samedi 25 juin 2011

Regard

Je suis dans le train bondé, j'ai chaud, je ne rêve que de mon douillet canapé dans lequel m'effondrer et ne rien faire que respirer et laisser battre mon coeur tranquillement. Je crois, je suis sûre qu'il n'y a que cela dans ma tête. Je me trompe.
J'abaisse mes paupières pesantes et fatigantes.
Les yeux apparaissent.
Derrière mes paupières, les yeux m'attendaient et je ne m'en doutais pas. Interdite un instant, je les accueille naturellement et les savoure de tout mon être. Peut-être qu'au fond de moi ou juste au-delà des idées de surface, je savaient qu'il étaient là, patientant, sereins.
Les yeux sont d'un bleu qui n'a pas de nom, qui ne peut d'ailleurs pas avoir de nom. Ils sont bleu de vie. Ils me regardent, sûrs de leur existence et de leur valeur. Ils me plongent dans leur mer qui m'enveloppe et m'ancre solidement en moi-même, en mes entrailles.
Les yeux sont forts, puissants ; mais ils ne me font pas peur à moi la froussarde. Je ne pense pas même à en avoir peur. Ils aimantent mes propres pupilles et les font vriller et se tenir. Les yeux sont forts mais ils ne violent pas. Jamais. Ils partagent leur douce et ferme assurance. Ils restent dans ce visage qui est le leur et dont je ne vois qu'eux. Il ne s'immiscent ni maladroitement ni subrepticement en moi. Ils savent et ils attendent de savoir. Calmes.
Les yeux ne me lâchent pas, ils ne s'enfuient pas. Est-ce leur bleu qui leur donne cette franchise tenace et bienveillante ? Je l'ignore mais je sens que le bleu des yeux est comme un talisman, il les rend magiquement humain et m'entraîne vers la profondeur de ma propre humanité.
Je suis un moment fascinée, je l'avoue. Et je l'avoue sans honte. Ces yeux-là, on ne les rencontre que quelques rares fois en une vie. Je suis fascinée mais les yeux ne me demandent pas de me soumettre, ils n'exigeraient jamais cela de moi. Je l'ai dit : ils restent à leur place, ils regardent et voient de là où ils sont, ils n'ont pas besoin de plus.
Je me sens mal, j'ai chaud, j'ai peur, je ne souhaite que me pelotonner au fond de moi-même, contre mon dos. Les yeux se fixent sur moi et me relèvent. Ils me tiennent parce qu'ils savent mais aussi parce qu'ils demandent. Ils savent qui ils sont et s'ouvrent à moi, me laissent libre de les explorer ; et ils me demandent qui je suis. Je ne suis pas bien, je suis verrouillée, tous mes loqués sont bloqués et me ferment. Mais les yeux les font glisser doucement dans leurs gouttières, sans doute sans intention de le faire. Et moi qui ne ressentais plus et attendais, des larmes intérieures renaissent et me réveillent de mon inconsciente inertie. Je n'ai pas envie de pleurer. Ce ne sont pas ces larmes-là que les yeux animent : ce sont les larmes qui font sentir le coeur battre et le corps vivre.
Ces yeux-là, ils connaissent leur existence bleue, ils reconnaissent leur valeur mais ignorent leur rareté. Et cela finit de les poser en inévitables vainqueurs.
J'ai peur de trop les approcher et de les faire reculer. Les yeux ne s'échappent pas, ils ne sont pas menacés, ils ont saisi leur pouvoir. Mais, chacun sa place et il s'agit de ne pas dépasser l'invisible limite que chacun d'entre nous connaît et pressent. J'ai peur d'avoir trop envie de les toucher, de les découvrir de tout près. Mais ils ne sont pas là pour cela, ils me le disent et je m'arrête de moi-même ; ils me donnent à savoir m'arrêter pour ne pas me perdre, ne pas nous perdre.
Ils font sursauter en moi la belle humanité, chaque fois ; et je tressaille vers la vie, étonnée, chaque fois. Peu importe pourquoi et comment. 
Si jeunes ces yeux pourtant !
Je jouis de l'existence qui reprend ses droits et de la mort qui s'incline. 


samedi 11 juin 2011

Rage

Elle est revenue hier.
La vague monstrueuse.
Elle est arrivée à bas bruit du fond de mes entrailles.
Et, elle a jailli. Jailli.
Je suis noyée dans la haine.
Le monde devient d'acier. Je suis un être d'acier, un exterminateur.
Je grandis avec et en elle.
Je deviens plus forte, la plus forte.
J'avance, les yeux saignants et fatals.
Je regarde ceux qui croient tout pouvoir contre moi : ils sont morts.
C'est moi qui les viderai, les éviderai, les regarderai crever sans pitié.

Et puis elle m'échappe.
La rage prend les commandes et me laisse traîner derrière elle.
C'est moi qui la suis, après l'euphorie de ma toute-puissance.
Elle irradie, elle m'a prise.
Sournoise, elle me séduit toujours, je la laisse m'envahir et ressentir cette jouissance du pouvoir retrouvé, je peux respirer, écarter les autres, avancer sur ma route, celle que je ne partage avec absolument personne alors.
Je n'aime plus personne de toute façon.
Mais la rage est le sixième élément, et elle aura toujours raison de moi.
Je suis humaine, je le regrette. Elle ne l'est pas.

Peu importe : pour ces quelques instants d'extase où mes yeux peuvent saigner et meurtrir, je lui ouvre mes entrailles et lui offre mon être.