vendredi 29 novembre 2013

Les bienfaiteurs

Il y a ces femmes
Puis ces hommes
Jamais assez remerciés
Jamais du tout parfois
Toujours dans un coin aux aguets
Cachés derrière le palpitant.
On les rencontre un à un
Et doucement, ils viennent grossir
les rangs des prophètes.
Ils se fondent.
Pas d'accoups
Ou alors, maladresse
Assumée
Sourie
Et jamais vu !
Pardonnée
Malgré le coup au cœur.
On les aime ou pas,
Ça ne compte pas.
Pour eux, on suit la grille des exceptions.

Au début, on se dit qu'on fait bien vite confiance
à l'inconnu.
Avec la tête, on aimerait retenir le galop
Imprévu.
C'est peine perdue puisque tête et neurones sont au placard
On les écoutera plus tard
Exprès trop tard.
Ils n'y verront que du feu
Puisqu'il y a correction.
Le sang ne bouillonne pas
Pas d'éruption
Le monde est calme.
C'est un instinct
Élan quotidien étouffé
Maître sans conteste des grilles des exceptions.

Ces femmes
Ces hommes
Ne parlent pas.
On entend la mélodie
Et le chant des yeux
Puissant
Tenace
Souffrant un jour
Lucide depuis
Clairvoyant
Acrobate introspecteur.
Ils vous regardent droit
Au fond des orbites.
Ils ne savent pas notre couleur.
Ils tendent la main
Au haut de la marche
Devant laquelle on
Souffle
Peine
Panique.
Mais non, ils interdisent
Le droit de cité à cette garce.
Ils calment le monde
Ils bercent mon monde
Les bienfaiteurs.

Ces femmes
Puis ces hommes
Chaque saison différents
Qui viennent grossir
Le rang des prophètes.

jeudi 28 novembre 2013

Capitaine Poème

Désolation,
tour et retour,
incessamment,
à chaque page blanche,
chaque premier mot.

Joyeuse et vive
libre et sincère.
Un peu fébrile
face à ma feuille
et mon stylo,
devant la chance
d’avoir une arme
de la manier
sans effraction
au creux des chairs
chéries haïes.
Sans les blesser.
Sans faire couler
le sang
passés par là
juste au moment.
Rage et douleur
désolation
inopportunes
qui m’appartiennent.

Joyeuse et vive
libre et sincère.
Un peu frustrée
de voir gueuler
le cri amer :
désolation.
Les vieux pourris
le plus souvent
demeurent entre eux
malveillants oui
mais impuissants.
Pourtant résiste
le cri de guerre
des temps de peste.

Joyeuse et vive,
libre et sincère.
Un peu lassée
de ces malheurs
régurgités
reruminés
qui croient encore
à leur pouvoir
décapité
depuis des lustres.
Peut-être pas
siècles et des siècles,
quelques années
mais de longs mois
récupérés
sur le passé.
Ils devraient être
découragés
les vieux pépés
d’un autre siècle
cruels semeurs
de zizanie.
Ils lancent encore
feu de détresse
« Désolation »
comme une prière.

Joyeuse et vive,
libre et sincère.
Un peu fâchée
Mais colère saine.
Ils n’auront pas
le dernier mot
ni ma quiétude
de détraquée
ressuscitée.
Personne ni
quelqu’un
n’arrachera
mon cœur
cousu
trop tard
d’handicapée
pestiférée
revenue d’entre
les morts.
Désolation
je te honnis
tu es un leurre,
une ironie,
celle que je crache
de vieux pourris
en mal de plaie.

Joyeuse et vive,
libre et sincère.
Un peu rêveuse
et capitaine
de mes poèmes.

mardi 26 novembre 2013

Les vieux pourris

Changé de vie
Grandi
Appris
Mûri
Saisi
Molli peut être un peu.

Changé de case
D'étage
De plafond
De palier
De cran
Désormais, le vertige sur un tabouret.

Changé d'amour
D'amis
D'ardeur
D'élans
D'élu
De douleur. Beaucoup moins masochiste.

Le jour de solitude,
autrefois redoutée
aujourd'hui attendue.
Toujours pas appréciée.
Changé de vie
Changé de case
Changé d'amour,
Les vieux pourris s'éveillent.
Ils ont changé aussi
Pendant l'anesthésie.
N'ont pas vieilli,
Indéfectibles.
Transformation du temps
Que je croyais, naïve,
Mon apanage d'humaine.
Les vieux pourris
Liftés ragaillardis
Sonnent à la porte
A la seconde exacte
Du coup d'envoi.
N'attendent pas la réponse
S'installent autour de moi
Apéritif
Avant la danse sacrée.

Les vieux pourris
Sont de retour
Jamais levé le camp
Caméléons
Prêts à la chasse
Ont attendu
Année après année
L'éternelle faiseuse d'anges
Satanée solitude.
Comme au très bon vieux temps
Sont remontés sur scène
Pour l'unique spectacle.
Mais l'habitude collante tenace
Comme le vélo.

A la prochaine les vieux pourris,
Atrophiez-vous
Effacez-vous
Entretuez-vous
Disparaissez.

Changé de vie
Changé de case
Changé d'amour.
Démons pourris
Imperturbables.

Fou y es-tu ? (15)


J'étais
Pataude
Penaude
Noiraude
Poiraude.
Détestable.
Jetable
Recyclable ?
Ratée
Tarée
Tortueuse
Rétrécie.
Erreur
Errant
Erratique
Une Erronée
Erodée
A la naissance
Rasée
Comme une opérée
A peine née
Mal sortie
Mal bouffie
Mal nourrie
Avariée au premier souffle
Hybride
De deux
Détériorés
Une malédiction
De vies torses
Pourries
Édentées.
Le fruit affamé
De géniteurs
Camés.

Et toi en face
Droite dans tes chromosomes
Chaussés fièrement.
Taiseuse pour moi.
Et toi brave
sans dérogation
Au respect de soi
Et d'autrui.
Intègre.
Poussée.
Ancrée.
Homogène.
Fluide.
Ferme.
Rythmée.
Marée.
Berceuse de ma jeunesse.
Flamboyante
Sûre entre tes deux yeux
Serrée entre tes hanches
Bordée par tes deux pieds,
Cheveux d'héroïne atypique
Au poing.
Je pinçais les lèvres
Affrontais l'ennemi
Du bout du crâne
Mains cachées aux aisselles
Puantes d'angoisse,
Œil révulsé par ma lâcheté
Caressant mes belles idées loin
ô loin
A l'intérieur
Ou très haut,
Je n'ai jamais su vraiment.
Tu gonflais la bouche
Enragée
Et tu t'avançais
Souriante
Sans heurt ;
Assourdissant.
Vertigo sur mon axe.
Personne n'y résistait.
Aucun doute.
Aucune lézarde.
Des mots de fortune
Fusaient par-ci par-là,
Isolés
Impuissants
Et ton sourire impeccable leur crachaient
Dessus
Sans bouger.
Stupéfiant
D'entièreté.
N'est pas fou celui qu'on croit.
Tu disais que tu savais tout ça.
que ça passerait pour moi.
Et je pressentais que pour toi non.
Je savais.
Évidence.
Comme j'étais née déchet.
Tu vieillirais perchée.
Depuis le début, je savais.
Toi aussi.
Que je boucle dans ma cervelle
D'abstinente
Obligée.

L'absolue rédemptrice
Ma route
Ma sœur
Serre ma main.
Danseuse de vie.



lundi 25 novembre 2013

Arrosé arroseur

Le sombre ciel se fissure
d’électrique azur
une cruelle blessure
au plus tendre des frisures
moutonneuses, éclaboussure
brutale, brisure
sans pitié dans l’immense et céleste vomissure.
L’homme meurtri admire de sa masure
le puissant écartelé par la morsure
diabolique, miroir en démesure.
Sourire Joker, sanguinolentes commissures.
Assis tranquille à l’embrasure
de son logis, et se rassure
de partager sa fulgurante misère.

Un jour elle a surgi geyser
brûlant au cœur des glaces qui serrent
le cœur dense et pudique ; cratère.
L’implacable carnassière
immonde braisière,
inatteinte adversaire.
Elle rôde à la lisière
du vivant, morbide janissaire
de la faucheuse. Se déguise mignonnette rosière
inimitable faussaire.
Au diable les stupides rosaires
superstitieux , prières absolues nécessaires.
De tout temps, les charognes incisèrent
au plus tendre de la douceur.

Mais, de siècle en siècle, apparaît le danseur
à son tour armes en main, briseur
intrépide inconscient haïsseur
repenti sublimé héros exorciseur.
Il valse de rôle en rôle, agresseur
détesté ou charmant amuseur
indomptable casseur
ou séduisant causeur
dans ses filets ondulants, berceur.
Il est l’incontournable coutelier aiguiseur
de révolte ; réveilleur du penseur.
Magicien de l’espoir, diseur
d’entredéchirures, à venir. Transgresseur
salvateur : devise d’arrosé arroseur.






dimanche 24 novembre 2013

Auto-régulation (14)

Précaution.
Circonspection.
Inspection.
Suspection.
C'est important.
On dit que j'en fais trop.
Bof bof.
Ça convient comme cela.
Je n'ai pas toujours été aussi minutieuse.
Mais l'insouciance !
La rigolade.
Mon gros rire stupide les salit d'erreur,
ils s'y prennent.
Pourtant, ils se doutent bien que c'est l'exception qui confirme la règle.
Je ris, me voilà régulière.
Sincère.
Honnête femme
et ses règles.
Quel casse-tête ces périodiques !
Parfois, j'en enduis le sol des WC de vieux journaux.
Ça coule ça gicle.
Il faut pas le dire.
Quelle putain je fais !
Personne n'entend.
Tout va bien.
Inspection de la plus infime parcelle de peau
giclée de nouvelles fraîches
mais chaudes
tièdes de l'intérieur utérin.
Mais enfin Anna ! Arrête ça tout de suite !
On ne parle pas comme ça, c'est dégoûtant.
Ben,
il paraîtrait.
Mais moi ça m'intéresse.
C'est bien curieux d'être
régulée
régulière
mais pour personne
régalée
régalienne
régurgitée.
Tout ça là où on s'y attendait le moins.
Je ne suis donc pas une séculière
et pourtant je réponds d'une tradition ancestrale
du cul
c'est cul
sécu
de femmes
de toujours.
C'est vrai
comme pour le quotidien
et l'hebdomadaire
sans bosses (jamais compris),
sécurité du mercredi et de tous les matins
et puis de tous les mois.
C'est tout pareil ces rythmes-là.
Circonspection avisée
de toutes les périodes du jour.
Ça ici là maintenant
heure H
minute M
réglées.
L'horloge circonspecte avec moi.
Il y en a toujours une quelque part.
La cherche en arrivant et
clin d'œil à la cloche en aiguilles.
On se suit jusqu'au départ.
Relais à sa voisine.
Cycle sans trou.

On finira plus tard
l'histoire.
Si on retrouve le fil.

Anna

Anna et les danseurs de vie (13)

Jour après jour
d'inanition
involontaire
même même même
électrocardiogramme plat
aucune montagne
ni russe ni autre
dans les battements.
Pas de boum boum pour moi,
j'ai un cœur qui ronronne.
Plus tranquille tu meurs.
Le lot des congelés.
Ma vie se passe
dans un lit d'hôpital
à programmer la marionnette
qui trompe le monde.

Un jour par an
toujours nouveau,
suées chaleur
tambourinage du palpitant.
La politesse est caduque.
La politesse est folle.
Je deviens sympathique.
Ma poitrine est une exhibitionniste,
ouvre sans honte,
impulsive,
une fois n'est pas coutume,
fête des morts
des fous
des tendres.
son imperméable de raté,
sans sous-vêtements,
dans le plus simple appareil.
Celui que j'appréciais hier
à coups de poignées de main appuyées
pas plus,
aujourd'hui, je lui dirais
combien je compte sur lui
combien je l'admire
combien je le désire
qu'heureusement qu'il est là
qu'il rend le monde moins
neutre.
Il fait partie des côtoyés
de loin en loin
quotidiennement,
quelques mois,
quelques semaines,
un ou deux ans,
qui recharge le cœur
mou du genou.
Toujours des hommes,
pudiques,
intègres,
convaincus,
les pieds dans le sol
racines mouvantes jusqu'au noyau de lave
arrimés à la terre
danseurs de vie.
Ils font valser
gaiment
culs de jatte
et moribonds.
Ils sont ceux
à qui je dis merci,
moi l'intouchable,
en ce jour
rebondi.

Ce jour dégouline
et déteint sur les suivants
jusqu'à se délaver de chaque seconde.
Il est le kamikaze
de l'année.
Sacrifié nécessaire.
Rien à en dire.
Il laisse bouche bée.
Il balise l'enceinte des possibles.
Il fait badaboum
et choque dans tous les coins.
Batterie du cœur
remise à neuf.
Un badaboum qui inquiète
Messieurs les Docteurs.
Mon salut.
Insolent.

samedi 23 novembre 2013

Jamais la bouche vide

Des mots à la bouche
jour et nuit
toutes les heures que Dieu fait.
Ou autre chose
mais que la langue, les lèvres et la béance buccale
vivent
pour qu'on n'y fourre rien d'autre.
Leurs mots.
Leur bouffe.
Leur sexe.
Leur poing.
Qu'on ne profite plus
plus jamais
d'une tranquillité immobile
hospitalière
permissive
sans pont-levis ni barricades.
La brèche au milieu de la face.
C'est tentant ce trou à la vue de tous.
On entend ça.
Et aguicheur, équivoque.
Peu importe l'âge.

Ferme la bouche quand tu manges !
et pour tout le reste aussi.
Ne l'oublie pas.
Sinon, on t'en fera avaler des couleuvres
et tu n'auras plus qu'à
motus et bouche cousue.
Tu verras que tu n'auras plus le choix.
que tu empoigneras
les mines et plumes,
de peur que s'introduise
un objet pénétrant non identifié.
Tu n'entrebâilleras plus jamais,
dans le doute.
Sauf à y glisser ta langue
par prudence
pour bien remplir tout subreptice interstice.
Quitte à ce que tout le monde la voit
ta langue.
Tu courras ce risque-là.
Moindre.
Sans hésitation.
Tu désoleras ta mère et les petits chéris
qui voudront t'entendre chanter
et inspirer le même air qu'eux.
Tu recycleras le rien
propre
et pas davantage.
Tu ne pourras plus partager.
Parce que tu sauras
maintenant
que personne ne partage.

Il y a
toujours
un gaveur, un bouffé.
Une brèche, une lame.
Un fonceur, un enfoncé.
Un briseur, un baisé.
Un voleur, un violé.

jeudi 21 novembre 2013

Les vrais gens

Lèvres et cul serrés
croisement furtif
regard fuyant
aussi antipodique que possible.
"On ne se voit pas
je ne te vois pas
d'ailleurs presque tu ne me vois pas non plus
(boule de cristal et ahanements suspects)

Qu'est-ce qu'elle raconte la mégère poursuiveuse ?
J'en égare mon bas-latin
fondation rassurante.
Elle me fait face
elle m'évapore
comme un aspirateur à vie.
Elle me mitonne
dans sa marmite
automatique
hymne à la moutonnerie
l'un après l'autre
Dolly
Dolla
Dolto, ah non ! pas celle-là ! doléances turbulences
elle rue dans les brancards
débats
débinades
débridée
déboussole.
Donc éradiquées
impressions
intentions
inflexions.
Tous au pas
pas de faux pas
Extinction des feux zygomatiques.
Translucides
insipides
indolores.
Elle règne en blanc métallisé
décoré,
mensongèrement
sur son immensité aseptisée.
Elle s’y repaît
s’y roule.
Aussi jouissif qu’un cochon dans sa boue.
Le vide la comble.
J’en suis toute chose
de comprendre ça,
à rien saisir.
Toute chose
ou
rien du tout
puisque je suis liquéfiée
désormais
sous ses ordres.
J’en ressors,
c’est pas le bagne à double tour,
Juste un passage en chambre froide.
Le fond de l’air est frais non ?
Je traîne encore un bout de neige immaculée
s’accroche à mes trousses.
Qui fondra
au contact
des vrais gens.


mercredi 20 novembre 2013

La p'tite chérie (12)

 Panorama d'une folle ; confidences entre pairs (12)

De temps en temps, régulièrement, la p'tite chérie pointe son museau dans ma boutique.
Les jours de grosse mer.
Elle est toute verte.
J'ui proposerais bien un p'tit rmontant.
M'prendrait pour une folle, pour sûr.
Le suis pas plus qu'elle.
Peut-être pas moins non plus.
Elle m'fait de l'effet la p'tite chérie.
J'suis pas rouquine moi.
Mais ç'empêche pas, comme on dit.
On est du même bord.
Les dézingués
Bercés trop près du mur
La coloquinte qui bouffe a tous les râteliers
Alors forcément au final,
C'est le bordel.
La p'tite chérie aussi elle connaît bien ça.
Elle est toute douce.
Elle, on l'a pas balancée contre le mur.
On l'a doucement toquée.
Ça donne une douce folie.
Enfin, moi je la vois que de temps en temps.
C'est bien facile.
Mon cher mari vous dirait que de se coltiner une foldingue
Tous les jours
Que Dieu fait
Oui Môsieur,
Ben c'est pas du gâteau.
(Et c'est un gourmand qui dit ça.)
Bref, de temps en temps, la p'tite chérie fait clignoter la sonnette d ma porte vitrée.
J'allais vois et j'lui souris.
M'fait cet effet là.
J'suis pas une rigolarde pourtant.
Le sais bien.
Elle me répond
Très correcte propre sur elle sans bouger un muscle du visage au-dessus des lèvres.
Jamais vu quelqu'un d'aussi immobile.
Mon mari, m'a ri au nez quand j'ui ai dit ça.
C'est bien par que tu vois pas ta gueule de désolée qu' tu dis ça.
La p'tite chérie donc elle m'passe à coté
Fonce sur les minous en couche culotte.
Les rgarde à travers la vitre.
Elle fait aussi pitié qu'eux.
Même si maintenant, elle sait bien que j'vais lui ouvrir ce satané bocal.
C'a l'air de lui tournebouler les tripes.
Chaque fois rebelotte.
Après, elle s'met à leur papoter à l'oreille
Chacun leur tour.
Elle écarte bien le pavillon
Les miaous sont pas contents
Z'imaginez.
Mais y a un moment,
Ils lâchent l'affaire
Attendent patiemment.
Ils ont un instinct pour détecter l'humain qui déconne
Cont' qui pas la peine de lutter.
Ses raisons à lui sont pas les mêmes.
Et puis il en a besoin.
Alors la p'tite chérie,
Sais pas ce qu'elle baragouine
Mais ça dure ça dure.
J'ai le temps et m'mettre à ronfler sur mon siège.
Et puis, elle se débrouille pour me réveiller
Sans m'approcher
Tintement par-ci
Hmmm hmmm par-là.
L'est toute ragaillardie.
Un sourire pour le voyage.
Me voilà esbaudie.
C'est toujours un miracle ce sourire Email Diamant.
Elle doit les astiquer ses quenottes.
Et moi ça m'fait un p'tit chaud au cœur d'avoir consolé
la p'tite chérie.



mardi 19 novembre 2013

Avant même

Avant même d'avoir ouvert les yeux,
Immobile
Glacée
Coup de pompe brutal au réveil
Sang à la tête allongé
Une milliseconde
Déferlement
Mémoire aiguë.

Avant même d'avoir franchi le seuil,
Agitée
Fébrile
Le combat passe et repasse sous mon front effervescent
Joute médiévale
Guerre des tranchées
Hiroshima
Toujours l'imbécile seule dans le marasme
Par dignité
Par défiance
Surveillance pointue.

Avant même d'avoir un regard à crocher,
Stérile
Habitée
Imagination
En voisine parano
A l'affût derrière son œil de bœuf
Le temps perdu
A croire
A transpercer le futur
Au tournevis rouillé
Energie foutue.

Avant même d'avoir ouvert la bouche,
Paniquée
Malhabile
Théâtre intérieur
De la Métamorphose
Cafard ou truie
A mépriser
A repousser
Plus de droit du sol
Race inutile
Immense battue.

Avant même d'avoir été quelqu'un,
Je ne suis déjà plus.
Le monde allié git à mes pieds
Lové comme un toutou
Brave et stupide.
Il ne se lèvera que pour me suivre
A la botte de ma volonté
Par le bout du nez
Mais il ne brandira pas d'armes contre le vent
De mes rêveries
Incohérentes.
Sans pitié, rationnel,
Il ne mâchera rien
Du labeur formidable
Avant d'avoir serré une poigne.
Accompagnée,
Caressée,
On ne me tient pas la main comme un petit
Quand même.
Et l’air délirant soufflera contre le dos
Qui courbe.
Et je resterai droite.



Papier secret

Une de ces journées
Qu'on giflerait
Bruyamment
De toutes ses forces
De toute la lave contenue
Mais qui se prépare à cracher,
Qu'on saignerait
Jusqu'à la moelle
Jusqu'au plus minuscule battement de
Capillaire encore vivant
Qui oserait encore s'agiter,
Qu'on éclaterait
A coups de grenade avalée de force
Giclage en étoile
Enfin parfait,
Dont on rirait
A s'en étouffer
Mourir bêtement.

On giflerait comme on s'est senti giflé
Par un mot,
Un souffle
Une main balayeuse ou menaçante.
On saignerait comme on s'est senti saigné
Comme un vulgaire cochon
Comme l'enfant qu'on était qui se laissait ouvrir
Et dépiauter
Chaque rat s'emparant d'un organe
S'en affublant comme couvre-chef
Ou collier de perles
Et moi, lâche évidée,
Patientant,
En croix
La fin viendra
Ça paraît long mais ce ne sont que quelques minutes dans ta vie,
Tu pourras en parler.
Parler de la saignée ?
Mais celle qui l'a été est morte ! C'est une nouvelle qui se maçonne à la six quatre deux. L'autre n'était plus viable enfin ! C'est pas la première fois tout de même ! Tu devrais le savoir maintenant.
Tabula rasa,
On n'en parle pas
Ça n'existe pas
On l'oublie
On profite du répit
On peut respirer.
On se relèvera demain en sachant
Qu'un nouveau round s'approche
Et qu'on n'a pas de gants.
Et qu'on n'a pas de courage.
Qu'on a beaucoup trop peur.
Qu'on prie pour que ça s'arrête.
Et qu'en se cachant le soir,
On voudra torturer le monde
Et sans même y toucher.
On l'éclaterait comme on s'est senti éclaté
Feu d'artifice viscéral
En orange noir
Et flamme à nu
Par les trous pour les yeux.
Et on se repasserait le film
comme une folle
Insatiable de vengeance.
Contre cette journée putasse
Et ses janissaires sans scrupules.

Et puis on se dit que cette rage et cette bile,
Elles nous avaient un peu manqué
On ne le dira à personne d'autre
Qu'au papier blanc
Motus et bouche cousue.
Ça pour cousue, elle l'est la bouche !
Le papier n'a que des coins,
le pauvre gars.
Il dira rien quand même.
Une tombe cet ami-là jusqu'à la mort
ou la fouille,
en chemise invisible.

lundi 18 novembre 2013

Embauche (11)


J’y repense souvent à ce jour où je l’ai embauchée Anna.
Elle est arrivée 22 minutes en avance. Je ne savais pas encore que c’était un principe de vie. 22 minutes d’avance, ou 20, 18 les mauvais jours. Toujours les minutes par paire. Et jamais moins de 18. je crois l’avoir entendu en parler avec son collègue, un certain Patrick du service informatique lui aussi. J’étais bien surpris. En même temps, pas. Les barrières du monde ne sont plus les mêmes avec Anna. Au lieu d’être une ronde, rythmée et symétrique comme les hommes aiment à le penser, cela devient un polygone biscornu, un polygnome peut être. Ca lui va bien à Anna cette idée polygnome. Un truc qui déjà n’est pas bien normal et qui l’est encore moins, comme si elle voulait que tout soit surtout bien anormal.
Ce fameux jour donc, elle s’est présentée à la secrétaire : nom, prénom, date de naissance, numéro de Sécurité Sociale, RIB à la main. La secrétaire était interloquée et s’est figée. Elle n’a rien dit, elle s’est simplement tournée vers la porte de mon bureau, pleine de l’espoir de me voir intervenir. J’étais en entretien téléphonique mais j’ai observé toute la scène. J’ai vu Pauline continuer de fixer la porte, on aurait dit qu’elle voulait actionner la poignée à distance. Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi elle était si inquiète. C’est une femme organisée et cartésienne. L’émotion n’a que très de place dans son existence. Là, elle s'est effondrée comme une vieille chiffe molle et elle a appelé papa en silence. J'étais stupéfait. Je n'en ai rien laissé paraître ensuite lorsque je suis sorti.
Heureusement parce que j'aurais affiché un petit air suffisant. Je suis le chef et j'aime ça, je suis un homme et j'aime cette force, parfois, je m'octroie un petit plaisir en opposant un air de supériorité tranquille. Je ne suis certainement pas quelqu'un de tranquille ; c'est mon péché mignon, mon petit air de supériorité tranquille. Et je peux redevenir attentif et avenant après cette piqure de rappel. 
Mais ce jour-là, j'ai déchanté. Je n'avais pas prévu la séance pour tout de suite. Bien m'en prit. Je me retrouvai face à une gamine d'un mètre même pas soixante, aux cheveux orangés, pas loin de magrichonne, les joues creuses, les yeux plus flamboyants que les tresses bizarrement relevées sur sa tête. Un mélange de paysanne alsacienne à la coiffure en forme de bretzel et d'une jeune parisienne moderne un peu déjantée. Les tatouages n'étaient bien entendu pas visibles mais je les fantasmais dès cette première rencontre. A des endroits douloureux probablement, pour mettre à l'épreuve sa chair nécessiteuse. Autant dire que d'emblée, j'ai été assailli par des images bizarres. 
Elle s'est à nouveau présentée à moi, en gaminette qui a appris son poème de Verlaine sans rien y comprendre mais consciencieusement. Incroyable cette impression que quelqu'un est étranger à son propre nom. Je n'ai pas souri, pris par un kaléidoscope désordonné, pas le temps de sourire. Elle n'a pas souri non plus, cela ne fait apparemment pas partie de ses attributions. Et depuis, jamais, avec moi du moins. Je l'ai aperçue une fois avec Patrick. C'était un sourire pire que le mal. Le Patrick n'a pas eu l'air de s'effrayer mais moi, ça m'a fait froid dans le dos. Un sourire où il n'y a aucune joie. Je ne crois pas qu'Anna ait ça en magasin de toute façon, même derrière les derniers rayons. Comme sa présentation d'automate, un sourire indigeste, ingurgité parce qu'il faut, et rendu au moment adéquat. Donc, elle me tend la main pour la serrer, comme il se doit. Avec un dégoût palpable. Je lui en aurais presque fait grâce. Mais pas de faveurs et je sentais qu'elle aurait aussi pu mal le prendre. Allez comprendre ! J'ai fait un passage éclair dans sa main, elle a été surprise à son tour. Et manifestement soulagée. Drôle de bout de femme ! Je suis entré dans le bureau... Je donne tous ces détails très précis, c'est Anna et son corps qui veulent ça. Chaque geste prend sens ou perd sens, je ne sais plus, je ne sais toujours pas, avec elle.  Je reprends : je suis entré dans le bureau en premier, elle attendait ostensiblement que je passe d'abord. Je voulais la faire passer avant moi mais elle est restée fichée dans le sol tellement solidement ! Je n'aurais pas pu l'en déloger, je le savais. Autoritaire sans un mot. Un vrai tyran cette minuscule rouquine. Elle me suit dans le bureau, vérifiant que mon intention est toujours et l'y accueillir et aussi, je pense, que je me suis retourné et que je lui fais à nouveau face. Elle elle me regarde fort dans les yeux lorsque je lui tiens la porte, me tiens à ma place et peut enfin s'introduire dans la pièce. Je elle avance juste quelques pas pour se retrouver à ma hauteur, pas davantage. Elle s'arrête et attend que je referme la porte et la précède encore pour les trois pas qui la séparent du bureau. C'est elle qui mène cette danse. Je suis conduit là où elle le décide. Nous nous asseyons enfin. Un peu de confort enfin retrouvé en ce qui me concerne. Pour elle, il n'en est pas question. Elle s'assoit sur l'extrême bord de la chaise. Je n'en dis rien. Je sens qu'il ne faut surtout rien en dire. 
Alors, commence véritablement l'entretien. Je pose les questions, elle y répond précisément, argument après argument, s'il y en a. Sans rien rajouter, sans jamais dire je. Encore aujourd'hui,hui, j'ignore comment elle a réussi ce tour de force. Mais cela semblait tout à fait fluide pour elle, ce on et ces il. 
Pendant trente minutes, elle n'a pas bouger de son siège. Elle s'est un peu agitée au bout de 22 minutes, j'ai regardé ma montre. Ce n'est qu'après coup que j'ai fait le lien. Et puis, l'immobilité parfaite jusqu'à la fin. On aurait dit qu'elle jouait à la statue. Elle aurait gagner contre le champion du monde. 
Très vite, j'ai été fasciné. J'en ai conclu qu'il me la fallait dans mes employés. Elle semblait compétente, elle avait les références requises malgré un trou inexpliqué dans le CV qui a laissé laissé place à un implacable silence. Elle a serré les lèvres, quand j'ai posé la question. Cela m'a encore davantage intrigué. Surtout, elle mettrait un peu et piment dans cette équipe sinistre du service informatique. Et elle ne se laisserait pas impressionner par une horde d'ours mal léchés. Elle ne l'était pas mieux. 
La fin de l'entretien a donné lieu à un nouveau ballet, en bonne et due forme. Elle n'a pas remercié. Un au revoir, pas même poli. Comme le reste, un au revoir bien rangé quand on se quitte, comme maman a dit. 

Quand j'ai besoin de me changer les idées, j'observe Anna et je n'y comprends rien. Je prends l'air.

dimanche 17 novembre 2013

Panorama d'une folle ; âme de cœur (10)

Anna
Ma sœur,
mon âme sœur,
Âme de cœur
Mon ange.
La vie d'enfer,
Enfermée en famille
Brutale.
Home, sweet home
Parmi les cinglés
De la rue
Des martyrs.
Enfance fétide.
Sauf
Mon amie
Ma mie
Ma demie
Mon ange.
Seuil franchi,
J'oubliais
Chaque jour surprise
Par
mon insouciance
Ma joie
Ma fébrilité
Parfois
De retrouver le monde
Avec toi
Ma sœur
Mon âme sœur
Âme de cœur
Mon ange.
Tu ne le sauras
jamais
Et tu l'as toujours
Su
Pour les autres,
Palpitant ralenti
Implacable
Vigile sans concessions
Contre les fous
Furieux
Quotidiens
Je t'aimais plus que tout
Même que toi
Tu as été ma bouée
Ma bouteille
Ma bouffée
Mon ange.
J'ai traversé les âges
Incrédule
De survivre
Sachant absolument
Que tu me tenais
Vive
Une souris accouchant
De rires tonitruants
Ton excitation
Ton indifférence gaie
A leur autorité
Ma sœur
Mon âme sœur
Âme de cœur
Mon ange.
Tu as rythmé
Mes jours
Encadrés de nuits
Chaotiques
Tu t'es posée sur moi
Un jour
Pour les dix-huit années
A venir
Sourire de fée
Ma fidèle fée
Fée félicienne
Ma reine mage
Mon ange.
Un jour d'été,
Tu as clôturé
Cœur
Et toutes issues,
Recoins
Et grottes cryptées.
Badge invalide
En main
J'ai reculé devant
Ma vie qui s'effondrait
Atterrée
Enterrée.
Tombée à genoux
Suppliante
Prête à tous les délits
Pour te récupérer.
Mais tu étais partie
Ma sœur
Mon âme sœur
Âme de cœur
Mon ange.
J'ai détesté
Poignardé
Lacéré
Rasé la terre entière.
Mois après mois
J'ai surnagé
En solitaire
Dans l'océan
Aventure forcée.
Tu as été
Sorcière
Mégère
Vipère
Le diable.
D'autres ont pris ta place
Réchauffe
Par tes soins
Pendant dix-huit années.
Tu avais travaillé
À construire
Ma forteresse
Mon havre
Mon totem
Une place
Mon architecte
Ma bâtisseuse
Mon inventeuse
Mon ange.
Et maintenant,
Je sais
Que la folie couvait
Et que tu as freiné
L'accueil de cette nouvelle
Que tu as patienté
Jusqu'à ce que je sois
Prête.
Comme les mourants
Se glissent
Dans les chaussons de la mort
Rassurés
De ne pas abandonner
Ma sœur,
mon âme sœur,
Âme de cœur
Mon ange.
Je ne suis pas une tendre
Une douce
Une câline
Une aime-le-monde.
J'aime les rires fous.
Mon âme sœur
Est passée
Je n'en espère pas d'autre
C'était elle
Pour moi
Quota de fée
A plat
Dès la jeunesse.
Jamais senti le vide
Que j'avais tant prédit.
Tu restes pour toujours

Mon âme sœur
Ma sœur
Âme de cœur
Mon ange.




















Missionnage

Soumission
Pliage
Recroquevillé 10 cm/h., l'occiput jusqu'au nombril, sous la couche des jambes rabattues orteils aux omoplates.
Silence.

Admission
Avalage
On finit par ne plus avoir peur, pas pour laisser place à un meilleur avenir. Parce qu'on ne peut plus résister. La corde était prêt de craquer et voler en éclats. Flash de ma limite. On boucle la rébellion et on glousse servilement. Finalement, on se dit que c'est mieux. Et on ingurgite le poison, lucide et inconscient, somnambule du réel.

Démission
Carnage
La guerre civile fait rage puis un regard en arrière, on en perd l'objectif. Ce combat est à qui ? La chevauchée stoppe net. On ne sait plus où courir. En face, ils savent où trône le nord. Ils s'en empareront. Et c'est la débandade, la queue entre les jambes, les bras tout mous tout frêles. Ils galoperont sur les ennemis d'hier qui ne sont que charpies désormais. Chirurgie de l'extrême. Cubisme appliqué. Tout a été mis à plat.

Compromission
Fuselage
Il s'agit de se relever et de revoir l'idée de dignité. Pas pour elle-même, pas de beauté du geste, luxe de vainqueurs. Sans dignité, je reste entailles pendantes, la chair à l'air. CQFD : je meurs. Question de survie donc que de ranimer feu Notre Dame Dignité. Un parcours d'équilibriste sans filet et vertigeux. Ne tient son vomi et on trouve le bâton de faiblesse qui non ! ne nous mènera pas a l'autre rive solide, mais un peu plus loin sur le même fil.

Permission
Déverrouillage
Tous les plombs sautent, on écarte les jambes, tout est un droit, tout est possible. Le ventre se déchire, césarienne infinie, dégueulade sans bébé ni suture. Le monde rentre et sort comme dans un vieux moulin. Aquarelle pointilliste, vive la fin des contours, partouze générale. Pas si drôle pour la putain atteinte à l'os.

Transmission
Partage
Un corps pour une âme ! Quelle foutaise ! Réac va ! Chacun est à l'autre, plus rien ne m'appartient. Tu as droit de regard total. Je m'offre à toi de haut en bas. Place ton message dans le trou q tu préfères. A l'occasion, tu t'ouvriras à moi et je lanternais en toi le nécessaire. Communauté des biens. 

Rémission
Freinage
Prise de conscience existentielle. Luxe de vainqueurs a-t-on dit ? Luxe d'humains plutôt ? Nécessité animale en fait. Prostitution infructueuse. Vendus pour pas même une bouchée de pain. Talons au sol, appuis soudains, souliers qui crissent, coudes fléchis en soutien, génuflexion subtile, fesses exorbitées, sans plus de honte. Je suis en exercice. Je réintègre le corps.

Dérapage
Demi-tour







jeudi 14 novembre 2013

Panorama d'une folle ; Tata chérie (9)

Depuis toutes ces années, je me suis sentie une entière affinité avec cette enfant. Ça aurait dû être la mienne. Depuis le 28 décembre 1990, j'y pense jour et nuit. Elle aurait dû être la mienne. C'était à moi de la porter et de lui donner le jour. C'était moi sa vraie mère et c'est la petite peste archi-voleuse qui l'a fait naître. Elle l'a expulsée avec fierté. Après, dès que l'enfant pleurait et que j'étais là, elle déambulait de long en large dans le couloir de leur appartement. Pour me montrer de quoi elle était capable. Et pas moi. J'ai vu et revu cette flamme de satisfaction haineuse, une fois, nous étions seule a seule dans leur entrée. Elle a positionné le visage d'Anna vers elle, elle a approché la minuscule oreille, de sa grande bouche d'adulte. Elle lui a murmuré, les yeux sifflant un laser rouge, happant l'enfant d'un halo, une malédiction. Que j'ai entendue malgré la distance, j'étais dans l'enfant. Et elle a fait pivoter Anna sur elle-même dans ses mains. Et c'était devenu une boule de feu. Elle était incandescente. J'ai à mon tour longée dans ses yeux. Je me souviens mal de la suite. Il s'agit surtout d'une sensation d'envoûtement et d'absolue perméabilité. Il s'est passé un drame, ce jour-là. Elle a usé de son bébé pour m'évincer. C'est qu'elle le sait comme moi que je suis la vraie mère.
       Et puis, ne jamais désespérer de rien. Après quelques mois écartelé du foyer de ma sœur, je suis revenue, feignant le repentir. Force larmes et crocodile. Je n'ai pas mordu. Elle n'y a vu que du feu. Et j'ai pu retrouver ma fille naturelle, ma fille d'esprit. Au fil des ans, une splendide relation s'est construite entre nous, à la mesure du lien qui nous nuit, unit.

    Aujourd'hui, presque nous vivrions ensemble. Nous nous appelons tous les jours à 12h42. Anna est très pointilleuse sur l'heure. Elle est un peu obsessionnelle, je me suis renseignée. C'est une jeune femme fragile. Je prête attention à la ménager autant que je peux. En tant que mère, c'est bien mon devoir. Elle m'en sait gré. Nous n'avons pas besoin et mots pour nous entendre. Nous savons toutes deux ce qui se passe entre nous. Je l'aime de tout mon cœur cette Anna. Elle est ma digne descendante. Elle me succèdera dans cette famille. Elle en est consciente. Elle a toujours été vive et pertinente. Elle vous fixe droit dans les pupilles. Ce n'est pas une hypocrite. Les gens ne sont pas toujours bien à l'aise avec ça. Mais moi, je sens que là réside son aura. Je le remarque bien entendu quand elle entré dans notre restaurant, le vendredi midi. Il faut que j'arrive avant elle pour l'attendre. Pour qu'elle ne traverse pas ces tables de gens abandonnée. Je sais que c'est une épreuve pour elle. Je la tiens du regard. Et je perçois que les autres gens s'écartent, ils lui laissent l'espace pour son aura fantasque, fantastique. Elle n'est pas haute pourtant. Mais ce n'est pas la quantité qui compte.
J'en serais amoureuse.

Panorama d'une folle ; Anna faussaire (8)

Aujourd’hui ; voilà mon anniversaire.
C’est très étrange comme jour.
Anniversaire.
Si on le répète beaucoup beaucoup vite vite, anniversaire anniversaire, annivrersaire, annivrersaire, anévrissaire, anniviscères, Anne et vipère, Anna faussaire.
Bref, cela pourrait durer des jours ce jeu-là. Ce n’est pas franchement drôle puisque j’en arrive à l’éternelle conclusion : je suis une usurpatrice. Je vole l’art de vivre de mes concitoyens. Je suis une immense ignorante. Incapable. Je ne comprends pas les règles, je comprends bien les phrases, majuscule au point, les virgules, je lis très correctement d’ailleurs. On me fait souvent remarquer que je suis très correcte. Ce qui est extrêmement incompréhensible puisque je ne comprends rien aux règles. Les gens ne sont pas francs, ils chuchotent derrière les placards, je le sais bien. Ne pas me prendre pour une buse.
Je disais que j’étais une usurpatrice. Je vole l’art de vivre de mes concitoyens. Bien sûr, j’ai bien vu qu’on me regardait de travers dans la rue, au travail, la famille. Depuis des années, j’ai pris le pli de faire le plus possible comme les autres. Ce n’est pas facile. Les gens agissent bizarrement. Si je les interroge, ils me prennent pour une folle. Et ça me met dans une rage. Je leur en ferais gicler les yeux et le cœur. Ca saute d’un coup dans ma poitrine. Je n’y vois plus grand-chose, du blanc du noir, le paysage en sépia. Ca doit être les yeux injectés de sang qui colorent ma vue. J’ai l’habitude. Et je sais que c’est mauvais signe, pas tellement pour moi. Surtout pour les autres. Moi, je ne me souviens plus de ce qui s’est passé en général. J’oublie tout. Mais maman m’a dit de ne jamais recommencer, à chaque fois. Alors quand ça vacille et que je vois sépia, je pense au doigt tendu sur moi maudissant de Maman et je ferme les yeux et je m’écroule, assise par terre. Et je regarde rien et je ne bouge plus. Les gens sont effrayés il paraît. Ils disent que je suis immobile comme une morte aveugle. Même ceux qui m’ont déjà vue comme ça, ils ne s’habituent pas. Et ils en parlent pendant des jours. Après pendant des semaines, ils sont étranges, prudents peut-être avec moi. Je ne les comprends pas. Je sais qu’ils pensent que je suis bizarre. J’en pense la même chose. On voit midi à quatorze heures. J’essaye bien de faire abstraction mais j’ai du mal à ne pas imaginer qu’ils vont me punir. Quand je faisais cela, Maman partait pleurer pendant 1h13 dans sa chambre. Elle ressortait toute pâle. C’était Papa qui prenait le relais. Un petit rituel. On me disait, on me dit toujours qu’on ne se tient pas comme ça. Qui est on ? Cette question est toujours sans réponse. Maman souffle quand je la lui pose. Je sais qu’elle va souffler ou du moins, je sens que ça ne va pas lui plaire mais je ne peux pas m’en empêcher. Ca me démange. Je commence à me gratouiller et puis ça sort. On on on. Je ne comprends pas et je veux comprendre. Ils font des secrets. Il y a des choses que je ne dois pas savoir. Je dis que je ne suis plus une enfant et qu’il est temps de m’expliquer. Ca finit en général en catastrophe. Maman me dit d’arrêter mes questions sans réponse. Ce à quoi je lui rétorque que c’est elle qui refuse de me donner une réponse. Elle se transforme en cocotte minute, je n’ose pas la toucher, je pourrais me brûler. Et puis elle beugle comme une vache. Grosse vache en chaleur va ! Je ne le dis pas tout haut mais ça me traverse l’esprit, souvent systématiquement. Ca doit se voir dans mes yeux ou alors Maman active son pouvoir de clairvoyance. Elle l’avoue qu’elle est clairvoyante. Pas besoin de me le préciser, cela dit, puisqu’elle a les yeux bleus. Je me doute bien. Je ne suis pas idiote. Pas comme tout le monde. Tout le monde n’est pas comme moi non plus remarquez. Bref, il y a un moment où je ne sais plus trop qui est qui, et encore moins qui est on ! Ca m’agace cette énigme quand même. Papa est prêt à m’expliquer. On en a parlé des heures un jour. C’était vraiment intéressant. Mais je ne me souviens de rien. Quand Papa me parle, j’oublie tout. Il parle le vide. Je l’aime bien mon père. Ca n’a rien à voir. Je l’entends aussi. Mais ça ne se fixe pas. J’ai une idée depuis quelque temps : je pense que mon père et moi n’avons pas la même marque de neurones, marque enfin vous voyez ce que je veux dire, pas la même fabrication. Les siens et les miens ne s’empalent pas. On est parallèle. Alors, je ne lui dis rien de tout ça. Ca lui ferait mal au cœur. Il est déjà fragile de la tension. J’en fais déjà beaucoup, Maman me dit ça. Je prête attention au Papounet. Parce que oui, lui il croit que ça veut dire que je l’écoute pas et tout un tas de choses que je ne ressens pas du tout. J’ai surpris une conversation avec Maman un soir. Mais je l’aime vraiment bien cet homme-là. Ce n’est pas le problème. Je ne dis rien parce que les gens tout de suite élaborent des théories fumeuses. Mon père ne fume pas, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Mais il fume des théories. Je ne sais pas si ça se dit. En tout cas, je trouve les gens un peu paranoïaques. Ils me rétorquent une expression du genre « c’est l’hôpital qui se fait la charité ». Je trouve ça bien vulgaire mais tout le monde trouve ça parfait comme expression. D’autant plus que je ne saisis pas le rapport avec moi. Je connais l’hôpital. A part ça, je ne suis pas.
            Je disais que j’étais une usurpatrice. Je vole l’art de vivre de mes concitoyens. Après ce que je viens de dire, Papa Maman etc., je dois avouer que c’est à eux les premiers que j’ai volé leur art de vivre. Du coup, c’est très sobre leur décoration à la maison. Chez moi aussi c’est vrai mais je suis partie de rien. Les gens, sauf Tata et Grand-Mère, ils naissent avec un petit bout d’art de vivre dans le ventre qui pousse qui pousse. Moi je n’ai jamais senti cette petite chose en moi. Ca m’a handicapée. Mais ça m’aurait aussi rendue folle d’être habitée par une plante ou quelque chose qui grandit en moi. Les gens ont l’air de trouver ça normal, même bien. Tata et moi on a eu une conversation un jour à ce sujet. On disait toutes les deux la même chose. Qu’on avait l’impression que les gens nous voyaient vidée, amputée d’un organe. D’ailleurs c’est étonnant qu’ils disposent tous du don de clairvoyance. Maman oui, Tata le sait aussi, mais tous les autres. C’est sans doute la rumeur. Les gens vont vite. Il devrait y avoir une déontologie des clairvoyants, un peu de secret. On n’en est pas là. Et nous, Tata et moi on se sent intègres au contraire. On a bien rigolé en tout cas toutes les deux. C’est une chouette tata. Il faudrait qu’elle se coiffe, c’est tout ce que je lui reproche.
            Tous ça pour revenir à mon anniversaire. Penser à réviser pour l’occasion.

mercredi 13 novembre 2013

Panorama d'une folle ; voisinage (7)

Tic-tac
Boum
boum
Tic tac
Boum
Boum
Tic tac
Boum
Boum.
Ni toc ni bam.
Toquée à TOC
sans aucun doute.

Et tous les soirs,
le même concert.
La petite voisine
sans trompette ni tambour
nous donne le rythme.
à tous les coups,
en pleine assiette
même au cœur d'un hachis parmentier,
indivisible pourtant,
elle nous arrête
et nos popotins s'animent
aux tic tac
Boum
Boum
Tic tac
Boum
Boum
Tic tac
Boum
Boum
à travers la cloison.
Tous les cinq,
on se regarde.
On ne s'est jamais mis à danser
mais bien sûr on gigote
sérieusement.
Qu'est-ce que c'est que cette drôle de valse
qu'elle nous chante
et tous les soirs ?

On a rêvé
une musicienne
artiste de l'âme
maudite cachée.
On a rêvé
la jeune fille d'à côté
balai-micro en main
chorégraphie
professionnelle.
On a rêvé
la petite rousse
au sang froid
le corps chaud
enfin.
On a rêvé
les ondulations
suaves
à la trique des
Tic tac
Boum
Boum
Tic tac
Boum
Boum
Tic tac
Boum
Boum,
les muscles dociles
aux trois temps
réguliers
entraînants
à la mesure de son cœur.
On a rêvé pour elle
pour qu'elle s'évade aussi
pour qu'elle échappe à sa coquille
sans sourire
glacée
organisée.
On a rêvé qu'elle avait envie
de danser
respirer
d'être libre.

Et puis, un jour,
curiosité démesurée,
j'ai prétexté pipi
suis sortie sans un bruit
à pas de loup.
J'ai regardé par la serrure
vide.
Le balai oui.
Aussi la pelle.
Le choc de l'une et l'autre
amoureux séparés
réunis
emboîtables
harmonieux
qu'elle maniait
comme un métronome
parfaite
obsédée
ridicule.
Chute au fond de la culotte
désespérée
par procuration.
Pourtant enfin entraperçu
le sourire sur le visage si lisse
de la jolie rouquine.
Retour aux pénates
traînant les pieds.
On se reprend.
laissons tout le monde rêver
le mystère
de la valse d'à côté.

mardi 12 novembre 2013

Écrire, enfin

Passer les jours stylo en main,
Livres en secours,
Montagnes de vierges
Feuilles en attente
De ma tripaille
Impatiente de défiler
Sur tapis rouge
Sous les regards
Enfin
Festival de Cannes
Oeuvres intestinales
Internationales.
Enfin,
Cette reconnaissance
Tant espérée
Toutes ces années
Polies obéissantes
Pouvoir se dérouler
Enfin,
Se dérouiller .
Pouvoir se jeter
Contre les pages
Sans mal
Trampoline enivrant
Bong
Bong.
Jouer tous ensemble
Enfin
Une fine équipe.
Et après avoir respecté
A la lettre
Toutes les règles
Pouvoir les déformer
Les prendre à leur piège.
Enfin,
A n'importe quel moment,
Ne plus avoir honte,
Et se déverser
En brouillon
Ou tapés
Souplesse de la tripaille.
Pourvu qu'on puisse s'écrire
De l'aube
Jusqu'à la nuit,
Enfin.


Le rougisseur ; vive les timides !

Il est toujours quelque part
le timide.
Coin recoin
en silence.
Il faut le chercher
et peut-être le trouver.
Il ne se laissera pas alpaguer.
Ni au lasso.
Ni au bonbon.
Ni au coup de cil.
Ni au coup de rein.
Il s'enfuira plutôt.

Lecture tranquille,
au lacet d'une conversation,
le voilà le timide.
On était échappé bien au chaud
dans l'histoire des autres
et coup de sang,
une parenthèse,
une subordonnée,
le rougisseur est là.
abandonné aussi par la lectrice
sûre de sa compassion.
Envie de se faire pardonner
auprès
du personnage délaissé.
Et puis,
on n'a pas eu le choix,
il s'est fondu dans les mots,
je n'ai pas pu le voir.
Désolée tout de même.
J'ai le cœur qui se serre
à l'idée de cet homme ou cette femme
reclus,
au minuscule chuintement qu'il elle émet,
j'aimerais lui parler,
l'inclure
le faire sourire
qu'il me regarde dans les yeux,
au moins moi.
quelqu'un.

Film de fin de soirée,
deux grands et sublimes personnages
entourés de leur cour,
Spectatrice prise au piège.
De la beauté.
De la santé.
Des sans-soucis.
Pas besoin de Mary Poppins et vieux Merlin
ça marche comme sur des roulettes,
on glisse.
Franchit la porte
un être rabougri
par l'humilité
excessive qu'il s'impose
jusque dans cette fiction.
Il elle est courbée
pour mieux se cacher
illusion réconfortante
mise en scène de son noyau
tirebouchonné
noué
de long en large.
Magie synthétique
du timide.

Allez-y les gars !
Gueulez et prenez toute la place !
Crevez l'écran !
Et crachez-en leur plein la gueule !
Trouez les pages !
Aspirez leur quiétude !
Et brandissez votre hymne :
Timides, lucides, avides.


A l'attaque !

Combat cocasse
crête en érection.
Aussi risible
que le poulailler,
mon duel avec le temps.
Anthropophage notoire
craint reconnu identifié
inutile prévention.
toutes les campagnes n’y font rien.
Je suis en guerre depuis l’accouchement.
Il a signé l’ouverture des hostilités.
Trêves sporadiques
à coup d’angines et gastro,
ou douleurs invalidantes.
Le reste de la vie
se poursuit
dans la contagion des minutes
qui se passent le virus de la lutte,
L’Inteeeersidéraaaale !
C’est la chaîne des minutes-fourmis en rébellion
Eternelle
Contre le maître-temps
Incontestable.
Ce sont mes petits soldats
Un petit peu trop dociles
Et jamais victorieux.
Je leur pique aux fesses
Pilote automatique,
Miroir ! me pique au cul
pour ne pas dépérir.
Parce que voilà l’énOoooorme malentendu,
très chère.
Me laisser vaincre par
Tempus tempi, tempo, tempetus, tis toutatis
et je me crois perdue.
C’est-y pas qu’y ui manque une case à la gamine !
La lutte est justifiée,
belle amazone,
mais insensée,
telle toute intestine chevauchée
(plus rien à inventer ce poète !)
Absurdité des minutes acharnées contre l’oppresseur
conduites par une esclave
qui regarde en haut pour ne pas remarquer son boulet.
Tic tac
Tic tac.
Tenez-vous les filles,
ne lâchez rien,
il pourrait glisser entre les doigts.
Je continue de bagarrer cette place forte
alors que l’ennemi s’est mué en chair
depuis toujours.
Il coule dans mes veines
et il rythme mon cœur.

lundi 11 novembre 2013

L'angoisse de morte

C'est le douillet moment du soir.
Corvée journée achevée.
Plaisirs en suspens.
Peletonnage au chaud
du corps qui partage ma couche
et qui veille encore,
immense sécurité
en peluche,
sans matraques.
Prête à rejoindre l'inconscience ronron
et sa solitude
sans l'espace d'une seconde en souffrance,
haletante,
par la peau du cou.
Je suis attachée à la terre
et la compagnie.
Depuis quelque temps,
invulnérable au crépuscule.

J'aurais dû me méfier des
tours en rond avant le plongeon nocturne.
D'un coup surgit l'intersidéral.
Je flotte dans l'univers
à des milliards de pieds du sol.
Pas encore un rêve.
Vérité sans fard.
Sans phare aussi.
Dans le noir.
Dans le silence.
De l'infini.
Sur ce décor, la suprême se pavane.
Couronnée, toute-puissante, arpentant l'immensité.
Les Louboutins qui claquent.
Écho même pas rebondi.
Sécheresse râpeuse.
Et dans ce cadre enchanteur,
je pense à quand je ne pourrai plus penser que je pense.
Je serai morte,
oui bien le merci pour cette subtile notification,
je vois cimetière, tombeau, noir, voilette, notaire
rosaire
blaireaux délavés,
la famille.
L'abstraction si amicale
en temps vivant
devient un trou, l'idée, l'image, l'énorme bulle au-dessus de ma tête, le réseau 34G ont disparu, la bulle est vide.
Il n'y a plus de bulle ma pauvre poule !
Je ne suis même plus une poule. Je ne suis rien, je pense donc je suis, n'oublie pas, surtout n'oublie pas ça. Je pense donc je suis donc quand je ne penserai plus, je ne serai plus et voilà bien à quoi je pense.
Comme un Coperfield évaporé en un minuscule auto-tour, sans cape ni fumée, juste moi, tout, aspiré. Sans froufrou.
Sécheresse.
Mon cerveau, mon plus fidèle allié m'échappe aussi devant mon effort masochiste pour penser continûment, l'idée que j'essaye de maintenir se morcelle,
en flashs,
de plus en plus espacés,
comme la machine qui déraille.
Je deviens déjà une machine
L'idée qui casse la tête
En mille morceaux
Des couleurs
Plus de sens de circulation.
Black-out.
Et on s'arrête là l'intello ! On te l'a djà dit. Elle sert à rien ton idée de malheur ! Remballe-la et laisse-nous bosser en paix. Les conditions de travail sont djà pas formidables dans ta boîte alors mets-la en veilleuse. Faudrait pas q'ça devienne carrément la mine. Si tu veux voir l'espace, propose tes services (lesquels ?) à la Nasa et va t'acheter tes perchoirs. Tu seras fixée.
Tu crèveras comme les autres, en temps et en heure.
Elle est po possible cette gamine !
Les gosses de riches ça !

Calmée.
Dodo.
Travail.
Plaisir.
Colère.
Tendresse.

Etc.
Et redodo.

dimanche 10 novembre 2013

Belle du Seigneur, Albert Cohen (3)

Que reste-t-il de cette belle et de son seigneur après ces 1110 pages ?
La belle est toujours belle mais du début jusqu’à la fin, elle n’a été que cela.
Le seigneur prend son rôle à bras le corps mais du début jusqu’à la fin, n’est qu’un usurpateur.
L’ironie de ce titre et le désespoir presque impensable aussi. Je reviens sur la belle histoire d’amour qu’on m’a vendue. Mais encore une fois permettez-moi, où est l’amour dans ce roman ? Je répondrais sans aucun doute, nulle part. D’autres diront offensés, partout. Et nous disons tous la même chose. On se retournera en masse sur celui qui affirmera, par-ci par-là l’amour. L’intrus ! Blasphémateur ! Et pourtant lui aussi s’avèrera convaincant. On en perdra sa conviction et on en conclura que décidément le monde est un malentendu.
Je ne saurais pas décider entre un narrateur-Albert Cohen misanthrope, foncièrement désespéré sans pitié, et un autre d’une infinie tendresse inassouvie, continuant d’attendre le grand et vrai amour. Je ne peux m’empêcher de penser à Molière et à son Misanthrope précisément : n’est-ce pas exactement cette double face, Janus en puissance, que nous révèle la pièce ? Il me semble qu’Albert Cohen en fait autant, au détail près qu’il ne met pas en scène le misanthrope lui-même. Le misanthrope est le narrateur marionnettiste, qui ne cache pas son existence d’agile manipulateur ni ne fait de secret sur les rouages de son art, trahissant par là même ses pairs. Apparemment. Alors, lectrice de bonne volonté, je me laisse persuader par cet aveu de cynisme. Je me sens comme une enfant à qui on fait confiance qui se sent responsable par surprise.
C’est sans compter sur la  technique de l’oignon. Lecteur endormi, le narrateur tisse sa toile en sous-main. Les pages se suivent et je me dis qu’elles se ressemblent sérieusement. Et c’est imperceptiblement que je prends le virage pour parvenir à une excitation certaine autant qu’inattendue. Bercée par le roulis tranquille et régulièrement amer des alternances de personnages monologuant. Je me réveille brutalement, prise par le désir brûlant (jusqu’à présent demeurée paisible) de connaître la suite.
Je peux toujours attendre et espérer, le narrateur plonge le lecteur dans la cruauté des hommes qu’il donne à voit à travers la belle, son seigneur et le cocu. Il cultive, attise l’envie, fait saliver… on finit la bouche sèche d’avoir trop patienté. Et c’est après nous avoir à nouveau bercé joli bébé, mais oui tu as tout bien compris ! meuh oui guilili ! que la boucle est bouclée. Alors qu’on l’a tant attendu ce coup de théâtre, non seulement il nous le sert à froid mais en outre, il en écrit deux lignes. J’avoue ne pas avoir apprécié le tour, sur le moment. Et presque à pester contre ce … et puis non, bien sûr, il joue avec moi et les autres. Je ne suis pas le capitaine de ce navire. Je ne peux en aucun cas y prétendre. Je dois admettre le rythme qui m’est imposé. Règne plus fort que moi derrière ces milliards de mots. Il m’a mise en colère. Pour une fois qu’un peu de vrai suspens se dessinait ! pas grâce à ma curiosité mais grâce à ce même narrateur qui me prend au piège. Défaut d’humilité. Il est le maître à bord et personne ni rien ne le renversera. Il n’a plus peur des hommes ni de leurs méchancetés ; il n’a plus peur non plus d’affronter son lecteur et ses caprices d’enfant-roi.
J’ai cru au début de cette œuvre que je pourrais faire ami ami avec ce narrateur. Il en avait traversé des épreuves, je connaissais la musique et la tentation quotidienne de la misanthropie et blablabla. Ce narrateur n’a pas d’ami, ne compte pas se faire aimer, peut-être même se faire détester, ce qui est mieux que de s’en contreficher, auquel cas il ne serait pas là. Il me fait penser à ces gens qui ne tolèrent de l’autre qu’un distance très précise, rationnelle et humaine en même temps, toujours questionnante et dénuée de toute volonté de faire plaisir. Vous savez bien ces gens qui ne vous laissent approcher que si vous avez fait le deuil de votre déguisement d’humain évolué et admirable. Ceux qui ne vous lâchent pas tout en vous obligeant à reculer devant eux. Pas pour la gloire. Pas pour la dignité. Parce qu’ils deviennent fous à voir la mascarade de leurs congénères satisfaits. Ils s’en protègent et vous ne rentrerez dans la bulle barricadée que si vous lâchez prise et accepter de rire de tout sans exception.
J’avoue que ces gens-là et le narrateur dont il est question ici sont toujours d’abord mes ennemis, ceux que j’aimerais écrabouiller jusqu’à la dernière miette. Je les déteste, je ne peux m’empêcher de le clamer. Et puis, je m’en écarte. Je les observe de loin et je suis projetée loin derrière moi. Et une immense vision s’offre à moi. Je ne les aime pas pour autant. Eux ont perçu l’événement et ils déverrouillent leur accès. Parce qu’ils savent que je n’entrerai pas, que je les laisserai sortir. Et qu’il en sera ainsi entre nous. Sans affection, sans intimité mais sans mentir.

Et je ressors de Belle du Seigneur riche d’un nouveau saut en altitude, riche d’une œuvre complète. Et comme je l’écrivais précédemment, riche d’un bout de sens en plus, le narrateur niché dans une case de ma vie.

Panorama d'une folle ; Clémentine en colère (6)

Et en jour de colère, le premier venu accuse les coups :
« Toi qui te permets de juger ma vie et ma famille, de conclure sur ce que je ressens, gare à tes fesses ! elle les aime, non mais on aura tout vu. Elle aime les folles ? elle aime se faire du mal ? elle aime une vie pourrie ? elle aime voir ses proches se déliter dans leurs délires ? perdre leur existence à lutter contre des choses qui n’existent pas ? elle aime y perdre la sienne aussi ? sentir trop souvent qu’elle glisse avec les trois allumées ? qu’elle doit pourtant, elle en a le devoir, se battre pour demeurer rationnelle ? Elle aime ça ? elle aime voir tous ses amis se liquéfier de terreur et devenir silencieux puis disparaître souvent pour toujours ? elle aime la solitude exclue ? elle aime ne plus savoir ce que c’est que d’avoir envie de toucher son ange, l’homme de sa vie, celui qu’elle a aimé plus que tout au monde ? elle aime cette défraîcheur ? cette petite mort de l’âme, insidieuse et sans vergogne ? elle aime ne plus toruver plaisir que dans la nourriture, comme un animal ? et finir comme une répugnante obèse quittée par son aimé, haïe par ses enfants, soutenue par ses chats ? elle aime entendre « tu nous as pas protégée d’elle ! » ? « tu n’as rien fait pour que les choses s’arrangent » ? « tu ne m’as jamais aimée, je suis le vilain canard » ? même pas capable d’aligner deux mots d’une expression correcte, cette gamine, elle aime ça ? elle aime se dire qu’elle aurait mieux fait de pas les accoucher ces enfants-là pour pas risquer ? elle aime se dire qu’elle le savait, qu’elle porte en elle ces gènes maudits ? elle aime en arriver à croire qu’elle est la mère de toutes ces femmes, elle aime qu’on se retourne toute son enfance sur cette gamine bizarre que rien ne distingue clairement et qui attise une perverse curiosité ? elle aime se balader avec son monstre de foire ? elle aime voir les gens se méfier qunad elles arrivent, mère ou sœur ou fille et elle ? elle aime séparer ses enfants et enfermer Anna dans sa cage de folle ? elle aime soigner les morsures fraternelles quotidiennes ? elle aime voir sa fille cannibale zoophile? elle aime hurler jusqu’à s’éteindre la voix pour ne pas réussir à calmer sa haine et sa rage ? elle aime devenir aussi folle que les furies qui l’étouffent jour et nuit ? elle aime cette polyphonie de loups garous tous les soirs, même la lune à moitié morte, qu’elle dirigera bientôt ? elle aime ce silence de mort qui suit le désastreux spectacle et l’angoisse de la fenêtre pour elle et pour les autres ? elle aime se dire que ni elle ni les autres ne sont humaines, que toutes auraient mieux fait de ne pas exister ? elle aime ne rien saisir, voir tout glisser de ses mains huileuses impuissantes ? elle aime penser et repenser, sans une seconde de souffle, que c’est souvent elle la plus dingue ? que ça aurait été tellement mieux qu’elle hallucine aussi, qu’elle ait un ami bleu qui lui parle de Dieu ?
Et je m’effondre en pleurs, en plein milieu d’une soirée entre amis dont je me réjouissais depuis des semaines. J’avais tout prévu : oublier le téléphone, bannir les soucis des conversations, qu’au cours de ces quelques heures de répit, personne ne  demande de nouvelles des Trois Mégères Ecarlates, qu’on me laisse en paix. Je suis en sursis. Mais comme toujours, c’est au moment où tout pourrait être plus calme que le cœur et les nerfs lâchent, quand on se sait bien choyée. Après des mois de trapéziste. Des mois, des heures, des minutes. J’en perds la notion du jour et de la nuit. Des mois de harcèlement, Anna, Alba, la mère Anita. Quelle idée d’avoir prénommée cette enfant Anna ? Je n’ai compris qu’après. Le jour où à trois mois, le bébé s’est ramolli dans mes bras, a cessé de sourire brutalement, pour ne plus jamais être entier. Yeux qui rient, bouche qui pleure. Lèvres en joie, œil en chasse. Une joue en colère, l’autre blanche linge. Une oreille qui ronfle et l’autre qui s’écrie, au moindre frôlement. Un monstre est né alors. Un monstre, ma fille, mon amour, tant attendue, tant espérée, pour tout recommencer à zéro. Pour tout reconstruire en solide. Trois mois d’émerveillement devant ma réussite. La résurrection des femmes de cette famille. La fin de la malédiction, la chaîne rompue et brûlée.
Je l’ai nommée Anna.
Le mari insistant, dénigrant le choix si évident pour moi. Sans explications autres qu’un dégoût frappé de mutisme. Et moi implacable, on l’appellera comme ça, c’est parfait pour ma fille. Il a ouvert la bouche. Il a su que je le quitterais s’il disait un seul mot sur les Deux Ecarlates. Il a scellé ses lèvres, rempli de désespoir. C’est pour ça que le jour, où je l’ai convoqué, pour lui annoncer que l’enfant était la digne représentante de sa lignée toquée, il m’a prise dans ses bras, serré de toutes ses forces. Il savait bien avant qu’elle ne serait sans appel la troisième Ecarlate. Et même, j’ai compris là pourquoi en ce 28 décembre, je venais d’accoucher, en voyant apparaître un bébé aux cheveux orange, il a été pris d’un fou rire inextinguible, qui sentait le malheur.
            Tout resurgit, le film rembobine et déroule à nouveau.
            C’est un jour de colère.