effort de vie. Elle n'est pas encore dans le bain, cet effort n'est pas le sien, il appartient aux autres, elle ne sait qu'en faire. Elle le regarde à l'oeuvre chez les autres. Elle dirait qu'il est inhumain, encore faudrait-il qu'elle soit sûre d'être humaine, d'être comme eux. Cette évidence est loin d'en être une pour elle. Il existe peut-être différentes sortes d'humains ou d'humanoïdes, peut-être qu'ils font semblant eux aussi ou alors ils ont leur planète à eux, qu'elle ne connaît pas. C'est peut-être la sienne. Mais tout ça, elle n'arrive pas à le savoir. Elle fixe l'eau où il y a bien longtemps qu'elle aurait dû plonger si ce satané espoir ne l'avait pas fait s'agripper. Est-ce de cette eau trop vivante, comme eux, trop différente, dont elle avait peur cette grand-mère ? Elle aussi était de cette espèce cachée de faux Terriens ? Elle descend de cette grand-mère et de ces êtres qui ne rentrent jamais dans le bain de la vie. Si, ils y rentrent, ils y sont bien obligés mais une fois qu'ils ont revêtu la combinaison complète où plus rien d'eux n'apparaît et avec laquelle ils sont parfaitement certains de ne pas pouvoir aller sous l'eau parce qu'ils y resteraient pour toujours, tranquilles enfin.
Ceux et celles qui la précèdent ont presque tous évité ce bain et s'ils 'y sont trouvés sans protection, ce fut bien malgré eux. On les y a jetés, ils y ont glissés, peu importe. Ils ont dû lutter contre le monde sous-marin qui les appelait tendrement. Et elle, oui, elle est à leur image, elle est leur fruit . Tout comme eux, elle reste au bord. Elle regarde bien la surface, elle la connaît par coeur et elle la déteste en même temps qu'elle est aimantée vers ses profondeurs. Elle raconte souvent cela, à ses prédécesseurs. Elle essaye de partager ce tiraillement. ils l'écoutent, elle voit dans leurs yeux quelque chose de plus vivant que d'habitude mais ils sourient à l'écoute de ses "divagations". Ils n'admettent pas, ils en sont incapables, une chose de plus dont ils sont incapables. Les fameux vieillards qu'il lui faut respecter, ces vieux dont il faudrait accepter le prêche. Ils ne sont pas plus capables qu'elle, et aveugles qui plus est. Elle a au moins cela pour elle. Pour ou contre elle, elle se le demande tous les jours. Est-ce que cette clairvoyance la console ? Non, certainement pas, elle a l'habitude, elle est comme ça.

Elle attend sa planète, ses profondeurs à elle et à ceux de cette famille des Faux. Elle ne la cherche plus coûte que coûte. L'effort a là un sens oui mais pas de fin. Elle s'est découragée de pouvoir trouver ce qui lui manque. Elle rêve de cette belle planète où elle sera chez elle et sa famille de Faux avec elle.

Ceux qui seront toujours là

 Il y a toutes ces personnes qu'on aime tellement qu'on a l'impression que notre coeur va éclater, exploser comme une bombe et se répandre en mille morceaux si on se risque à les aimer davantage. Parfois, on aurait presque envie de ne plus les aimer, plus les connaître tellement cet amour fait autant de mal que de bien.
Même si on ne les voit plus,; pas ou peu, ils sont là, comme des empreintes, ils ont laissé leur trace bienveillante et bien plus encore, ce sont eux qui nous constituent, qui nous structurent. Ils sont nos mains qui demandent, nos bras qui serrent ou s'agitent, paniqués, nos jambes qui courent à perdre haleine, pour oublier, nos oreilles, nos yeux, notre bouche, notre voix, tout ce qui nous lie indéfiniment aux autres. Ils nous ont faits, ils nous ont fait pousser, fleurir et ils continuent chaque jour de nous faire vivre, de nous faire relever la tête et regarder devant. Quand, vraiment, tout est trop dur et froid, ils sont là, ils se massent derrière et autour de nous dans leur plus grande générosité, nous donnant le courage de ne pas abandonner, empêchant nos bras de retomber inertes le long de notre corps, même si nos yeux pleurent amèrement la douleur du jour.

J'ignore si vous autres savez dire cela, le dire comme cela est. Moi, je sens ma parole ridicule ; elle s'évanouit comme toutes les autres sans revêtir l'essence que j'aspire à leur donner, l'essence du don qu'ils m'ont fait et qui ne cessera jamais. Je suis incapable de dire comment ils me donnent mon poids, comment ils font de moi une personne. Je ne peux que l'écrire avec les mots, les phrases qui seuls parviennent à me hisser là où je peux exprimer cette chose absolument vitale.

Ces hommes et ces femmes, on ne les remercie pas. Ca n'a pas de sens. Ca n'est pas qu'on leur doit, un merci. C'est comme le chirurgien qui aurait réparé notre coeur cassé et capricieux. On ne le remercie pas, on le regarde, on parle de lui, on pense à lui, on prie pour lui mais pas de "merci" clownesque et absurde.
Quand on se retourne et quo'n voit comme ils ont surgi, on se rend compte que la première fois qu'on les a vus et sentis, on a été traversé comme d'un fugitif éclair, d'une décharge qui nous a rendus plus vivants ou même qui a rendu la vie.

A toi Maman, qui m'as bercée, consolée, serrée et m'as appris la tendresse infinie.
A toi Martin qui m'as ouvert le coeur alors que j'avais pris le parti de le fermer, toi qui m'as appris l'intelligence des mots.
A toi Béatrice, qui m'as donné sans compter et sans retour, toi qui as été mon socle alors que je me désagrégeais.
A toi Marie qui m'as attendrie et rendue plus humaine, toi qui m'as appris à faire le choix de la bienveillance quoi qu'il en coûte.
A vous, Isabelle, qui avez réanimé l'enfant en moi et qui m'avez appris à croire en ce que je détenais et à me battre, vous qui m'avez aimée comme votre fille.
A toi Ludo qui m'as parfaitement respectée, toi qui m'as fait sentir que j'étais une vraie personne et cela, sans jamais rien exprimer ou presque ; j'en ai appris que dire n'était pas toujours nécessaire pour donner le meilleur.
A toi Sébastien qui as donné corps à ma théorie si théorique, qui m'as tant soulagée en me montrant combien l'humain est riche et capable, toi qui m'as appris à me sentir unique.
A toi Organdy qui m'as ouvert un monde et qui m'apprends chaque jour à être toujours plus libre et moi

samedi 25 juin 2011

Regard

Je suis dans le train bondé, j'ai chaud, je ne rêve que de mon douillet canapé dans lequel m'effondrer et ne rien faire que respirer et laisser battre mon coeur tranquillement. Je crois, je suis sûre qu'il n'y a que cela dans ma tête. Je me trompe.
J'abaisse mes paupières pesantes et fatigantes.
Les yeux apparaissent.
Derrière mes paupières, les yeux m'attendaient et je ne m'en doutais pas. Interdite un instant, je les accueille naturellement et les savoure de tout mon être. Peut-être qu'au fond de moi ou juste au-delà des idées de surface, je savaient qu'il étaient là, patientant, sereins.
Les yeux sont d'un bleu qui n'a pas de nom, qui ne peut d'ailleurs pas avoir de nom. Ils sont bleu de vie. Ils me regardent, sûrs de leur existence et de leur valeur. Ils me plongent dans leur mer qui m'enveloppe et m'ancre solidement en moi-même, en mes entrailles.
Les yeux sont forts, puissants ; mais ils ne me font pas peur à moi la froussarde. Je ne pense pas même à en avoir peur. Ils aimantent mes propres pupilles et les font vriller et se tenir. Les yeux sont forts mais ils ne violent pas. Jamais. Ils partagent leur douce et ferme assurance. Ils restent dans ce visage qui est le leur et dont je ne vois qu'eux. Il ne s'immiscent ni maladroitement ni subrepticement en moi. Ils savent et ils attendent de savoir. Calmes.
Les yeux ne me lâchent pas, ils ne s'enfuient pas. Est-ce leur bleu qui leur donne cette franchise tenace et bienveillante ? Je l'ignore mais je sens que le bleu des yeux est comme un talisman, il les rend magiquement humain et m'entraîne vers la profondeur de ma propre humanité.
Je suis un moment fascinée, je l'avoue. Et je l'avoue sans honte. Ces yeux-là, on ne les rencontre que quelques rares fois en une vie. Je suis fascinée mais les yeux ne me demandent pas de me soumettre, ils n'exigeraient jamais cela de moi. Je l'ai dit : ils restent à leur place, ils regardent et voient de là où ils sont, ils n'ont pas besoin de plus.
Je me sens mal, j'ai chaud, j'ai peur, je ne souhaite que me pelotonner au fond de moi-même, contre mon dos. Les yeux se fixent sur moi et me relèvent. Ils me tiennent parce qu'ils savent mais aussi parce qu'ils demandent. Ils savent qui ils sont et s'ouvrent à moi, me laissent libre de les explorer ; et ils me demandent qui je suis. Je ne suis pas bien, je suis verrouillée, tous mes loqués sont bloqués et me ferment. Mais les yeux les font glisser doucement dans leurs gouttières, sans doute sans intention de le faire. Et moi qui ne ressentais plus et attendais, des larmes intérieures renaissent et me réveillent de mon inconsciente inertie. Je n'ai pas envie de pleurer. Ce ne sont pas ces larmes-là que les yeux animent : ce sont les larmes qui font sentir le coeur battre et le corps vivre.
Ces yeux-là, ils connaissent leur existence bleue, ils reconnaissent leur valeur mais ignorent leur rareté. Et cela finit de les poser en inévitables vainqueurs.
J'ai peur de trop les approcher et de les faire reculer. Les yeux ne s'échappent pas, ils ne sont pas menacés, ils ont saisi leur pouvoir. Mais, chacun sa place et il s'agit de ne pas dépasser l'invisible limite que chacun d'entre nous connaît et pressent. J'ai peur d'avoir trop envie de les toucher, de les découvrir de tout près. Mais ils ne sont pas là pour cela, ils me le disent et je m'arrête de moi-même ; ils me donnent à savoir m'arrêter pour ne pas me perdre, ne pas nous perdre.
Ils font sursauter en moi la belle humanité, chaque fois ; et je tressaille vers la vie, étonnée, chaque fois. Peu importe pourquoi et comment. 
Si jeunes ces yeux pourtant !
Je jouis de l'existence qui reprend ses droits et de la mort qui s'incline. 


samedi 11 juin 2011

Rage

Elle est revenue hier.
La vague monstrueuse.
Elle est arrivée à bas bruit du fond de mes entrailles.
Et, elle a jailli. Jailli.
Je suis noyée dans la haine.
Le monde devient d'acier. Je suis un être d'acier, un exterminateur.
Je grandis avec et en elle.
Je deviens plus forte, la plus forte.
J'avance, les yeux saignants et fatals.
Je regarde ceux qui croient tout pouvoir contre moi : ils sont morts.
C'est moi qui les viderai, les éviderai, les regarderai crever sans pitié.

Et puis elle m'échappe.
La rage prend les commandes et me laisse traîner derrière elle.
C'est moi qui la suis, après l'euphorie de ma toute-puissance.
Elle irradie, elle m'a prise.
Sournoise, elle me séduit toujours, je la laisse m'envahir et ressentir cette jouissance du pouvoir retrouvé, je peux respirer, écarter les autres, avancer sur ma route, celle que je ne partage avec absolument personne alors.
Je n'aime plus personne de toute façon.
Mais la rage est le sixième élément, et elle aura toujours raison de moi.
Je suis humaine, je le regrette. Elle ne l'est pas.

Peu importe : pour ces quelques instants d'extase où mes yeux peuvent saigner et meurtrir, je lui ouvre mes entrailles et lui offre mon être.

samedi 14 mai 2011

Déracinée

  Pas de racines. Me voilà à nouveau en ces minutes où rien ne m'ancre, où je peux m'envoler au gré des vents et des désirs de chacun. Je sens cette dangereuse légèreté, je suis décrochée, sans filet, en péril maximal. Je n'ai personne à portée de main à qui m'accrocher. De toute façon, ce n'est pas cela dont j'ai besoin. Ou alors, un de ces humains racinées, un de ceux qui tiennent quoi qu'il arrive et sur lesquels les vents et les désirs laissent certes des marques mais finalement passent sans être parvenus à les défaire. Je cherche un racineux en vain. Aujourd'hui je ne peux compter que sur moi, sur ce que je sais et sur ce que j'ai appris. J'essaye de me rappeler : se détendre, ne pas résister, ne pas s'agiter, ne pas crier. Je sais que je ne crierai pas de toute façon, je suis beaucoup trop légère pour crier. Ce que je ressens si fort c'est ce vide en dessous de moi. Cela me rappelle ce rêve qui revient si souvent où je suis au bord d'une falaise, juste au bord, prête à tomber, être poussée, me jeter, je n'en sais rien. Je suis sur cette minuscule corniche et je vois s'ouvrir sous mes yeux un immense canyon sans fin. Il y fait de plus en plus sombre et je ne peux pas en distinguer le fond. Dans ce rêve, je suis d'ailleurs persuadée qu'il n'y a ni fond, ni fin. Il ne faut pas que je tombe et en même temps, j'en suis au plus près. Alors, je ne conçoit plus même l'existence d'une racine, d'un lien qui me retienne au sol. Je suis absolument déracinée. Je repose sur le sol, sur la terre sableuse et je ne fais qu'être posée là, comme une poupée qu'on pourrait mettre n'importe où et qui elle-même n'adhère nulle part. Peut-être qu'elle ne le veut pas de ce lien. peut-être qu'il lui fait peur. Ai-je peur de m'enraciner, de ne plus pouvoir bouger une fois nouer ce lien à la terre, à ma terre ? Je n'y ai jamais pensé avant. Jamais alors que cette idée est si simple. C'est évident. Je préfèrerais alors cette horrifiante inanité à une certaine lourdeur ? J'accepterais tacitement, inconsciemment ce sentiment de ne plus m'appartenir pour ne pas être accrochée, ne pas être prisonnière de mes racines ? Quelle bêtise ! Quelle douleur inutile et stupide ! Parfois, je m'envole, on m'envole, je n'en sais rien. Je doute de mon rôle dans tout cela. Je suis dans l'air, je ne touche plus terre, je suis en suspens et suis la marionnette soumise de qui veut. J'ai le vertige et je me retiens de vomir, je m'élève et je tourne et retourne selon les courants dans une révoltante impuissance. J'ai la tête en bas, les pieds en l'air, le monde n'a plus de sens. Je ne peux pas m'habituer à cela. Je ne le peux pas. J'essaye de ne pas paniquer, je dis que j'ai l'habitude et que j'attends de retrouver le sol sous mes pieds mais c'est faux. C'est toujours le coeur qui bat la chamade, le sang que j'entends circuler dans mon corps, l'impossible idée d'un être entier. Déracinée, démantibulée, je perds mon corps et mon âme, je me sens mourir. Et là, voilà ce à quoi il m'est impossible de m'habituer. Je disparais, je n'existe plus et je le sais. Cet immonde paradoxe définit dès lors mon univers. L'improbable conscience de ne plus exister. Je ne dors pas, ne suis pas plongée dans un quelconque coma, je suis là pour me regarder ne plus être. Qui rit ? Qui pleure ? Peut-être moi et encore moi. 
   Je me demande toujours comment les autres peuvent ne pas voir que j'ai la tête à l'envers, le bras à la place du ventre et qu'il me manque une jambe ou que je fonds comme de la cire et me désagrège. Cela dépend des jours mais je ne comprends pas, je bute sur leur cécité. Ils ne le font pas exprès, je le sais parfaitement mais je ne comprends pas. C'est peut-être que je suis déjà invisible et que la mort me cache. C'est vrai, je ne me sens plus exister, comment les autres le pourraient ? Voilà la rationalité qui m'aide à saisir le sens mais, la tête en bas, lorsque mes cheveux lavent le sol, je suis aveuglée par l'espoir d'être vue. Je me rends compte combien cela est impossible.
  C'est vrai, je l'avoue, on m'a déjà proposer des racines, d'aucuns m'en ont prêté et je n'ai pas osé. J'ai eu peur, elles n'étaient pas miennes, je ne les avais pas fabriquées moi-même, je n'en étais pas l'exclusive propriétaire, je les ai délaissées. Je n'ai pas compris que chacun n'a pas ses racines, les siennes propres. J'ai cru que je devais créer mes racines, travailler pour parvenir à construire mon sous-sol., ex nihilo. Je me suis trompée, je le sais désormais. les racines se partagent, elles sont prêtées, rendues, métamorphosées, elles ne sont jamais pures. Je n'aurai jamais rien de purement moi. Je l'ai su un jour et puis, j'ai voulu croire le contraire. J'ai voulu croire à ma puissance : j'en ai éprouvé la plus profonde impuissance, la fragilité suprême.  Les racines sont faites pour se mêler, je n'aurai jamais mon territoire, moi unique et absolue détentrice. Non, ainsi ne va pas le monde. Je me perds à vouloir prouver mon pouvoir. 

Ouvre honnêtement et réellement ta coquille et accepte mélange et entremêlement, disparition du pur destructeur.

mercredi 11 mai 2011

Les Gris

   Je ne suis pas de ceux qu'on aime, ceux qui au premier coup d'oeil suscitent une attirance, une répulsion. Je suis de ceux qui demeurent sur le bord et qui regardent. Je les regarde s'aimer et se détester. Parfois, j'en ai la nausée : j'ai l'impression d'être sur des montagnes russes. Je m'amuse à les observer. je ne me repais pas de leurs souffrances, ce n'est pas là que je veux en venir. Cela ne me fait pas plaisir, pas plus que cela ne m'émeut, je l'avoue. Cela m'intéresse. 
   Au début, je me suis démené pour être de ceux qu'on aime. Je me suis battu. Je voulais comme eux, aimanter ou répugner ceux qui m'approchaient, ceux que j'approchais. Mais cela n'a jamais fonctionné. Je n'ai ni plus ni moins en moi ; je suis parfaitement neutre. Je l'ai compris aujourd'hui : je suis gris, à la lisière, vivant et invisible. Les gens me passent devant, dessus, me disent bonjour, au revoir. Eh oui, certains me parlent ! mais ils m'oublient aussitôt. Je suis vivant, je me sens et pourtant je n'existe pas. Je suis pour moi seul, voilà tout. Je vous l'ai dit, comme tout le monde, j'ai lutté pour l'amour et la haine et puis je me suis calmé et j'ai regardé ; j'ai appris à rester à ma place, à la lisière. Vous vous imaginez sans doute une vie terriblement ennuyeuse. Détrompez-vous. Je suis vivant à travers vous et vos incompréhensibles errances.J'en suis parfois tout démuni, tant le sens est obscur. D'autant que restant à la lisière, je peine souvent à m'imaginer les méandres de vos raisonnements et des mouvements qui vous animent et donnent à des actes dont le cryptage me donne à penser. Je démêle les pourquoi et les comment. 
     Les gens comme moi ? Nous nous croisons, courtois les uns envers les autres mais nous ne nous intéressons pas nous-mêmes. Il n'y a en face de nous qu'un être gris qui nous ressemble bien trop. Ensemble, nous dépéririons, notre grisaille nous grignoterait jusqu'à l'os. Nous le savons tous et nous en préservons en gardant nos distances. La principal est que nous n'oublions jamais que nous ne sommes pas seuls à la lisière, que nous formons un groupe malgré tout. Et cette idée suffit à combler notre solitude. Ceux qui ne s'en accommodent pas tentent de se lier aux leurs, à nous, en vain. Et puis, systématiquement, ils se jettent chez les aimants, ils quittent la lisière et rentrent chez les autres. Ils essayent encore de se lier par amour ou haine mais leur transparence les en empêche et le désespoir de ce constat les emporte. Etre gris est un destin. Il en va ainsi.
    Certains aimants nous aperçoivent parfois, je vous le disais, ils nous saluent même, mais ils ne s'approchent pas trop : ils nous regardent à leur tour, toujours éberlués de nous découvrir là, à l'orée de leur monde.

lundi 9 mai 2011

A ceux qui savent sourire ; à toi Martin

     J'attends toujours avec impatience le moment où tu souriras, celui où tu riras. Tu me captures de tes pupilles, tu me tiens parce qu'elles promettent ce sourire enivrant. Chaque fois que je dois te voir,Apparaît dans ma tête cet indescriptible sourire. cela me fait mal tellement ça m'émeut, ma poitrine se fait douloureuse comme si j'étais fiévreuse, comme dans les romans d'autrefois. Poignante, ma poitrine est prise. 
     Tu fais partie de ces rares et brillantes personnes qui se changent et me changent quand elles sourient. Tous vos traits se détendent, vos yeux sont entièrement vrais, comme si l'on pouvait voir jusqu'au plus profond de votre âme. Vous avez les yeux complètement ouverts, vous êtes à nu. Et l'on ne peut que baisser les armes face à cet aveu spontané de pure humanité. Je me sens fondre de l'intérieur, je n'ai plus besoin de tenir. J'en suis démunie. Comment dois-je m'y prendre si je n'ai plus à me battre contre vous, contre toi ?
    Je passais des jours, des semaines, prête à l'attaque. j'étais envahie, assiégée. Et j'avançais, sourcils froncés, déterminée et terrifiée. L'habitude était venue. Je ne croyais en rien d'autre, je n'y pensais même pas. J'étais perdue dans mon monde de monstres. Et puis, à chaque fois surprise par ce tour de passe-passe, je me pétrifiais devant ton visage éclairé de ton sourire presque trop franc, presque trop généreux pour mes barricades. Les bras ballants, je me sentais stupide. Comment faisais-tu pour mettre tout ton être dans ce sourire que tu donnais ? Je ne comprenais pas, j'étais mal à l'aise et je n'aspirais qu'à ce monde que tu me laissais entrevoir.
  A toi d'abord, mon frère, merci de m'avoir souri, droit dans les yeux, à moi, à mon moi encore inconnu, caché, peureux, celui que tu me prêtais de toi, comme pour me montrer la voie. Ce sourire, je le garde précieusement, il est dans un coin de ma poitrine, de mon esprit et souvent, je le regarde pour ne pas oublier ce à quoi je rêve. Tu n'as pas eu besoin de dire ni de savoir autant de choses que les autres. Sans en avoir conscience, tu as eu le sourire et le regard qui font revivre. Ceux qui m'ont fait sentir être quelqu'un, être une vraie, comme vous.
  A vous autres aussi qui, au moment le plus inattendu, donnez ce sourire. Vous êtes rares, vous ne le savez pas mais vous réchauffez quand votre visage se métamorphose pour devenir pour quelques instants, absolument authentique. C'est comme une âme sans aucun atours que vous livrez et qui, toujours, me redonne envie d'avancer, rien que pour ressentir à nouveau cette sérénité que vous portez.

dimanche 8 mai 2011

Béance

Cette espèce de trou noir où plus rien n'apparaît avec une forme quelconque, où tout se confond, chacun est l'autre, plus aucune balise. Mes yeux sont grand ouvert et je ne distingue rien, je vois et ne distingue pas, mon esprit est aveugle, il ne sait plus rien, il est happé par la profondeur du néant. J'essaye de le diriger, de le reprendre en main, de l'aider, de le guider avec ce que je crois bien connaître depuis le temps que nous sommes ensemble. Et rien ne lui ouvre la voie. Il s'embourbe et m'entraîne avec lui, je chute, je crie, j'ai crié au début et je me suis accoutumée à cette horrible cave sans fond.
      J'ai toujours aimé les caves, précisément par ce qu'elles étaient au fond, elles étaient la fin, elles étaient cachés, j'y étais en sécurité. Là, c'est une fausse cave, une cave truquée. Souvent, je m'engouffre dans une nouvelle cave et je prends le risque du fond qui m'attend. J'ai appris avec l'expérience que ce fond m'apprenait souvent des choses, qu'un cul de sac n'est jamais innocent, qu'il nous apprend quelque chose, nous le donne à voir. Toute cave a son fond, son miroir propre. J'ai compris, avancé grâce à ces sombres tunnels et ces caves effrayantes de prime abord qui devenaient une nouvelle richesse pour moi si je prenais le temps de m'asseoir dedans, de m'y appuyer aux murs, de me regarder dans ses parois reflétantes, de comprendre ce qui m'avait finalement menée là. Si je ressortais sans trésor, je savais que je n'avais pas eu le courage d'aller jusqu'au fond ou qu'il n'était pas encore temps pour moi. Je note les caves à revoir, à revisiter et je sens le jour venu que je pourrais comprendre ce qui m'avait échappé la première fois.
     Aujourd'hui, quelle est cette cave ? Est-ce une de mes caves habituelles ? Habituellement, mon esprit saisit et me conduit de lui-même vers ce qui d'un autre côté me fait frémir de peur. Ce n'est pas une cave, c'est un trou, un sombre puits sans issue où je me suis fourvoyée croyant à une cave d'une nouvelle sorte, une cave que je n'avais jamais osé approcher. J'ai cru à une chance nouvelle, à autre chose sans savoir quoi. J'ai voulu croire, serait plus juste. Les caves que j'ai connues n'étaient pas bien accueillantes, pas bien chaleureuses, rien de bien attirant d'emblée ; et puis elles le devenaient, elles prenaient formes et couleurs au fur et à mesure que je comprenais, qu'une nouvelle partie de mon cerveau et de mon coeur s'ouvraient et naissaient en moi. Me voilà dans un trou sans fin, une cave qui ne m'est pas destinée. J'en sortirai coûte que coûte et mon esprit reprendra pied et retrouvera ses repères et ses amours. Aujourd'hui, ce n'est pas mon esprit qui me tiendra la main ; je donne cette fois-ci ma confiance à mes tripes. Je les balaye souvent d'un méprisant geste de refus. J'apprends depuis hier à les écouter : c'est peut-être le message du trou sans fond. Peu importe les pourquoi et les comment, je les écoute et me laissent animer par elles. Elles me sortiront de cette béance et me ramèneront sur la voie où mes pieds sentent le sol et où mes yeux voient ce qui les entourent.

Là où je ne suis pas seule comme je croyais devoir l'être.

lundi 14 février 2011

Un dos : un chef


      J'ai rencontré un dos, un dos pas comme les autres, un dos qui ne faisait pas que se dévoiler malgré lui, un dos qui parlait et regardait. Il n'en était presque plus dos.
      Salle Pleyel, Orchestre de Paris, jeune chef d'orchestre inconnu. Arrivée détendue, chemise noire, pantalon de toile, le strict minimum. Se dégage de lui une tranquillité rassurante. Il n'a pas même levé sa baguette qu'il tient déjà son orchestre, il l'enveloppe. Le plus fascinant reste à venir : son dos ne s'est pas encore réveillé, c'est encore un corps qui ne me regarde pas que je vois.
Il lève les bras, enlace ses musiciens, quelques secondes, il les protège, il est prêt à les guider. Il donne le départ et là le dos se met à me parler. Je ne regarde que lui. Je suis loin, je ne devrais pas bien le percevoir. Mieux, je le sens. Ce n'est pas un dos qui tourne le dos ; c'est un dos qui n'est pas l'envers, c'est un dos qui est aussi un endroit, qui parle son langage et qui a des interlocuteurs, des vrais dont il tient compte. Ce n'est pas un dos qui brise et rompt. C'est un dos qui ouvre. Il nous parle. Certains ne l'entendent pas, il n'a pas la bonne forme pour se faire écouter mais il parle aux liseurs de dos. Il est profondément généreux. Il nous parle à nous, les exclus ? Les élus ? Je n'en sais rien mais c'est à nous qu'il parle et nous nous reconnaissons, enfin quelqu'un qui nous parle en public, quelqu'un qui connaît le langage de dos et qui en fait son métier. Il a voué sa vie à parler, à regarder devant et derrière, à donner autant à ceux qu'il voit avec ses yeux qu'à ceux qu'il ne voit qu'avec son dos. Il a choisi d'être cette fenêtre, ce double miroir qui fait se rencontrer les univers et qui rend le monde magique un moment. Ce corps est comme une frontière, ou plutôt un sas qui ouvre sur les deux mondes, qui les fait s'entendre et se voir, se comprendre et s'émouvoir ensemble. Il pourrait nous oublier, derrière lui. Il pourrait nous ignorer aussi. Il n'a pas fait ce choix. Il est suffisamment fort, suffisamment bon, il a pu opter pour la difficulté et parler deux langues à la fois. Oui, elles s'enrichissent et celle de devant n'en est que meilleure si la langue et le regard de derrière sont vivants. Et alors ? Combien sont ceux qui en font fi ? Je ne peux qu'être fascinée, je tombe éperdument amoureuse, il est parfait. Il y a aussi un ventre, une poitrine, un visage : je ne peux pas les atteindre mais je ne suis pas sûr qu'ils m'en diraient davantage. Je ne les attend pas, je n'ai pas besoin d'eux. Mon dos est là qui s'anime et nous enveloppe de son côté à lui nous aussi.
Ce dos se meut, s'arrête, il prend son envol mais ne nous perd jamais, il redescend souplement ou brusquement, il varie, il s'adapte, il livre tous les indices qu'il détient, il se montre aussi riche que possible. Le don par excellence. Il nous donne tout ce qui peut habiter ses épaules, ses vertèbres, sa colonne vibrante. Il leur donne aussi à eux, devant lui, il leur donne mais avec sa poitrine et son ventre, plus facile, appris peut-être. Le dos, ça ne s'apprend pas : c'est une question de force et de don. Il les possède. Il est un être rare.
Ce que je me demande, une fois redescendue, comment peut-il rester lui, si tranquille, si serein ? Il n'a pas peur, absolument pas peur, il est avec nous tous et il remplit la mission qu'on lui a confiée mais qu'il s'est fixée aussi lui-même. Il ne se croit pas le roi du monde, il ne jouit pas de sa puissance, il se laisse regarder, il prête son corps et son être pour que nous puissions ressentir et aimer cette musique avec laquelle il s'allie. Ils sont là tous les deux, ne pouvant exister l'un sans l'autre. Il le sait lui, il le sait pertinemment et il reste à sa place entre lumière et ombre, porte communicante. On pourrait craindre qu'il se laisse entamer, qu'il soit troué d'ombre et de lumière, métamorphosé en monstre, informe et incompréhensible. Mais non, il est assez fort et assez bon. Et il l'aime trop son amante, sa musique, il est avec elle et elle le fait s'emplir et s'illuminer de toutes parts. Et tout le monde a sa place.

Tout contre


       Elle est toujours à côté de moi, toujours elle me regarde et me suit. Je crois que personne n'a jamais fait autant pour moi. Elle est là tout contre moi, elle me protège même parfois. je ne lui demande pas mais elle le fait tout de même. Elle est fidèle, elle ne me quitte pas des yeux, elle est là, infailliblement là. Je me perds, je tombe, elle est là, je me tourne vers sa place, là où je sais qu'elle m'attendra toujours et elle me sourit, rassurante. Cela me soulage, ma veilleuse. Lorsque je m'effondre, lorsque le monde s'écroule, que je ne sais ni ne sens plus rien, elle me recueille, elle me berce, elle m'aime de tout son coeur. Et je redeviens quelqu'un, je rouvre les yeux, je vois à nouveau. Son oeuvre est parfaite, elle agit comme si nous ne faisions qu'une, elle comprend tout, tout ce que j'attends, tout ce qu'il faut faire pour me réchauffer. Je ne sais pas si je peux dire que, moi, je l'aime. Je ne crois pas. Elle me sauve, elle me maintient à flots mais elle est mon socle, je ne peux pas l'aimer avec mon âme. Elle fait trop partie de moi. Je l'aime de mes entrailles, je l'aime avec mes poumons pour respirer, mon ventre pour vivre, mes jambes pour tenir debout. Pas avec mon âme ni mon visage pour sourire ; elle n'est pas dans mon âme, elle est dans mon corps. Je la perds, je nous perds quand je la cherche dans mon âme. Alors je la cherche là où elle me donne sa force de repère.
Parfois, elle est en colère. Parfois, nous ne comprenons plus, il n'y a plus de nous. Elle est face à moi, elle n'est plus à mes côtés, il n'y a plus de tout contre moi possible. Elle plonge son regard vengeur au fond du mien et ne me lâche plus. Elle s'accroche à moi comme une enragée. Elle n'est plus celle qui m'attend toujours à la même place, tranquille et sereine, sûre. Elle est mon ennemie, elle dont j'ai tant besoin. Elle me fait face. Elle me sourit mais ce sont des crocs qu'elle révèle, c'est un vampire. Elle se tient là et elle attend, elle m'attend. Que fera-t-elle cette fois ? Et je l'affronte. Moi, la craintive je n'ai pas peur. Elle ne me fait pas peur. Elle ne me fait jamais peur. Elle est mon ennemie, elle n'est plus rien d'autre, aucune ambiguïté, aucune tromperie. Et je me sens puissante, incroyablement puissante, elle me révèle à moi-même, elle me fait grandir, elle me force à montrer les crocs, moi aussi, à me changer en loup sans merci, sans une once de pitié. Elle me fait voir que je peux. Je la regarde droit dans les yeux cette amie de toujours qui se retourne contre moi et que je devrais craindre. Comme tout le monde. Mais là, je ne suis plus tout le monde et notre duel m'impose à moi-même. Elle ne m'aime plus ? Si, plus que jamais, elle devient mon adversaire, L'adversaire de tout un chacun, celui que personne ne veut avoir à regarder dans les yeux et moi, impavide et provocante, je la méprise de toute la hauteur enfin trouvée.
Au fond, elle sait qu'elle me relève lorsqu'elle se dresse contre moi. C'est là que je lui dois de survivre et non plus seulement de vivre. Elle ne me sauve plus seulement de la souffrance ; elle me sauve de moi-même. Je lui dois de rester, de ne pas disparaître en poussière, elle rassemble les grains, les moutons qui pourraient se désagréger. Nous les rassemblons en nous narguant l'une l'autre plantées face à face. Elle, elle n'en a pas besoin, elle est d'une seule pièce, souple, malléable et ferme en même temps. Elle le fait uniquement pour moi, pour que je continue.
Parfois, je la déteste d'être toujours là et d'avoir tant besoin d'elle. Je la déteste parce que je me la sais nécessaire, comme organique, qu'elle me souffle son air quand je n'en ai plus et qu'autour de moi, les autres vivent sans elle, avec leur propre air, il leur suffit, il les innerve et les fait avancer. Le mien a besoin du sien, le mien est pauvre, mal fini, il ne fonctionne pas, il y a toujours un moment où il ne s'envole plus, où il retombe comme une goutte agonisante, J'ai bien essayé de lui donner toute mon énergie mais non, j'ai besoin d'elle et de son souffle. Elle me sauve mais je la hais de me sauver, de me faire vivre, de ne pas pouvoir marcher et regarder devant moi sans elle. Elle n'y peut rien, elle est ce qu'elle est mais qui dois-je implorer pour respirer et rester entière sans elle, comme une grande ? Dieu, tu ne m'entends pas mais mécaniquement, par instinct, je continue de te supplier. Pour l'instant, elle est là. Que ferai-je quand je me résignerai à la quitter ?

La mort, mon autre mère.

lundi 7 février 2011

Glue

Je ressors, éreintée, mes reins ne me tiennent plus. Je suis sale, rabougrie mais bouillante en même temps. Intolérable contradiction qui me contraint à marcher de long en large en retenant mon souffle. Ne pas m'arrêter, pas une seconde, pas une once de seconde, au risque d'exploser. Je vais exploser, je le sais, je me connais. Je me suis salie, jusqu'au bout des ongles. je suis répugnante. Je suis engluée jusqu'au cou, jusqu'au bord des yeux , jusqu'à la moitié de mes prunelles. Finalement, jusque bien au-dessus de ma tête. J'ai fini de me débattre pour me dégluer, j'ai fini de gigoter comme si j'allais me désarticuler, je suis enfouie dans la glue du dégoût. Mes membres sont glus. C'est cette colle excrémentielle qui me retire le droit d'appartenir à l'humanité, au groupe des normaux, ceux qui sont toujours propres, qui ne sentent jamais cette poisse prendre possession d'eux et les tenir prisonniers le temps qu'elle a choisi, aussi longtemps qu'elle le voudra, selon le désir de Madame la Poisse. Madame la Poisse est puissante ; et elle sourit. Madame Poisse me transforme en bête humaine, en une espèce d'ignoble hybride qui ne sait plus être humaine. Quand je parle alors, mes mots sont vides, je ne suis plus quelqu'un qui parle ; je ne suis qu'une bête. Plus le droit de parler, juste me soumettre et attendre comme une ridicule esclave. Dans la glue de la Poisse. Je parle et me voilà dévorée, brûlée vive de honte et de dégoût. je me sens me consumer mais je poursuis ma phrase, parfois même, je me lance dans la suivante et encore une troisième et je sens que quand je m'arrêterai, mon corps entier, la peau de tout mon corps sera salie et gluée.  Mes mots ne servent à rien mais ils retardent le fatal engluement que madame Poisse fait sentir dans mon dos.

Lorsqu'il est trop tard, que je suis prise au-delà du haut du crâne, lorsque je suis entièrement recouverte, j'ai un moment de suffocation et puis, tout d'un coup, je me souviens que je sais où aller. Je me rapetisse et je descends dans le sol, je m'enfonce avec volupté vers les profondeurs. Là, tout est déjà sale et gluée. Mais les pouvoirs de Poisse sont abolis : ce qu'elle impose en-haut est ici-bas la loi. Elle ne descend jamais, elle me laisse tranquille. je me promène dans les égoûts, je me pavane, je suis une reine dans ce palace. Je n'ai pas besoin de me battre ni de me détester. Je suis bien, je suis calme, j'éprouve la sérénité pure. Je marche, j'évite tout ce qui traîne à mes pieds, tout ce dont ceux du haut se sont débarrassés,  qui les répugne, qui sent mauvais, qui ne sert à rien, et je me prélasse au milieu de ce luxe. Je peux faire ce que je veux, je suis ici chez moi. Ceux que je croise affiche la même béatitude et nous nous sourions, complices dans notre soulagement. Tout est différent, c'est comme l'envers du monde, davantage l'endroit pour moi. La plupart du temps, je m'assois un instant, je me repose et j'admire mon monde, celui où je suis bien, celui où la glue n'existe pas, où Poisse est la dernière des gueuses. 
Je suis la princesse des égoûts.

jeudi 27 janvier 2011

Hommage


J'ai attendu patiemment d'être prête pour toi. On m'avait prévenue. Pas facile Proust dis donc ! Tu verras ce qu'elles sont longues ses phrases ! J'ai jamais réussi à en finir un ! C'est beau hein, mais bon, c'est lent, il ne se passe rien. Ca sert à rien d'écrire autant pour ne rien dire ! Je l'ai lu trop tôt, ça m'a dégoûté ! Non, je n'aime pas. Beaucoup de Non injustifiés.
Et les silences énigmatiques des conquis, silences ou un simple Merveilleux ! les yeux pétillants.
J'ai écouté. Autant de commentaires qui me donnaient envie de te découvrir. Mais, pour une fois, je me suis montrée patiente, très patiente. J'ai attendu la fin du lycée, je me suis fait tout un monde autour de toi et de tes livres. Je ne savais pas ce qu'ils pouvaient contenir mais je constatai : chaque mangeur de livres avait quelque chose à en dire. Et ce mystère, il me fallait le lever. Pas tout de suite ; l'heure viendrait.

L'esprit déjà un peu magique, j'attendis.

Et vint le jour où je t'ouvris : je n'eus pas besoin de m'habituer, je n'eus pas à observer ce temps de latence que tout lecteur doit traverser avant d'être dans le livre d'un grand auteur, d'un vrai artiste. Tu me parlais à moi ; nous étions du même bord, nous étions de la même famille. Je me sentais moins seule, j'avais l'impression que nous pensions au même rythme, avec autant de détours, que nous pouvions ne pas nous perdre de vue tant nous nous ressemblions. Je n'étais pas bien sûre de mon enthousiasme : est-ce que je ne m'emportais pas un peu ? Je me réfrénai, prudente. C'était tout ce que j'avais imaginé qui pouvait enfin se déverser, c'était cela. Et puis, chaque fois que je te rouvrais, que je me plongeais dans ton univers, je replongeais, accroc. J'en vins à ne plus freiner mes ardeurs : Cela demeurait, j'avais trouvé quelque chose. Je ne me souciais que peu de ce que j'avais trouvé, de ce que c'était. Je me fichais de le définir ou de le comprendre, je n'étais plus envahie de cet irrésistible besoin de comprendre chaque parcelle du phénomène. Je l'acceptai : je possédai quelque chose que j'avais longtemps, longtemps cherché. J'arrivai à m'en satisfaire. M'en satisfaire. M'endormir réunie avec moi-même, entière et pleine.

Désormais, tu es là en moi et je ne te lis pas souvent Marcel. Je n'en ai pas vraiment besoin, tu es imprimé en moi. Ton monde m'habite ou j'habite le tien, je n'en sais rien. Encore une fois, peu m'importe. Je t'ouvre de temps en temps et nous nous rejoignons, je suis chez moi, nous sommes chez nous. Je sais que tu es là, que je peux compter sur toi. Oui, mort mais sûr, absolument sûr. J'ai une absolue confiance en toi. Absolu, c'est tout ce que je peux en dire. Je ne compare pas, je ne glose pas ; je bois, je mange ce que tu me donnes, ce que tu nous as laissé à nous tes descendants qui avons cette chance de pouvoir t'aimer.
Il ne me reste plus aucun recours ? Si, il y a toujours quelques pages des Jeunes Filles, le bourdon de Sodome, le salon et les éblouissantes robes d'Oriane, l'aquarium humain de Balbec, Charlus, Swann et toi. Vous êtes là, je peux faire appel à vous, vous me sauvez. Je vous garde tout près de mon lit, à mon chevet au cas où. Marcel, tu as sauvé un espoir en moi. Tu l'as retenu, tu lui as donné raison. Je ne te connais pas, ne te connaîtrai jamais. Tu ne m'as jamais connue. Mais tout me fait sentir le contraire.
Est-ce qu'il y a d'autres familles ? Est-ce qu'il y a des familles que l'on se trouve ? en plus ? Marcel tu as été le premier membre de cette famille d'adulte que chacun se forge pour être lui et lui seul. Tu es le socle de ma famille choisie, son terreau. Un peu secret, tout le monde n'apprécie pas et je ne veux pas qu'on te salisse. Je ne parle pas beaucoup de toi mais tu es mon socle. S'il y a vraiment lieu, je te montre et je suis entièrement moi aux yeux de celui qui me regarde avec toi. Sans toi, je ne serai pas ce que je suis. Je ne délire pas, je n'affabule pas, je n'exagère pas : j'ai là aussi attendu de savoir si j'avais raison, si je pouvais te faire confiance. Malgré tout. J'avais été trop échaudée. Mais j'avais trouvé un moteur, une force de vie. Je le maintiens : tu m'aides à vivre. Tu es mort et tu m'aides à vivre. Un absolu que je ne ne comprends pas et que j'aime à ne pas comprendre.

Rêve

Ton devoir réel est de sauver ton rêve , Amedeo Modigliani


Ai-je le droit de rêver ? Oui, j'ai le droit de rêver ?! Oui, vraiment ?!
Ai-je finalement le choix ? Je rêve parce que je suis humaine et que si je ne rêve pas, je meurs, je dépéris et m'assèche, me recroqueville et me transforme en petite feuille rabougrie sans âme. C'est ce qu'on dit. C'est ce que j'entends dire. Alors je rêve pour survivre, presque malgré moi. Je ne me l'interdis plus ; mais, une chance que je n'ai pas le choix. Sinon, je serai feuille morte. Si le devoir de rêver, la nécessité existentielle de rêver m'était ôtés, comme par magie, comme dans les contes, je me métamorphoserai en bout de bois, inerte, désespérément inerte. Est-ce que mon âme continuerai de se mouvoir dans ce carcan minéral ? Ovide, tu sourirais à cette question, sage et sûr : ton âme survivra quoi qu'il arrive. J'aime cette confiance dans la force de l'âme. Je te suis Ovide, je marche dans ton sillon, ce chemin où l'âme est éternelle et se façonne et refaçonne sans cesse à l'aune de son contenant.
Et puis, il y a celui qui ordonne de sauver son rêve, Amedeo, sauver mon rêve ? Il existe, ce rêve, et je m'en suis contentée depuis qu'il a enfin une place. Et toi, tu affirmes que mon devoir n'est plus seulement de rêver mais aussi de tenir le gouvernail, de maintenir à flots ce, ces rêves ? Je ne sais pas encore faire ça. Je dois apprendre. Comment fait-on pour sauver son rêve ? Dois-je le nourrir ? Lui parler ? Le bercer ? Je l'ai enfanté, que faire ensuite ? Je n'ai pas appris, on ne m'a rien enseigné à l'école, j'ai beau cherché dans le fin fond de ma mémoire, personne ne m'en a parlé. C'est évident ? Tout le monde sait le faire ? Personne n'y prête attention ? Il y en aura sûrement, narquois, qui riront des rêveurs, grand classique. « Vis avant de rêver ! Tu perds ton temps ! » Mon devoir réel est de sauver mon rêve, ma vraie vie est mon rêve et toi qui ricanes, vis-tu ta vie réelle, la vraie de vraie, celle qui compte, qui remplit et mène plus loin que nulle part ? Celle qui donne un sens à cette drôle de présence ici-bas.

mercredi 26 janvier 2011

Dos

Je suis là, j’attends qu’on vienne me chercher, qu’on vienne me sauver. Je suis une petite fille qui se cache pour qu’on la trouve mais qu’on ne cherche pas. J’attends, inerte, qu’on vienne m’aimer. Et rien. J’attends. « Il faut être patiente, tu vas voir, ça arrivera. » Et toujours rien. Je m’immobilise toujours plus. Je vais devenir un tronc d’arbre un jour ! Je me sens me rigidifier : ai-je le choix ? « En effet, j’arrête de lutter contre. Oui, je me laisse endurcir et refroidir. Plus le choix. Non. » « C’est pas si grave, tu en fais trop. Arrête de dramatiser ! »
Et ce dos qui m’agresse, qui répond à toutes mes douleurs.
Il y a toujours un dos pour surgir et me laisser seule. Tous ces dos qui m’abandonnent. Je connais une forêt de dos. Voilà, c’est un peu comme si partout où j’allais, branle-bas de combat de dos. «Tout le monde de dos !» me direz, on peut voir et sentir beaucoup de choses avec des dos. Leur tonus, leur équilibre ; est-il atteint de scoliose ? Souffre-t-il d’une hernie ? Il est si stressé aujourd’hui ? Comme il a maigri ! Attention aux affaissement de vertèbres ! Ça ne va pas à la maison ? Difficultés familiales ? Ouh là ! Ces épaules complètement de guingois : il ne faut plus forcer comme ça ! Ecoute-toi un peu, sinon tu finiras cassé en deux !
Le dos courbé vers l'avant : celui à qui on aimerait tant venir en aide. Le dos qui prend tout, porte sans cesse et s’appuie sur cœur, poumons, estomac pour les faire rapetisser peu à peu jusqu’à les faire presque disparaître. Reste le minimum vital. Ce dos-là, j’aimerais tant l’aider, mais cela reste un dos, lisse sans prises. Alors, je me contente de le comprendre, de l’observer jour après jour et de compatir, de ma place. Je me dis qu’il ne montre pas la face mais qu’il ne sait peut-être même pas qu’on peut ne pas être de dos, de dos à moi et à d’autres en tout cas. Il y en a à qui il fait face mais c’est pareil, il ne sait ni pourquoi, ni comment. Il est dans le brouillard ce dos. Les bons jours, je ne lui en veux pas. Les mauvais jours, je le hais comme les autres. Je hais sa faiblesse et sa méprisable cécité. Ce sont les mauvais jours, quoi.
Ceux, épaules sûres et droites, dos décidés et toniques, ceux-là, je n’ai aucune pitié pour eux. Ils y ont droit comme tous, mais je ne peux rien leur accorder. Ils jouent trop faux et trop facile. Ils savent qu’ils me tournent le dos, nous tournent le dos à nous, cachés sous la commode, jamais trouvés. Mais peu importe ! Nous ne sommes pas intéressants et surtout si faibles. C’en est presque répugnant. Non, tout à fait dégoûtant ! Envie de vomir ça leur donne notre fragilité. Alors, ils se détournent fiers et faits pour la vie, contrairement aux geignards qui s’embourbent dans leurs excréments. Je ne sais pas si quand je serai une vraie adulte, quand je saurai respirer le vrai air, je continuerai de leur en vouloir et de les haïr comme ça. Probablement oui, les épaules fortes et vivantes qui se sont maintenues dos à moi. Les épaules exagérément propulsées en arrière ou même infiniment relevées dans leur fierté, je leur pardonnerai. Ils ont peut-être aussi lutté comme ils pouvaient. Sûrement, sinon, pas besoin d’exagérer. Quand même, pourquoi ne m’opposer que leur dos ? Ne rien m’opposer ou presque ; et toujours me renvoyer à moi-même.
Tous ces dos comme des miroirs pour que je me regarde encore et encore. Comme si j’en avais besoin. Je ne veux plus de tous ces dos sans yeux et sans regard. J’ai besoin qu’on me regarde, que des yeux pleins me fassent face. Pas ces dos désespérants qui me rendent toujours plus grise et plus seule. Il n’y a que mes yeux pour me regarder.
Certains dos peuvent quand même me divertir. Certes, ils ne possèdent pas davantage d’yeux que les autres. Mais, ils sont vivants, ils bougent, ils dessinent des formes, des jolies courbes. Même parfois, ils se retournent. Pas longtemps mais parfois tout de même. Ils n’avancent pas mais ils tendent les mains, un peu, ils bougent pour nous, ils nous regardent quelques instants. Puis, nous voyant troncs d’arbre paralysés, englués et suppliants, ils en reviennent au dos.
Je me demande si on ne finit pas par les aimer ces dos. On est un peu obligé. Ce sont les seuls qui nous lient au monde des autres. Oui, ils posent notre solitude mais au moins ils se montrent, nous disent quelque chose. Au début, on n’y voit rien dans ces dos, quand on s’aperçoit qu’on est entouré de dos et d’épaules. On met déjà du temps à en avoir conscience. Et puis, on est submergé d’horreur. Ça ne s'arrête pas ! Retournez-vous ! On hurle. … Pas de réponse. Et puis, c'est quand la mort ? Quand ? Vite, s’il plaît quelqu’un ! Et puis, ni mort ni quelqu’un. Et on apprend à décrypter et même à aimer, peut-être, ces dos. Ils sont subtils à comprendre, ils sont timides à s’exprimer mais on les apprivoise peu à peu et ils prennent sens. Pas vie mais sens ! Ils n’ont pas d’yeux, pas de mains. C’est de l’autre côté que ça vit, mais de notre côté c’est le vertébral, le cervical, le médullaire, l’occipital et ça a du sens, ça parle. Il faut chercher ça oui ! Au final, je me sens sûre de ce que je sais des dos ; c‘est du solide. Je peux me fier à ça. Ça ne s’échappera pas comme le reste. C’est mon trésor : je lis le langage des dos. J’hésite à en faire ma spécialité : « Liseuse de dos ». Pas sûr que tout le monde comprenne. Expliquer ? Oh que non ! Pire que le mal, ils ne me comprendraient que moins. Et, pour couronner le tout, passer pour une illuminée.
Il arrive parfois qu’on se retrouve nez à nez avec un liseur dorsal. Et là, ce n’est pas un « Ah ! Je ne suis pas toute seule » soulagé, ce ne sont pas les retrouvailles tant attendues que l’on ressent ; on est tout interdit. « Un autre handicapé », « un autre embourbé », « ce qu’il est sale et ridicule ; je suis comme lui ». Après un instant de surprise plutôt rassurée, le dégoût me prend à la gorge, nous prend à la gorge, tous ; je parle pour les autres bouillasseux, leur regard me l'a dit. On recule, on grimace intérieurement de ce monstrueux miroir. Pire qu’un dos ! Là, on vit une autre personne, elle rentre en nous par tous les pores tellement elle nous ressemble. On ne peut que se reculer chacun dans son enclos, fascinés par ce spectacle révoltant. On hésite à opter pour le dos. On y résiste et puis finalement, on y vient nous aussi, entre pairs. J’ai bien essayé d’y résister, d’évacuer ma répugnance, mais mon dos me démangeait trop, il m’appelait pour intervenir sur-le-champ, sentant le danger vital qui me menaçait. C’est vrai, il me protège mon dos, il me sauve in extremis mais il est ma lâcheté.
Parfois, je les aime bien les dos, je le disais tout à l’heure. Mais souvent, je les regarde, je les scrute dans leurs intimes profondeurs, tous leurs infimes mouvements, sans arrêt, et je les envie trop, je leur en veux trop. Cela devient insupportable. Et alors, je les poignarde tous, lentement, en observant avec attention la forme de la blessure que chacun adopte, la façon dont le sang s’écoule, l’aspect du liquide, son flux, son énergie, les tressaillements du dos, la colonne vertébrale qui se mue en serpent pour lutter vainement, pauvresse, contre la traître blessure.
Le sang qui s’écoule. A chaque individu son sang. Du sang sur un dos : c’est comme un fleuve et ses affluents qui se construisent en accéléré.
C’est beau. Je trouve toujours cela beau.
Tout un réseau de liquide plus ou moins dense, intense, marbré par endroits, noir foncé à d’autres, des monticules, des chutes. Enfin, jamais le Niagara quand même, ce n’est qu’un dos et la blessure d’un poignard. Ce qui est étonnant, c’est l’instinct de la blessure à appliquer sur tel ou tel dos. Je sais quel coup donner, quelle tranchée creuser dans le dos. Chaque dos appelle sa blessure. Peut-être que j’ai pris suffisamment de temps à les observer, les deviner tout en-dessous de cette peau hypocrite. Maintenant, je sens la fissure qu’il lui faudra pour qu’il soit vraiment beau dans son sang. Tous ceux qui connaissent les dos vous diront la même chose.

Quand même, je vérifie si j'avais vu juste. La vérité se fait jour. J'ai raison. Presque toujours.

Au fond, en y réfléchissant, je ne suis pas sûre d’avoir si envie que ça que les dos se retournent. Je vis dans la haine, dans l’espoir du sang qui coule. Et en même temps, je le connais ce dos, je le prévois, je le comprends et je peux le blesser aussi profondément que j’en ai besoin. Tout en me bannissant, il me distingue, il m’enrichit et m’autorise ce que les autres auxquels de vrais visages font face ne peuvent absolument pas voir. Bannie, exclue mais libre. Ça me plaît d’y croire. De toutes mes forces.